Lucienne et Raymond sont sur leur 31. Ils ont sorti leurs vêtements des grands jours. Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit la presse pour évoquer sept décennies de vie commune. « Je vous avoue que mon père était un peu réticent pour l’interview », glisse Martine, à voix basse. Pourtant, Raymond est là. Sourire radieux, prêt à évoquer sa vie. Et s’il a accepté la rencontre, c’est pour faire plaisir à celle qui partage sa vie depuis toutes ces années. Lucienne, le grand amour de sa vie. Même s’il ne le dit pas haut et fort. Pudeur oblige.

Une enfance dans le même village en Algérie

Leur histoire débute il y a 85 ans, en Algérie. Raymond a dix ans, Lucienne en a six. Tous deux habitent dans le même village, près de Constantine. « Nous avons grandi ensemble, en réalité, on se connaît depuis toujours. En grandissant, c’est elle qui est tombée sous mon charme et j’ai cédé », blague Raymond. Lucienne rit aux blagues de son époux. Comme au premier jour. Tout au long de la discussion, on le comprend vite : c’est dans ces petites plaisanteries que se cache leur complicité.

Ils se marient le 16 octobre 1954. La guerre éclate en Algérie, alors le couple va s’installer dans un pays voisin, au Maroc. Leur première fille Martine voit le jour à Kenitra. Neuf mois plus tard, la petite famille vient s’installer dans le Vaucluse, où naît Paule, leur deuxième fille.

Raymond obtient ensuite un emploi à Saint-Etienne, où il devient gardien de prison puis conducteur de travaux au centre pénitentiaire. Entre-temps, le petit dernier, Alain, complète la famille. La petite famille déménage dix ans plus tard. Direction Toulon. « J’ai été muté pour travailler à la prison de Saint-Roch à l’époque. Nous avions un appartement de fonction dans la prison », se souvient Raymond. Chaque détail est gravé en lui.

La mémoire fait légèrement défaut à Lucienne ces derniers mois. Mais son esprit est vif quand il s’agit de cette période. « Moi aussi j’étais surveillante dans la prison, du côté des femmes. Notre appartement était joli, je m’entendais bien avec les détenues, elles m’aimaient bien ».

À l’époque, le couple jongle entre vie de famille, vie professionnelle et passe-temps. Pour Raymond, ce sera « la mécanique, la clarinette et l’harmonica. J’en étais passionné et je jouais dans un orchestre. »

« Et moi, c’était le sport », reprend Lucienne. « Euuh, la première fois que je lui ai prêté mon vélo, elle l’a cassé ! Tu parles… », reprend son époux. Lucienne éclate de rire. Encore une fois. « Il a un caractère pas facile, mais il m’a toujours fait rire ».

« Et avec moi, elle a toujours été présente à me soutenir malgré ce caractère. Elle a toujours été gentille, et puis elle a pris soin de sa famille », admet-il.

Une blague, un repas, un sourire… et l’amour vit toujours

Les années ont passé, et les rôles se sont inversés. Aujourd’hui, Raymond, en pleine forme, prend soin de sa Lucienne, devenue plus fragile avec le temps. « Il prépare le petit-déjeuner tous les matins, et il fait même le ménage. Je l’envoie jeter les poubelles aussi, il a intérêt », s’amuse Lucienne.

Raymond, qui ne quitte pas sa place à côté de son épouse depuis le début de l’entretien, sourit, les yeux pétillants. « Je fais la cuisine, j’adore ça. La pâtisserie est ma passion », confie-t-il en présentant ses makrouds préparés la veille. Un clin d’œil à ses racines algériennes, le pays de son enfance qui lui manque tant. Raymond est nostalgique.

Il poursuit : « Le matin, je veille à ce qu’elle prenne ses médicaments. Je me sens en pleine forme, alors je prends le relais. » C’est cette présence constante, ce soutien mutuel, qui a fait leur force. « Il faut être conciliants et présents, malgré tout ce qui peu arriver… Et surtout, il faut de la patience, beaucoup de patience, pour avancer ensemble », ajoutent-ils d’une même voix. Et si, finalement, c’était ça le vrai secret de la longévité ?

Un secret qu’ils partagent avec leurs trois enfants, sept petits-enfants et neuf arrière-petits-enfants. Pour les 71 ans de mariage du couple, toute cette jolie tribu s’est retrouvée, le week-end dernier, pour célébrer cette date anniversaire comme il se doit. Et rendre hommage à l’amour de Lucienne et Raymond, qui réside, encore aujourd’hui, dans les petits moments partagés au quotidien.