Janick Marina Schaufelbuehl est professeure associée d’histoire à l’Université de Lausanne. Elle est l’auteure de Crusading for Globalization : US Multinationals and Their Opponents Since 1945 (University of Pennsylvania Press, 2025) et co-éditrice (avec S. Bott et S. Pitteloud) de Environmental Regulation and the History of Capitalism : The Role of Business from Stockholm 1972 to the Climate Crisis (Routledge, 2025). Ses recherches actuelles portent sur l’histoire du capitalisme étatsunien, l’histoire du néolibéralisme et sur la politique environnementale des associations patronales.

Ces dernières années, elle a été membre de l’Institute for Advanced Study de Princeton, ainsi que chercheuse invitée au Center for European Studies de l’Université de Harvard et à l’European Institute de Columbia University.

La Vie des idées : Votre ouvrage porte sur la croisade pour la globalisation de ceux que vous appelez les « corporate globalizers », réunis principalement dans une organisation « patronale » américaine, le US Council for International Business (USCIB), qui se fait l’avocat dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, d’une libéralisation des échanges. L’idée d’une croisade suggère à la fois une mission, mais aussi une adversité : quelles valeurs porte ce collectif et à qui s’oppose-t-il ? Qui sont aujourd’hui ces « croisés de l’entreprise privée » et en quoi diffèrent-ils de « pères fondateurs » des années 1950 ?

Janick Marina Schaufelbuehl : Les grands patrons qui se sont réunis après la Deuxième Guerre mondiale pour fonder le US Council ont effectivement la conviction de faire partie d’une croisade, avec une mission bien spécifique : celle de se battre pour l’ouverture des marchés mondiaux aux exportations et aux investissements directs. Ils œuvrent donc pour faire avancer la mondialisation. C’est avec cet objectif qu’ils fondent l’USCIB en 1945 qui va devenir la principale organisation qui représente exclusivement les intérêts internationaux du grand patronat des États-Unis. Ainsi, l’USCIB constitue la section étatsunienne de la Chambre de commerce internationale, la plus puissante organisation patronale transnationale. Il représente également les intérêts de l’économie privée étatsunienne à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et à l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Les fondateurs de l’USCIB étaient majoritairement les dirigeants de très grandes entreprises multinationales. Une excellente illustration de ceci : l’homme qui a sans doute joué le rôle le plus important pour lancer cette croisade est Philip D. Reed, PDG de General Electric qui à ce moment-là fait partie des dix plus grandes entreprises des États-Unis avec des filiales dans douze pays sur cinq continents. Durant ses premières années d’existence, le conseil d’administration de l’USCIB inclut les dirigeants de treize des vingt entreprises les plus puissantes du pays. On y trouve les patrons des quatre plus grandes banques commerciales, ainsi que ceux de sept compagnies pétrolières qui représentaient alors la moitié des revenus étatsuniens du pétrole. Les entreprises dirigées par ces hommes étaient déjà extrêmement internationales, possédant de nombreuses filiales et usines partout dans le monde, donc ce qu’on appelle des investissements directs à l’étranger (IDE). Or, les IDE étatsuniens ont été multipliés par dix durant le demi-siècle suivant ! Durant la même période, les exportations du pays croissent de plus de 700%, en valeur réelle. Cette formidable expansion économique des entreprises étatsuniennes constitue le cœur de la vague de mondialisation économique qui démarre dans les années 1950, la deuxième après celle de la fin du XIXe siècle. Les multinationales dirigées par les patrons qui ont fondé le USCIB ont ainsi été les grands gagnants de cette dynamique qu’ils ont contribué à lancer. Ainsi, la mission qu’ils se sont donnée en 1945, de vaincre les obstacles à la libre circulation mondiale des capitaux et des biens, était tout à fait conforme à leurs propres intérêts.

Mais, la perspective de faire profiter leurs firmes de la manne de la mondialisation ne suffit pas à expliquer l’engagement de ces hommes—et après les années 1970 aussi de quelques rares femmes— dans cette association patronale. Par exemple, Reed est PDG de la même entreprise, General Electric, dont le président, Ralph Cordiner, mène un combat rigoureusement protectionniste, donc en opposition diamétrale avec l’engagement de Reed. Cela signifie qu’il faut également prendre en considération la dimension plus idéologique de cet engagement, d’où le choix du terme de croisade dans le titre du livre. En ce qui concerne cette idéologie partagée, les « corporate globalizers » se retrouvent principalement dans leur animosité véhémente envers toute forme de protectionnisme économique qu’ils tiennent pour responsable pour la grande Dépression des années 1930, ainsi que pour la montée du fascisme et du national-socialisme. En conséquence, ils considèrent le Smoot-Hawley Tariff Act comme particulièrement néfaste. C’était une loi qui en 1930 a introduit des droits de douane atteignant en moyenne 50 %. Ces patrons investissent ainsi du temps et de l’argent dans cette mission de lutter de diverses manières pour la libéralisation des échanges, aux États-Unis, ainsi qu’au niveau mondial. Ce qui les unit est finalement aussi une sociabilité partagée. Ils se retrouvent lors de soirées cocktails dans leurs logements personnels ou pour de somptueux dîners dans des hôtels de luxe à Manhattan.

Quant à la question de savoir à qui ces patrons s’opposent, c’est simple : à tout groupe, courant, ou organisation qui se met à travers de leur chemin dans cette campagne pour accélérer la mondialisation, ou qui cherche à réguler le pouvoir et l’autonomie des multinationales.

Ce qui frappe quand on étudie l’USCIB à travers les quatre-vingts années de son existence est la très grande continuité dans la composition de son conseil d’administration et de son comité exécutif. L’une des raisons pour ceci est la présence au sein du comité exécutif (donc de l’organe décisionnel principal de l’association) d’ « administrateurs seniors », qui ont quitté leurs entreprises mais continuent durant parfois plusieurs décennies d’influencer les orientations de l’USCIB.

On retrouve cette continuité jusqu’à aujourd’hui. Il n’y pas de différence importante entre la composition sociale des dirigeants de cette association depuis la période des « pères fondateurs » et aujourd’hui. Ainsi, en 2025, le conseil d’administration de l’USCIB inclut toujours des dirigeants des entreprises les plus puissantes des États-Unis, ainsi que des principaux cabinets juridiques et sociétés de consulting. Actuellement presque la moitié de ces quarante-trois administrateurs dirigent des firmes qu’on trouve dans les 150 premiers rangs de la liste Fortune 500, qui classe les entreprises étatsuniennes selon leur chiffre d’affaires annuel. On y trouve, par exemple, le PDG de PepsiCo, celui de Johnson&Johnson, ou encore la directrice principale des affaires gouvernementales internationales de Walmart, l’entreprise la plus riche du pays. Autre fait révélateur : presque la moitié des administrateurs actuels dirigent des sociétés qui étaient déjà représentées dans le conseil d’administration de l’USCIB entre 1970 et 1990. La continuité est donc réelle, même si on retrouve aujourd’hui aussi les patrons de multinationales plus récentes telles que Google ou Uber. Il y a en revanche une différence sensible dans le Conseil d’administration actuel—hormis le fait qu’il a été réduit de moitié environ— : un quart est composé de femmes, alors que dans les années 1990 encore, elles ne représentaient que quatre pour cent.

La Vie des idées : Vous montrez bien qu’il n’y a pas d’évidence dans le soutien des grands leaders de multinationales au parti républicain, même si celui-ci a plutôt historiquement été le plus « business friendly ». Qu’est-ce qui unit les leaders des grandes entreprises au parti républicain ? Qu’est-ce qui les sépare ?

Janick Marina Schaufelbuehl : Les « corporate globalizers » que j’ai étudiés sont en large majorité républicains, même si on y trouve quelques démocrates influents. Parmi ces derniers, il faut mentionner le banquier privé Averell Harriman et le roi du coton William L. Clayton qui les deux ont joué un rôle clé dans les premières années de l’USCIB. Ils ont également influencé la politique post-guerre du président démocrate Harry Truman, qui a nommé le premier comme secrétaire au commerce et le deuxième comme responsable économique au Département d’État. Dans ces positions, les deux hommes ont été parmi les principaux architectes du Plan Marshall. Or, cette politique a également été très activement promue par l’USCIB, dans l’idée d’ouvrir les marchés européens aux marchandises étatsuniens et de favoriser leur unification et libéralisation. Parmi les patrons démocrates pro-mondialisation on trouve encore la dynastie familiale des Watson, le père Thomas J. Watson—fondateur de IBM—et ses fils Thomas Jr. et Arthur, qui s’engagent avec enthousiasme pour l’USCIB, notamment en mettant à disposition les locaux de leur entreprise à Manhattan pour la jeune organisation.

Mais la majorité des membres de l’USCIB est donc constituée de Républicains. Toutefois, depuis le début, ils s’alignent sur le courant pro-mondialisation du parti. Il faut rappeler que c’était sous la présidence d’un Républicain, Herbert Hoover, que la loi protectionniste Smoot-Hawley de 1930 avait été adoptée, objet de toute l’aversion des membres de l’USCIB. Les principaux instruments et structures pour libéraliser le commerce mondial—la loi commerciale de 1934 et surtout l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947—ont en revanche été introduits par des administrations démocrates. Ces patrons libre-échangistes sont donc pour ainsi dire orphelins d’une représentation républicaine forte dans le gouvernement. Ceci change en 1953, après qu’ils participent de manière décisive à faire élire Dwight Eisenhower, contre la volonté de l’establishment du parti. Eisenhower est un Républicain qui est favorable à la mondialisation du commerce et des investissements. C’est le candidat de rêve des « corporate globalizers ». En conséquence, les membres du USCIB le soutiennent durant les primaires contre le candidat du courant protectionniste du parti, Robert Taft. Par ailleurs, après son entrée à la maison blanche, Eisenhower intègre plusieurs de ces patrons « globalisateurs » dans son cabinet.

C’est le courant pro-mondialisation du parti républicain représenté par Eisenhower qui sera soutenu par les directeurs des grandes multinationales réunis dans l’USCIB jusqu’à aujourd’hui. Quand, en 1964, le candidat officiel du parti à la présidence est un protectionniste, Barry Goldwater, qui s’était opposé à la grande baisse des droits de douane sous l’administration John F. Kennedy, les patrons « globalisateurs » vont jusqu’à officiellement soutenir le candidat démocrate, Lyndon B. Johnson. C’est ce dernier qui remportera les élections présidentielles.

Ronald Reagan n’est pas non plus leur candidat de choix, au début des années 1980. Reagan s’inscrit dans le même courant du parti républicain que Goldwater, courant qui s’accommode avec un certain protectionnisme économique. Les dirigeants d’entreprises « globalisateurs » auraient préféré un candidat plus proche de leur agenda politique, plus enthousiaste de l’idée d’ouvrir les marchés mondiaux aux produits et capitaux étatsuniens. Après l’élection de Reagan, l’USCIB aura ainsi des rapports beaucoup moins proches avec le gouvernement que d’autres associations patronales, comme notamment la US Chamber of Commerce ou la Business Roundtable. Ils auront cependant une entrée importante dans le cabinet de Reagan par son vice-président George H. W. Bush et le secrétaire du commerce nommé grâce à ce dernier, Malcolm Baldrige. Baldridge est un des leurs, membre du conseil d’administration de l’USCIB.

Ce qu’on peut donc dire, c’est qu’il y a une orientation à l’intérieur du parti Républicain qui est beaucoup plus proche du grand patronat des multinationales, qui s’oppose aux droits de douane protectionnistes, et qui a parfois été appelé le « Rockefeller wing », du nom de Nelson Rockefeller, ancien gouverneur de New York et qui avait été candidat contre Barry Goldwater dans les élections primaires du parti Républicain de 1964. Il s’agit du petit-fils de John Rockefeller, le fondateur de Standard Oil et d’un empire familial probablement le plus fortuné du pays. Le frère de Nelson, David Rockefeller, puissant banquier de Wallstreet, est par ailleurs administrateur de l’USCIB.

La Vie des idées : Quelle a été l’attitude du USCIB sous Trump I ? Le monde patronal étatsunien a-t-il été divisé ?

Janick Marina Schaufelbuehl : Comme mentionné, il y a toujours eu un courant dans le parti républicain qui a été critique des effets du libre-échange sur le marché national et qui s’est prononcé en faveur des droits de douane élevés pour protéger les emplois industriels aux États-Unis. Toutefois, dans les années 1990 un nouveau courant se développe au sein du Parti républicain, qui reprend les idées du protectionnisme économique mais qui y ajoute une critique conservatrice de la mondialisation et des institutions multilatérales. Donald Trump en est l’un des héritiers. C’est dans le cadre de la finalisation de l’Accord de libre-échange nord-américain (NAFTA) que l’entrepreneur milliardaire Ross Perot popularise cet appel à un retour au nationalisme économique et au protectionnisme, se positionnant comme fervent opposant à NAFTA et plus tard à la création de l’Organisation mondiale du Commerce en 1995 et au projet, finalement abandonné, d’une zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). L’influent politicien Pat Buchanan le rejoint sur cette ligne et lance l’appel « Make America first again », qui sera repris dans une version légèrement modifiée par Trump.

Dans leurs critiques des effets néfastes de la mondialisation, Perot et Buchanan s’attaquent régulièrement au pouvoir des multinationales, du moins rhétoriquement. Ceci change avec le discours populiste qui émerge dans l’entourage du Parti Républicain après la crise économique de 2007-2008. Incarné dans un premier temps par le mouvement du Tea Party, il est suivi par le mouvement MAGA—Make America Great Again—qui soutient Donald Trump durant la campagne présidentielle de 2016. Comme Perot et Buchanan, MAGA et Trump accusent également la mondialisation du commerce et des capitaux d’avoir mené à la perte d’emplois dans l’industrie étatsunienne. Toutefois, ce ne sont plus les multinationales et le grand patronat qui sont tenus pour responsables, mais avant tout les Démocrates, les élites corrompues, et les institutions multilatérales comme l’OMC. En parallèle d’une posture anti-immigration, un discours radical de nationalisme économique est mis en avant. La mondialisation n’est pas rejetée dans son ensemble, mais dans la perspective du mouvement MAGA elle doit être repensée pour bénéficier prioritairement à l’économie étatsunienne.

Les mesures prises par le gouvernement Trump durant son premier mandat reprennent cette vision sélective des facettes de la mondialisation qui sont vues comme bénéfiques. Il se situe dans une continuité avec Reagan, s’inspire des mesures protectionnistes que ce dernier avait introduites et va jusqu’à nommer le même homme, Robert Lighthizer, comme représentant américain au commerce qui avait déjà été le représentant adjoint au commerce sous Reagan. Lors de son premier jour à la maison blanche, Trump acte le retrait des États-Unis de l’Accord de Partenariat Transpacifique (TPP). Par la suite, il introduit des droits de douane punitifs sur les produits chinois ainsi que sur les importations d’acier et d’aluminium qui affectent en premier lieu l’Union Européenne. Finalement, il bloque le système de l’OMC qui doit servir à régler les litiges commerciaux en refusant de nommer de nouveaux juges à l’Organe d’appel.

Comment le patronat « globalisateur » réagit-il à ces mesures ? Bien évidemment, cette politique économique ne correspond pas du tout à la ligne qu’il défend depuis 1945. Trump appartient au courant protectionniste du Parti Républicain dans le sillage de Goldwater et Reagan, duquel l’USCIC s’est toujours distancié. Ainsi, l’association se mobilise contre le blocage de l’OMC et les droits de douane punitifs imposés à la Chine, dans le cadre d’audiences publiques, de différentes activités de lobbying ainsi qu’en créant une coalition patronale appelée « Americans for Free Trade ». Mais ces dirigeants des grandes multinationales savent aussi s’accommoder avec l’administration Trump. En dehors du commerce et des investissements internationaux, Trump est très favorable à leurs intérêts. Par exemple, ces patrons ont applaudi avec enthousiasme la loi sur la réforme fiscale de 2017 qui a abaissé le taux de l’impôt sur les sociétés de 31% à 21%. On ne trouve pas de différence sur ce point entre grand patronat pro-globalisation et patronat protectionniste.

La Vie des idées : Le tournant protectionniste radical sous Trump II semble totalement incompatible avec un soutien des grandes multinationales qui ont défendu sur un plan économique la mondialisation libérale, l’intégration économique européenne, l’avènement de l’OMC, la baisse des droits de douane et sur un plan politique se sont rangées, dans les discours du moins, au Global Compact et aux Objectifs du Développement Durable promus par l’ONU. Les mesures de Trump sont-elles perçues comme une « guerre » contre le business par les acteurs que vous étudiez ?

Janick Marina Schaufelbuehl : Il n’y a aucun doute que Trump n’était pas le candidat favori de la grande majorité des dirigeants du USCIB. Il s’oppose effectivement diamétralement à leurs objectifs les plus centraux : favoriser les institutions multilatérales, surtout l’OMC, baisser les droits de douane au niveau international, faciliter et protéger les investissements directs à l’étranger, accueillir les importations aux États-Unis, qui proviennent souvent de leurs propres filiales à l’étranger. Ce dernier point est significatif : il est estimé qu’actuellement autour d’un tiers du commerce mondial se fait à l’intérieur des multinationales, donc entre filiales et maisons-mères.

Les principaux dirigeant-e-s des grandes multinationales n’ont ainsi pas appuyé Donald Trump ni en 2016, ni en 2020, ni durant les dernières élections, comme le démontre le sociologue Paul Heideman. Un point révélateur à cet égard : parmi les PDG des entreprises Fortune 100 avec les chiffres d’affaires les plus élevés aux États-Unis, il n’y en a qu’un seul, Elon Musk, qui a contribué financièrement à la campagne de Trump. Cela ne veut pas dire que le milliardaire new-yorkais n’a pas eu d’autres soutiens du monde patronal, bien sûr. Ainsi, sa campagne a reçu plus de $75 millions de la part de patrons et d’entreprises dans le secteur du gaz et du pétrole. Il y a par ailleurs une série de « venture capitalists » (donc d’investisseurs en capital-risque) de l’industrie de la Tech, qui ont rejoint les rangs des admirateurs de Trump. Le journaliste Ben Tarnoff donne quelques précisions à ce sujet : Joe Lonsdale et Doug Leone, deux grands entrepreneurs de Silicon Valley ont chacun fait don d’un million de dollars à la campagne du Républicain. Peter Thiel, le cofondateur de Paypal, ne semble pas avoir soutenu la campagne de 2024, contrairement à celle de 2016, mais il continue de maintenir des relations étroites avec le vice-président J. D. Vance, qu’il avait parrainé durant ses débuts dans l’industrie de la Tech.

Il faut toutefois nuancer une représentation de cette industrie comme étant collectivement derrière Trump. Une grande partie de ses représentants restent adeptes d’une politique de libre-échange et de libre-investissements, mieux représentée durant la campagne présidentielle dernière par les démocrates Joe Biden et Kamala Harris. L’on peut ainsi rappeler que Harris a organisé une collecte de fonds à Silicon Valley le 11 août 2024 qui lui a rapporté la somme impressionnante de 13 millions de dollars en un seul après-midi. Et parmi les administrateurs actuels de l’USCIB on trouve Brad Smith, président de Microsoft Corportation, un poids lourd de la Tech, ou encore des dirigeants de Amazon et Google. Le président du conseil d’administration de l’USCIB est lui-même un patron de la Tech. Eric Loeb est en effet le vice-président exécutif de Salesforce, une entreprise à San Francisco spécialisée dans les logiciels cloud qui est classée dans les premières 150 entreprises les plus fortunées du pays.

Après l’arrivée de Trump à la présidence en début d’année, il a défendu les intérêts spécifiques de l’industrie de la Tech. Ainsi, le 25 août 2025, il a fait une déclaration menaçant d’imposer des droits de douane supplémentaires aux pays qui appliqueraient des réglementations numériques jugées nuisibles aux firmes américaines, menace qui semble en particulier viser l’Union européenne. La situation est ainsi complexe. D’une part, il y a les mesures du gouvernement Trump qui contrarient les grands patrons « globalisateurs », notamment les droits de douane prohibitifs annoncés lors du « Liberation Day » du 2 avril 2025 et de manière plus générale l’imprévisibilité significative que l’entrepreneur new-yorkais introduit dans la politique économique étatsunienne. D’autre part, plusieurs volets de sa politique leur bénéficient. Ainsi, les administrateurs de l’USCIB ne s’offusquent certainement pas de la déréglementation dans le domaine de la protection environnementale, des baisses d’impôts importants de la « One Big Beautiful Bill », loi budgétaire de juillet 2025, ou encore de manière plus générale de la politique antisyndicale de Trump 2.

Il est intéressant de comparer la situation actuelle à celle du premier mandat de Reagan, quand ce dernier a imposé des mesures protectionnistes, doublant pratiquement les parts de l’économie concernées par des restrictions commerciales. À l’époque, c’est surtout la compétition japonaise qui était au centre de la politique économique de Washington, alors qu’aujourd’hui c’est la République populaire de Chine qui a repris ce rôle. L’administration Reagan adopte aussi d’autres mesures qui ne correspondent pas aux dogmes de l’USCIB, par exemple, elle réduit les subsides à l’Eximbank, une agence gouvernementale qui soutient les exportations des grandes entreprises américaines par l’octroi de crédits. Or, durant ces années, les dirigeants de l’USCIB se font plutôt discrets et continuent, à l’écart de l’actualité politique, de faire avancer leur projet de libéralisation des services dans le cadre du GATT. La situation actuelle me paraît comparable. Nous n’avons pas vu des interventions publiques du grand patronat étatsunien pour condamner les droits de douane, par exemple. Toutefois, il y a fort à parier que les membres de l’USCIB sont occupés, comme durant les dernières quatre-vingts années, à faire avancer leur agenda d’un retour à un système commercial mondial fondé sur des règles imposées par les grandes organisations multilatérales que sont notamment l’OCDE et l’OMC.