Un rempart d’acier contre l’acier des autres ? Confrontée aux tarifs américains et au dumping chinois, la Commission européenne assume de fermer davantage ses frontières pour éviter l’effondrement d’une industrie stratégique. Le durcissement de sa clause de sauvegarde sur l’acier est attendu par un secteur en crise et par les grandes capitales.

La clause de sauvegarde, instaurée en 2019, lors du premier mandat Trump, et durcie une première fois en avril 2024, connaît aujourd’hui un renforcement majeur. De toute façon, il fallait la réviser, car la clause actuelle allait expirer en juin 2026. Les quotas d’importation seront réduits de près de 50 %, ne laissant ouvert qu’environ 10 % du marché européen.

Au-delà, les droits de douane doubleront, passant de 25 à 50 %. Une règle melted and poured (« fondu et coulé ») visera à empêcher les contournements. Cette mesure, contrairement aux précédentes, sera pérenne. Le coût pour les consommateurs est jugé limité : environ 50 euros par voiture, 1 euro sur une machine à laver, soit une hausse moyenne de 3 %. Un « prix raisonnable de la souveraineté », selon Bruxelles.

Séjourné : « On ne décarbone pas en désindustrialisant »

« Il s’agit de la clause de sauvegarde la plus robuste jamais présentée », a annoncé le commissaire à l’Industrie, Stéphane Séjourné. En avril dernier, la clause avait été retouchée pour réduire les importations d’environ 15 %, mais, de toute façon, le rendez-vous de 2026 pour une refonte majeure était programmé. La dégradation du contexte – tarifs Trump, crise de l’automobile, coût de l’énergie – justifie d’autant plus de serrer les boulons, mais le calendrier de révision était, de toute façon, déjà fixé.

L’Union assume ce virage protectionniste tout en le distinguant de l’approche américaine. « Nous ne faisons pas du Trump », prévient le commissaire français, insistant sur le maintien de quotas substantiels – 18 millions de tonnes – et de traitements préférentiels pour certains pays.

Le discours officiel articule souveraineté industrielle, emploi et transition écologique. « On ne décarbone pas en désindustrialisant », rappelle-t-il. L’Europe tente ainsi de préserver une industrie qui emploie 300 000 personnes directement et 2,5 millions indirectement. Un secteur aux racines profondes : la Communauté européenne du charbon et de l’acier fut en 1951 le socle du projet européen.

Un secteur en crise et en mutation

Les chiffres témoignent de l’urgence. « Nous avons perdu 60 millions de tonnes de notre capacité de production depuis 2008. Nous sommes la seule région au monde où la production est en baisse, » alertait le commissaire au Commerce, Maros Sefcovic. En 2024, l’Union européenne a perdu 18 000 emplois directs dans la sidérurgie.

« Tous les sites européens sont à risque de fermeture si rien n’est fait », a prévenu, le 22 janvier dernier, Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, devant les députés français. Thyssenkrupp a annoncé, en novembre 2024, la suppression de 11 000 postes d’ici à 2030, soit 40 % de ses effectifs allemands. En France, ArcelorMittal a reporté puis revu à la baisse son projet de four électrique à Dunkerque (Nord), un investissement à 1,2 milliard d’euros (au lieu de 1,8 milliard). L’alerte est chaude.

L’industrie européenne subit un effet ciseaux redoutable. D’un côté, les États-Unis lui ferment progressivement leur marché. Donald Trump a rétabli, en février 2025, des droits de douane de 25 % sur l’acier et l’aluminium, supprimant toutes les exemptions dont bénéficiait notamment l’Union européenne.

Puis, fin mai, il a annoncé le doublement de ces tarifs à 50 %, une mesure entrée en vigueur le 4 juin. Résultat : début octobre 2025, l’acier se négocie à environ 800 dollars la tonne aux États-Unis, contre 670 dollars en Europe fin août et 480 dollars en Chine. L’écart de prix témoigne de l’effet protectionniste des tarifs américains.

De l’autre côté, les surcapacités asiatiques menacent d’inonder le Vieux Continent. La Chine produit à elle seule 55 % de l’acier mondial – 819 millions de tonnes en 2024 –, contre 6,8 % pour l’Union européenne. « La Chine a exporté 100 à 120 millions de tonnes en 2024, soit l’équivalent de toute la consommation européenne », souligne le patron d’ArcelorMittal France. Avec la fermeture du marché américain, ces flux risquent de se reporter massivement sur l’Europe.

L’Union pourrait perdre 3,7 millions de tonnes d’exportations vers les États-Unis, son deuxième marché. Pourtant, entre 2019 et 2024, ses ventes vers l’Amérique avaient bondi de 51 %. Dans le même temps, les importations en provenance de l’Inde ont explosé de 89 %.

Trump ne répond pas à l’offre d’alliance anti-Pékin

La stratégie européenne ne se limite pas à dresser des barrières. Le commissaire au Commerce, Maros Sefcovic, tente de transformer l’affrontement avec Washington en une alliance occidentale contre Pékin. « Ne ciblons pas les secteurs de l’acier de l’autre. Essayons de travailler ensemble et de nous attaquer au véritable problème : la surcapacité mondiale », a-t-il plaidé en février à Washington.

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Un argument rationnel plaide en ce sens : la production européenne, « très spécialisée », reste « nécessaire aux entreprises américaines ». L’Europe produit, en effet, un acier de haute qualité indispensable à l’aéronautique américaine. Dès lors, la guerre commerciale engagée par Donald Trump n’a pas d’autre conséquence que d’augmenter les prix pour les entreprises américaines…

L’ennemi commun aux Européens et aux Américains serait, dès lors, les 600 millions de tonnes de surcapacités mondiales, implicitement chinoises. Mais, pour le moment, l’administration Trump n’a pas répondu favorablement à l’offre de coopération européenne.

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