Par
Inès Cussac
Publié le
22 avr. 2025 à 18h54
Ils devaient rester six mois, ils sont restés cinq ans. Les équipiers du café-restaurant Café Joyeux vont quitter l’avenue des Champs-Élysées, à Paris (8e). L’entreprise qui emploie plus de 60 % de personnes porteuses de handicap mental ou cognitif, avait ouvert un établissement au numéro 144 de la célèbre artère commerçante en 2020. Le président Emmanuel Macron avait même fait le déplacement pour inaugurer ce vaste établissement de 300 mètres carrés, devenu au fil du temps le flagship de la chaîne de restauration. Mais en 2023, après avoir été racheté par un fonds d’investissement, l’immeuble est finalement tombé dans le portefeuille immobilier du groupe LVMH. Le numéro un mondial de l’industrie du luxe, appartenant à Bernard Arnault, a déposé un permis de construire pour remodeler le bâtiment. Les travaux doivent commencer cet été et prendre fin en 2026. Le renouveau de l’immeuble 144-150 avenue des Champs-Élysées s’esquisse sans le restaurant Café Joyeux.
Le café sauvé par le Covid-19
« Café Joyeux n’est que locataire. Donc quoi qu’il arrive, les enseignes non luxueuses sont obligées de quitter les lieux à cause des loyers très chers », observe la maire du 8e arrondissement, Jeanne d’Hauteserre (LR). Il faut effectivement compter près de 16 000 euros le mètre carré par an pour avoir sa place sur l’avenue des Champs-Élysées, selon le spécialiste de l’immobilier commercial Knight Frank. Pour rappel, le groupe LVMH avait déboursé un milliard d’euros afin d’acquérir ce bien de 20 000 mètres carrés. Le projet de réhabilitation vise à transformer le bâtiment en bureaux et commerces. In fine, l’arrivée puis le maintien de Café Joyeux à deux pas de l’arc de Triomphe relèvent presque de l’exploit.
Tout commence en 2019, lorsque Groupama immobilier alors propriétaire des murs, envisage d’y établir un hôtel Sofitel 5 étoiles. En attendant le lancement des travaux prévu l’été suivant, la société d’assurance veut en faire profiter autrui après avoir évincé la pizzeria Vesuvio. « Au moment où la pizzeria est partie, le local était vide. On aurait pu faire ce que font certains, c’est-à-dire le louer en précaire pour en faire un pop-up store par exemple », retrace Astrid Weill, actuelle directrice générale de Groupama immobilier et ex-directrice du développement et des grands projets du groupe. « Parce qu’on avait entendu parler de Café Joyeux, on a choisi de rencontrer Yann Bucaille-Lanrezac [le cofondateur du Café Joyeux, ndlr] et de lui proposer de lui prêter le local pour une durée de six mois », ajoute-t-elle.
Les clés sont donc remises à l’entrepreneur qui ne paye ni loyer ni charge. La crise sanitaire liée au Covid-19, le confinement et les couvre-feux successifs ont retardé les travaux prévus par Groupama qui propose à son convive de rester encore un peu. « À l’issue de cette période, ils n’avaient pas pu en profiter et puis nous, nous n’avions pas pu démarrer les travaux. Donc, on a prolongé pour six mois, puis pour trois mois, puis pour un an et puis, voilà, on a vendu l’immeuble », se souvient Astrid Weill. « Les Gilets jaunes et le Covid-19 ont impacté le projet d’hôtel 5 étoiles », précise Jeanne d’Hauteserre.
Une opération d’envergure
Le départ du propriétaire est annoncé en septembre 2022. L’investissement total qui comprend l’achat de l’immeuble et la fin des travaux est estimé à 800 millions d’euros, un record à l’époque. Et pour Groupama, c’est le gros lot. Le groupe avait acquis l’immeuble au lendemain de la crise de 2008 et réalise ainsi une plus-value comptable de 400 millions d’euros. L’acquéreur, un fonds d’investissement nommé Cheval Paris, va finalement céder le bien un an plus tard à LVMH. Pour un milliard d’euros, le groupe de luxe devient propriétaire de l’immeuble dont la façade est la plus longue de l’avenue des Champs-Élysées.
Si Café Joyeux ballotte depuis son ouverture, au gré des décisions politiques et économiques, le bateau commence à sérieusement tanguer en décembre 2023 avec les projets de chantier de Bernard Arnault. En multipliant les acquisitions sur les Champs-Élysées, LVMH est devenu l’un des plus gros propriétaires de l’avenue, véritable vitrine de Paris et plus largement de la France.
L’avenue la plus connue
Après Groupama puis Cheval Paris, c’est au tour de LVMH de prendre en main l’avenir de Café Joyeux sur les Champs-Élysées. Sauf que, cette fois, les travaux vont bel et bien s’accélérer dès cet été, causant la fermeture du restaurant solidaire. « L’adresse des Champs-Élysées leur a permis une visibilité. Le restaurant s’est fait connaître parce qu’il est sur cette avenue », rappelle Jeanne d’Hauteserre. « Mais ce sont des fonds privés […]. Nous n’avons pas beaucoup de pouvoir », regrette la maire du 8e arrondissement qui plaide pour une diversité des enseignes sur l’axe reliant l’arc de Triomphe à la place de la Concorde.
Cinq ans après avoir repeint en jaune et noir les anciens murs rouges de la pizzeria italienne, le spécialiste du café peut se réjouir d’être resté si longtemps à côtoyer les enseignes de plus en plus luxueuses de l’artère parisienne. « Parfois, on dit que c’est la plus belle avenue du monde. Ça, je ne sais pas. En revanche, elle est connue du monde entier […]. Ça a donné beaucoup de visibilité et ça a eu un effet catalyseur de l’action de Yann Bucaille-Lanrezac pour le handicap. C’est ce qui a boosté Café Joyeux à cette période-là », souligne Astrid Weill.
L’expérience des Champs-Élysées rappelle celle du boulevard de la Madeleine. En 2021, l’entreprise Genica avait permis aux équipiers de servir des cafés durant deux ans et demi avant la transformation du lieu en fonds de commerce pour la filiale de Volkswagen, Cupra. À New York aussi, depuis mars 2024, l’entreprise qui compte désormais 27 adresses s’est fait « prêter » un espace au milieu des gratte-ciel américains, grâce au promoteur immobilier Boston Property Group. Ce bail dans l’une des villes les plus chères du monde est cette fois pour dix ans.
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.