En accueillant l’opéra de Philip Glass « Satyagraha » six mois avant Paris où il sera donné au printemps, l’opéra de Nice a créé l’événement musical et lyrique du début de saison en France. Pour beaucoup, une découverte lumineuse.
Opéra immersif, les projections d’Etienne Guiol ont entraîné le public dans l’univers onirique de l’œuvre © Julien Perrin
« Satyagraha » c’est l’histoire du combat non-violent de Gandhi aux côtés de ses compatriotes travailleurs immigrés en Afrique du Sud. Un combat pour les droits et la dignité appelé aussi « La marche du sel ». Découvrant cet épisode historique, ainsi que l’action de Gandhi dans le même temps, le compositeur américain Philip Glass n’a eu de cesse d’espérer une commande afin de composer un opéra sur ce thème. Et en 1980, c’est à Rotterdam qu’il fut créé avant d’être repris à New-York et Londres. Tiré d’un épisode du Mahabharata, le livret, écrit et chanté en sanskrit prône une vie harmonieuse et simple attachée à la vérité pour contester et résister à l’oppression par la non-violence. C’est donc à une première en France que le public était convié… Et quelle première !
Paix et sérénité
Fascinant, envoûtant, lumineux, magique… Quatre ans après les représentations de « Akhnaten », autre chef-d’œuvre de Glass, Bertrand Rossi, le directeur de l’opéra de Nice, refait se braquer les projecteurs sur sa maison lyrique. Lucinda Childs, chorégraphe et metteuse en scène, a souvent travaillé pour Philip Glass dont elle connaît parfaitement l’univers et la musique minimaliste et répétitive.
Avec le vidéaste Etienne Guiol, elle réalise un spectacle immersif à 360 ° et propose des chorégraphies empreintes de sérénité parfaitement servies par les membres du ballet de l’opéra de Nice. Difficile de ne pas être happé par cet environnement onirique créé par les projections mais aussi par des déplacements posés et harmonieux des protagonistes sur scène . S’il est ici question de lutte sociale, in fine c’est la paix et la sérénité qui triomphent nous laissant dans un état second au moment de retrouver la vraie vie au cœur de Nice.
Performance musicale
L’autre artisan du succès est sans conteste le directeur musical, Léo Warynski. Il est un spécialiste de la musique de Glass qu’il a déjà enregistré au disque et cette connaissance lui permet d’aborder cette partition de Satyagraha ( trois actes de 40 minutes chacun) sans faillir. Car cette partition a la particularité, comme souvent chez le compositeur, de jouer sur de très longs moments, n’offrant que très peu, ou pas du tout, de pause. Le travail du chef est énorme pour maintenir l’attention, la tension et les tempi dans la fosse, mais aussi sur scène où les voix sont elles aussi sollicitées dans la continuité. Léo Warynski s’appuie ici sur l’engagement total des instrumentistes, du chœur de l’opéra de Nice et des solistes; le résultat est envoûtant.
Casting exceptionnel
Dimanche en fin d’après-midi, la représentation de Satyagraha a obtenu un immense succès à Nice. © M.E.
Pour cet événement, Bertrand Rossi a composé un casting idéal d’une grande homogénéité. D’une «zénitude » absolue, le Gandhi de Sahy Ratia, jeune ténor malgache, semble habité par son rôle, affichant couleurs et qualités vocales associées à une grande prestance. A ses côtés le trio féminin composé de Melody Louledjian, Karen Vourc’h et Julia Robard-Gendre est précis, la première impressionnant avec des aigus percutants, la deuxième vocalement lumineuse et la troisième, somptueuse mezzo dont la puissance et la ligne de chant n’ont pas été mis à défaut. Jean-Luc Ballestra, Frédéric Diquero et Angel Odena, ont eux aussi apporté avec sens et limpidité leur pierre à cet édifice hors du commun.
Un grand moment hors du temps, serein et fascinant dont nous avions bien besoin par les temps chaotiques qui courent…
Michel EGEA