Pendant près de 50 ans, l’Union soviétique, puis la Russie, héritière de son programme, fut l’incarnation parfaite de la conquête spatiale à elle seule. Elle fut la première, en 1961, à envoyer un homme dans l’espace, Youri Gagarine, à réaliser, quelques années plus tard, la première sortie extravéhiculaire et à mettre en orbite la toute première station spatiale habitée en 1971 : Saliout 1. À l’époque, le monde entier, et surtout la NASA, levait les yeux vers les exploits que Moscou abattait un-à-un, fort du savoir-faire des ingénieurs soviétiques et d’une politique d’État redoutablement efficace.

Cette hégémonie semble être sur le point de s’achever, et le pays détourne peu à peu le regard du cosmos, pris au piège de ses choix militaires, des sanctions internationales et de son retard technologique.

En septembre 2025, Vladimir Poutine s’est rendu dans la ville de Samara, haut lieu de l’industrie aéronautique russe. Le président était là pour rappeler que son pays n’a jamais quitté cet âge d’or, que la flamme soviétique doit encore briller, avec un objectif clair : le secteur aérospatial doit absolument être relancé. « L’URSS fut triomphante lorsqu’elle partit à la conquête de l’espace, il doit en être de même pour la Russie », tel était le message sous-jacent à sa visite. Une mise en scène patriotique, et peut-être l’un des derniers vestiges d’un empire qui fut maître du ciel et qui se retrouve aujourd’hui cloué au sol.

Sanctions, guerre et pénurie : un empire qui se délite

Depuis que les troupes russes ont franchi les frontières de l’Ukraine, la Russie a été isolée sur le plan diplomatique, ce qui a eu pour effet indirect de priver de ressources vitales son industrie aérospatiale. Dès l’annexion de la Crimée en 2014, les sanctions occidentales avaient déjà commencé à priver Moscou de composants essentiels à la fabrication de ses fusées et de ses satellites (microcomposants, systèmes de guidage, matériaux composites, etc.).

Roscosmos, l’agence spatiale russe, tente de relocaliser la fabrication des moteurs, des systèmes de contrôle et des équipements de bord, mais les sanctions ont fragilisé la chaîne industrielle nationale. Les usines de Samara et de Voronej tournent à flux tendu, le manque de pièces importées et de capitaux étrangers étrangle la production. Malgré ces efforts, Roscosmos est plongée dans la pire crise financière de son histoire depuis sa naissance en 1992.

Aujourd’hui, l’industrie russe éprouve d’immenses difficultés à développer et à produire une nouvelle génération de moteurs de fusée compétitifs, et en face, l’industrie aérospatiale étrangère, elle, ne s’est jamais aussi bien portée. SpaceX a transformé l’espace en autoroute commerciale avec ses lanceurs réutilisables ; la NASA prépare l’ère martienne avec son réacteur nucléaire ; l’ESA met au point des moteurs sans carburant (propulsion ionique) ; et l’Inde trace sa propre voie vers la Lune avec ses programmes Chandrayaan et Gaganyaan. Une effervescence devant laquelle la Russie ne peut rester qu’immobile.

Alors que tout ce beau monde vise les étoiles et au-delà, la Russie multiplie les faux départs : ses satellites sont lancés avec des mois de retard, sa mission lunaire est avortée (Luna 25) et ses programmes suspendus par manque de budget. Avec l’invasion de 2022, les États-Unis ont cessé d’acheter les moteurs russes RD-180 de l’entreprise NPO Energomash, qui équipaient leurs fusées Atlas V. C’était un partenariat vieux de plus de vingt ans, aujourd’hui caduc, victime de la guerre et du désanchantement.

Ce contrat, né dans l’euphorie post-soviétique, symbolisait la réconciliation technologique des anciens adversaires. C’était l’un des rares domaines où l’esprit martial avait cédé sa place à la collaboration. Pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, la Russie ne participe plus à aucun projet spatial occidental, la laissant sans poids ni voix sur la conquête spatiale hors de ses frontières.


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Le rêve spatial russe en apesanteur

La Russie a perdu son prestige et son rôle historique dans la grande aventure humaine de l’espace, alors qu’elle en avait été la colonne vertébrale pendant plusieurs décennies. Après 2011, quand les navettes américaines ont cessé de voler, la Russie est devenue, pour un temps, le seul passeur vers l’ISS avec ses fusées Soyouz. Le vieil ennemi de la guerre froide faisait office de transporteur officiel des astronautes de la NASA. Une époque désormais révolue, balayée par la guerre, les sanctions et l’arrivée de concurrents comme SpaceX depuis 2020.

Pour remplacer la coopération internationale, Roscosmos mise sur ROSS (Russian Orbital Service Station), une station orbitale entièrement russe censée représenter pour le pays un certain « retour à l’autonomie ». Moscou la présente comme un acte de souveraineté, mais en réalité, elle a été contrainte à l’isolement des grands projets spatiaux internationaux. Une marginalisation qu’elle cherche à transformer en victoire techno-politique, mais qui, pour le moment, n’a abouti à rien de concret.

À Korolev, banlieue de Moscou devenue le centre névralgique du spatial russe, les ingénieurs poursuivent leurs travaux, mais les lignes de production tournent au ralenti. À Baïkonour, le mythique cosmodrome des steppes kazakhes, berceau de la conquête spatiale soviétique, les fusées Soyouz et Proton attendent des composants qui ne viendront pas. L’embargo généralisé prive la Russie des matériaux occidentaux indispensables à la propulsion et au guidage de ses appareils, l’enlisant dans une crise industrielle qui ne semble pas avoir de fin.

Les jeunes ingénieurs préfèrent s’envoler vers des destinations plus propices, où ils pourront exercer leur métier sans payer le prix des décisions géopolitiques de leur despote : l’Allemagne, Dubaï ou la Chine. Voilà pourquoi les différents programmes (Luna 25, Angara, ROSS) ne prennent pas leur envol.

Le rêve spatial soviétique s’est lentement éteint et le cosmos n’est plus qu’un vague souvenir pour le pays. Aujourd’hui, la Russie le regarde avec la lassitude d’un empire épuisé, conscient d’avoir perdu le seul domaine où il pouvait encore rivaliser avec l’Occident. Revenir dans la course supposerait de presque tout reconstruire : la confiance des acteurs internationaux, le socle technologique et une vraie politique spatiale. Trois ressources dont Moscou ne dispose plus ; elle n’est plus qu’une ancienne puissance, condamnée à rester spectatrice de la nouvelle course à l’espace, menée par SpaceX, la NASA, l’ESA et l’Inde. Dans le ciel du XXIᵉ siècle, il n’y a malheureusement plus de place pour les fantômes de la Guerre froide.

  • L’isolement diplomatique et les sanctions ont gravement affaibli l’industrie spatiale russe, désormais privée de technologies et de partenaires étrangers.
  • Roscosmos tente de maintenir une illusion d’autonomie avec son projet de station ROSS, mais la plupart des programmes stagnent ou échouent faute de moyens.
  • Après avoir longtemps dominé la conquête spatiale, la Russie est aujourd’hui marginalisée, dépassée par les États-Unis, l’Europe, l’Inde et les acteurs privés.

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