Par
        
            Brian Le Goff
        
Publié le
7 oct. 2025 à 18h18
Elle rit avant même de parler. « Je m’appelle Denise Relou et c’est mon vrai nom », lance-t-elle d’emblée, malicieuse. À 93 ans, Denise Relou, fondatrice avec son mari Auguste de la célèbre auto-école Relou Conduite à Rennes, est une mémoire vivante de la ville et de l’automobile. Première femme monitrice d’auto-école en France, mais aussi pilote de course, elle raconte sept décennies d’une vie menée tambour battant, entre la rigueur de l’enseignement et l’adrénaline du rallye.
Des débuts dans le Rennes des années 1950
Retour en 1952 dans la capitale bretonne, Denise n’a alors que 20 ans. D’ailleurs, à cette époque, on l’appelait davantage Hélène. « Je travaillais dans un hôtel quatre étoiles, rue Duguesclin. La femme du patron s’appelait également Denise et, à chaque fois qu’il l’appelait, je répondais. Alors, il m’a dit que ça ne pouvait pas continuer et j’ai donc choisi un autre prénom quand je travaillais là-bas. »
    
    Auguste Relou, fondateur avec sa femme de l’autoécole éponyme. (©Archives personnelles)
Après son travail, il lui arrivait de se rendre aux auto-tamponneuses sur le champ de Mars – aujourd’hui l’esplanade Charles de Gaulle. « Un jour, on m’a dit : ‘Attends, il y en a un qui va arriver avec sa 4 CV’. C’était Auguste. Très rapidement, on s’est très bien entendu. »
À l’époque, il vendait du vin aux cafés et militaires. Moi, j’étais serveuse. Je suis parti une saison à Cancale, je travaillais sept jours sur sept et je n’avais le droit qu’à une demi-journée tous les 15 jours pour aller me faire coiffer. Auguste m’a attendu, il m’écrivait presque tous les jours. Après cette saison, nous nous sommes mariés.
Denise Relou
Première femme monitrice d’auto-école, pilote de course, fondatrice avec son mari de Relou Conduite à Rennes
Naissance d’une aventure familiale
Auguste Relou trouve un nouveau travail. Il devient moniteur d’auto-école. Le début d’une longue histoire. « Il a trouvé quelqu’un de bien placé pour passer son examen et il a été embauché. »
Dès ses premières leçons, il apprend la conduite à la femme du directeur du garage Renault de l’époque. « Elle lui disait qu’il n’était pas payé cher pour le bon moniteur qu’il était et qu’il devrait ouvrir sa propre auto-école. C’est vrai qu’il avait une conduite parfaite. »
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Celle-ci va alors l’aider à obtenir sa première voiture d’auto-école. En 1956, Auguste Relou ouvre enfin son entreprise. « On a commencé au sein de la brasserie qui se nomme désormais La Taverne de la Marine. On disposait d’une table autour de laquelle on recevait les élèves. » Ces débuts vont durer quatre ans.
À l’époque, on passait le code et le permis en même temps. Les élèves avaient sept à huit heures de conduite en amont. C’était aussi plus simple, il n’y avait personne sur les routes.
Denise Relou
Co-fondatrice avec son mari de l’auto-école Relou Conduite à Rennes
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En 1960, le couple installe sa première agence rue Nantaise. « Il y avait avant un petit magasin qui a fermé ses portes. Au-dessus de nous, il y avait la clinique des berceaux. »
Très rapidement, l’auto-école compte 14 moniteurs et propose le permis rapide : le code le matin et la conduite l’après-midi, ou inversement. « Ça marchait bien, se remémore Denise Relou. Quand je voyais un élève qui ne savait pas suffisamment son code, je lui disais ‘Toi, tu vas lâcher une demi-journée de conduite’. Et on travaillait ensemble. J’essayais de faire rentrer dans leur tête tout ce qu’ils devaient savoir. »
La première femme monitrice d’auto-école de France
En 1964, Denise ne dit rien à personne. Elle s’entend très bien avec un inspecteur général du permis : « Il m’aimait beaucoup. » Un jour, ce dernier lui demande : « Pourquoi vous ne passeriez pas l’examen de moniteur vous aussi ? » Elle accepte. « Il m’a gardé une place à Paris. »
    
    Toujours aussi fière d’avoir été la première femme monitrice d’auto-école en France, Denise montre son certificat d’aptitude professionnelle datant de 1964. (© Brian Le Goff / actu Rennes)
La jeune femme devient ainsi la première femme monitrice d’auto-école de France. Une fierté qu’elle assume avec simplicité : « Je l’ai fait pour les femmes. À l’époque, il fallait qu’elles travaillent comme des dingues pour gagner leur vie, et beaucoup d’emplois leur étaient fermés faute d’avoir le permis. »
Pilote de course et pionnière du rallye
Mais Denise Relou ne s’arrête pas là. Dans les années 1960, comme son mari, elle entame également une carrière dans la course automobile, notamment sur le rallye Paris – Saint-Raphaël féminin auquel elle participe moult fois. « J’ai été la première femme à courir avec une Alpine. J’ai toujours été première de ma catégorie. On faisait beaucoup de conduites de nuit. Il m’arrivait d’enchaîner une ou deux courses à suivre. Dans le journal, une fois, c’était marqué ‘elle a fait Le Paris – Saint-Raphaël et elle courait le lendemain le rallye de La Baule’. »
    
    Denise avec l’une de ses coéquipières lors du Paris Saint-Raphaël, en 1970. (© Archives personnelles)
À la question « Quel plaisir procure le sport automobile ? », elle expliquera dans un article de presse datant de 1972, conservé dans ses archives personnelles : « J’ai besoin de participer à des rallyes. Mon seul regret, c’est de n’en faire que deux ou trois par an. C’est ma distraction principale. Rouler sur un circuit avec une voiture puissante constitue un test : cela permet de se rendre compte si l’on sait vraiment conduire ou non. Mais je respecte toujours les règles de sécurité. L’essentiel est de ne pas aller au-delà de ses possibilités. Une année, j’ai quitté la route au Ventoux. Sans casse, d’ailleurs. Mon mari a écrit à ma fille : ‘ta mère a osé sortir de la route !’ D’habitude, je ne fonce pas. »
Toujours prudente, jamais téméraire, Denise garde un souvenir ému de ses courses :
Ce qui me plaît énormément dans les rallyes féminins, c’est la possibilité de rencontrer des personnes de tous les milieux. […] D’autre part, les participantes du Paris – Saint-Raphaël sont très fair-play. J’apprécie la correction des automobilistes professionnels. Hélas, sur la route, chaque jour, tout casse l’envie de conduire : la peur du gendarme, les embouteillages. Et surtout le manque de discipline.
Denise Relou
Dans un article de presse de 1982
Un discours auquel la nonagénaire souscrit toujours aujourd’hui.
Une saga familiale qui perdure
L’année 1973 marque l’histoire de l’auto-école. Relou Conduite inaugure sa première piste d’apprentissage de la conduite à Chavagne « après avoir fait conduire durant neuf ans les élèves sur les aires abandonnées de l’aérodrome de Saint-Jacques », rappelle Denise Relou.
Cette piste existe toujours à Chavagne sur un terrain de cinq hectares. Dans les années 1980, Charles, fils de Denise et Auguste, crée la moto-école Relou.
En 1997, à un mois de la retraite, Denise est victime d’une double fracture du bassin à l’âge de 65 ans. Elle sera trois mois couchée en convalescence. Ce sont les deux filles qui reprennent la gestion de Relou Conduite. « J’ai arrêté parce que l’on m’a obligé à arrêter », relève-t-elle avec ironie.
En 2009, Rémi, le mari de Laurence, l’une des filles Relou, fonde lui la branche éco-conduite et permis remorque du groupe. En 2020, après avoir racheté un an plus tôt les auto-écoles ECSR, toutes les agences sont rassemblées sous la marque Relou Conduite. Et, à présent, c’est le petit-fils d’Auguste et Denise, Alexandre Le Quéré, qui est à la tête de l’entreprise familiale, qui compte une trentaine de moniteurs et qui fêtera ainsi ses 70 ans l’année prochaine.
Sa première contravention à 80 ans
Depuis, elle profite d’une retraite paisible, toujours espiègle et passionnée. « Ma première contravention, je l’ai eue le jour de mes 80 ans. J’étais seule sur la route, je n’ai pas vu un feu s’allumer… Les gendarmes ont rigolé aussi ! »
    
    Denise Relou, chez elle, avec les nombreuses archives de sa double carrière autour de l’automobile. (©Brian Le Goff / actu Rennes)
Elle conclut, un brin nostalgique : « À l’époque, vous faisiez Rennes-Paris à 200 à l’heure sans lever le pied. Les choses ont bien changé. »
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