Depuis plusieurs mois, l’administration Trump multiplie les envois de réservistes dans des villes dirigées par des démocrates, provoquant l’ire des élus locaux et une avalanche de recours judiciaires. Cette fois, le président a essayé de contourner une précédente interdiction sur les troupes locales en mobilisant 300 soldats californiens… dans l’Oregon. Une manœuvre jugée illégale par la juge Karin Immergut. D’après la magistrate, Portland, cible du milliardaire, ne représente aucun « danger de rébellion », malgré les manifestations opposées aux raids de l’ICE, l’agence fédérale anti-immigration aux Etats-Unis.

Historiquement, la Garde nationale relève des gouverneurs et son rôle consiste à intervenir lors de catastrophes naturelles, émeutes locales ou menaces sur la sécurité de l’État. « Elle est normalement placée sous l’ordre du gouverneur de l’État, qui dispose d’une souveraineté locale comparable à un mini-président : il a son gouvernement, sa cour suprême et ses forces de sécurité », abonde Cécile Coquet-Mokoko, professeure de civilisation américaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est donc rarissime qu’un président s’en empare, plus encore pour les déplacer d’un État à l’autre. « Ce serait un peu comme si l’Union européenne réquisitionnait des réservistes allemands pour réprimer des rassemblements en France », illustre l’experte.

Un tout-puissant pouvoir fédéral

Pour légitimer un tel contournement, le président républicain affirme donc que Portland est « en train de brûler » et que des « insurgés » y sévissent. « Donald Trump est dans l’hyperbole permanente ; il donne vraiment l’impression que le pays est en proie à une guerre civile » dans les grandes villes démocrates, souligne Manon Lefebvre, maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’université Paul Valéry Montpellier-3. « C’est assez ironique car, historiquement, les républicains reprochent aux démocrates de vouloir un pouvoir fédéral trop puissant, au détriment des pouvoirs locaux. Pourtant, aucun démocrate n’était allé aussi loin dans l’usage de la force fédérale à l’encontre des pouvoirs locaux », ajoute-t-elle.

En juin, des soldats de la Garde nationale ont été envoyés à Los Angeles pour réprimer des manifestations opposées aux raids migratoires, malgré l’opposition du gouverneur démocrate Gavin Newsom. Puis en août, environ 2.000 soldats ont été envoyés à Washington D.C. Donald Trump a également autorisé des déploiements à Chicago, Baltimore, New York ou encore La Nouvelle-Orléans. Les zones « bleues » semblent spécifiquement visées.

Une criminalité pourtant en baisse

« Le président veut continuer à tenir son discours de campagne selon lequel il a été mis au pouvoir pour mettre un terme au chaos aux Etats-Unis, quitte à créer le chaos là où il n’existait pas », accuse Cécile Coquet-Mokoko. À Washington D.C. par exemple, où il a invoqué une litanie de crimes violents, ces derniers ont chuté de 26 % en 2025, et les homicides de 12 %, d’après la police locale.

Dans ce contexte, l’usage de la Garde nationale flirte dangereusement avec les limites constitutionnelles. La loi Posse Comitatus interdit l’utilisation des forces armées fédérales pour le maintien de l’ordre interne, et une série de décisions judiciaires a bloqué ces déploiements illégaux. Donald Trump tente néanmoins d’exploiter des biais légaux et des ordres exécutifs pour contourner ces restrictions.

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Un scénario qui rappelle certaines interventions militaires fédérales des années 1960, lors des luttes pour les droits civiques, mais dans un cadre bien différent. « Le président Eisenhower l’avait fait pour protéger des élèves noirs dans des lycées récemment déségrégués. Mais ici, cette pratique semble déployée pour faire peur et empêcher les Américains de manifester », dénonce Manon Lefebvre.

En multipliant ces déploiements, mais aussi les déclarations alarmantes (et souvent fausses), l’administration Trump cherche à convaincre sa base que seules ses troupes sont capables de « protéger l’Amérique ». Or, « Donald Trump ne prétend pas être le président de tous les Américains, mais uniquement de ses partisans. Les autres sont considérés comme des ennemis contre lesquels il faut mobiliser la force armée », souligne Cécile Coquet-Mokoko. Pour elle, l’idéologie du républicain est claire : ceux qui sont en désaccord sont des « ennemis de l’Amérique ». Car « l’Amérique, c’est lui ».