Depuis le 2 octobre 2024, les assurées des CPAM de Loire-Atlantique et de Vendée partagent leurs expériences sur un groupe Facebook public : Les sinistrés de la CPAM 44 & 85. La plupart d’entre eux sont en arrêt maladie ou en mi-temps thérapeutique et disent subir depuis des mois, les dysfonctionnements du logiciel Arpège, en expérimentation dans les deux départements. L’outil, qui pourrait s’étendre à échelle nationale, est accusé d’être à l’origine d’absence ou de très longs retards de versements des indemnités journalières (IJ) de ses assurés.

« Accident du travail, je n’ai plus rien depuis avril », écrit Sophie dans une publication. « J’ai fait appel à un défenseur des droits pour mes IJ qui ne sont plus payées depuis fin mai », ajoute un utilisateur anonyme. « En maladie professionnelle depuis le logiciel Arpège plus d’indemnités journalières depuis le 18 avril 2025, je vis seule avec mes enfants dont je ne peux pas payer l’école, les vêtements… », lance un autre membre. Ces témoignages, Audrey M. en voit passer des dizaines chaque jour. Comme d’autres assurés, elle confie s’être retrouvée « dans une situation d’extrême précarité » à la suite d’un souci de santé.

300 euros en six mois

Cette Nantaise est tiraillée entre fatigue et soulagement. Il y a deux jours, Audrey, juriste de formation et salariée d’une association de défense de personnes exilées, a reçu plusieurs acomptes de la CPAM de Loire-Atlantique, « environ 1.000 euros éparpillés en plusieurs versements ». Opérée de la hanche en février, elle a d’abord été en arrêt maladie pendant deux mois. En convalescence, elle a repris le travail en mi-temps thérapeutique « en accord avec son entreprise et l’Assurance maladie ». Mais entre avril et fin septembre, elle affirme avoir touché « un seul versement de 300 euros ».

« Ces retards ont des conséquences graves », souligne la juriste qui pointe son incapacité à régler certaines de ses factures à temps, ses difficultés pour assurer les frais de vie quotidienne et l’angoisse permanente de se retrouver dans une situation de surendettement. « Mes IJ devraient représenter 400 à 500 euros par mois mais elles n’arrivent jamais », lance celle qui ne perçoit que la moitié d’un salaire, « trop souvent, je me suis retrouvée avec le frigo vide, j’ai un fils que je ne peux pas toujours nourrir ».

« Double peine »

Ce nouveau fonctionnement entraîne une précarisation directe des personnes déjà fragilisées par la maladie : « Etre pénalisée financièrement parce qu’on est malade est une double peine, stipule Audrey M., le mi-temps thérapeutique est un droit, l’opération je ne l’ai pas choisie. » Née avec une malformation, l’assurée dit avoir besoin d’un suivi régulier dont elle ne peut plus bénéficier par manque de moyen. « Pendant des mois je n’ai pas pu aller chez mon chirurgien et honorer mes visites post-opératories », détaille-t-elle. Les quelques acomptes perçus lui serviront à prendre ces rendez-vous, des versements qui interviennent après « de longs mois de combat ».

Pendant plusieurs semaines, Audrey M. dit avoir appelé l’organisme de santé quotidiennement. « D’abord, on affirmait qu’il manquait des pièces à mon dossier. Pièces que j’ai pourtant transmises à plusieurs reprises. Ensuite, on m’assurait que mon cas allait être examiné en urgence, raconte la quarantenaire, je me suis vite rendu compte que tout cela était faux. » Les appels ne portant pas leurs fruits, Audrey M. décide en septembre de se déplacer sur le site de la CPAM malgré ses douleurs à la hanche. « Je me suis effondrée plusieurs fois en larmes devant les conseillères », se souvient la Nantaise. Sur place, ses interlocuteurs rejettent la faute sur le nouveau logiciel de l’Assurance maladie.

25 % des réclamations à échelle nationale

« Le logiciel a été annoncé comme présérie et doit normalement se déployer sur les 99 autres caisses primaires », détaille Pascal Cayeux, représentant syndical CGT de la CPAM 44. « Tout de suite, on a eu très peur », se rappelle-t-il. A l’annonce du projet en 2020, son syndicat alertait déjà sur les potentielles défaillances de cette bombe à retardement « pour les assurés comme pour les salariés ». Un outil lancé « sans être abouti » et « sans mode opératoire », estime le syndicaliste qui dépeint une « situation catastrophique » sur le territoire.

« Cette présérie a malheureusement été entachée d’un certain nombre d’anomalies empêchant l’indemnisation d’une partie des arrêts de travail pour laquelle des solutions de versement d’acompte ont dû être mises en œuvre », avoue la CPAM de Loire-Atlantique qui admet ne pas être « encore au rendez-vous des attentes légitimes de (ses) publics ». Depuis plusieurs mois la caisse primaire locale force constate la « dégradation de délai des traitements d’une partie des arrêts de travail » ainsi qu’un « volume de sollicitations important des assurés ». Selon Pascal Cayeux, à elle seule, la Loire-Atlantique enregistre 14.000 réclamations d’assurés. Si on ajoute celles de Vendée, ce sont « 25 % des réclamations de l’ensemble des caisses primaires qui sont concentrées sur ces deux départements », affirme et affine-t-il.

Remédier à la situation

La CPAM de Loire-Atlantique dit vouloir remédier à cette situation en corrigeant l’ensemble des anomalies identifiées dans Arpège et en simplifiant les modalités de traitement de certains dossiers tout en finalisant d’ici la fin du mois d’octobre « la reprise des arrêts de travail dont la bascule n’a pas pu se faire correctement » sur le logiciel.

Dans le groupe Facebook des assurés victimes d’Arpège, un prétendu salarié de la CPAM affirme que l’outil informatique à l’origine de ce chaos devrait finalement être abandonné « comme vous vous en doutez, ça va prendre des mois voire des années », écrit-il. La CPAM de Loire-Atlantique n’a pas confirmé cette information. « Ce serait un désaveu cinglant » de la part de la direction « d’annuler le lancement d’un logiciel à plusieurs millions d’euros sur lequel les techniciens travaillent depuis des années », soutient Pascal Cayeux.

De son côté, la CPAM de Vendée n’a pas répondu à nos sollicitations. L’outil qui devait s’étendre à échelle nationale début 2025, puis courant 2026 n’a finalement plus de date de lancement.