Qui se cache derrière cet écran ? Il pourrait bientôt être plus facile de le savoir. Scanner les conversations privées pour lutter contre la diffusion de contenus pédopornographiques et la sollicitation d’enfants par des pédocriminels, c’est l’objectif du projet de réglement CSAM (Child Sexual Abuse Material) débattu le 8 octobre par les pays membres de l’Union européenne.

Outre-Rhin, le texte est loin de faire l’unanimité. En témoigne la une de la Tageszeitung (TAZ), qui titre sur les “interférences numériques invasives” qui se profilent. “L’Union chrétienne-sociale (CSU) – branche bavaroise de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) – souhaite que l’Allemagne approuve le texte européen controversé, annonce le quotidien allemand de gauche. Les experts craignent, eux, une surveillance totale des services de messagerie.” Dans ce contexte, “une résistance s’organise”, complète le journal.

En Suisse, la RTS décrit le fonctionnement du dispositif : “La proposition […] obligerait les services de messagerie à détecter les contenus pédocriminels. Pour ce faire, le mécanisme envisagé est le ‘scan côté client’ : une analyse des images, vidéos ou liens directement sur l’appareil de l’utilisateur, avant même que le message ne soit chiffré et envoyé. […] Le scan serait limité aux contenus visuels et aux URL, excluant pour l’instant les textes et les messages audio. Pour les messageries chiffrées, l’activation de ce scan nécessiterait le consentement explicite de l’utilisateur. Un refus bloquerait l’envoi d’images et de vidéos sur le service concerné.”

La crainte d’une surveillance généralisée

“Reconnaissance faciale en Chine, rétention de données en Europe, caméras [à la station] Kottbusser Tor à Berlin : lorsque les États souhaitent surveiller leurs citoyens, ils justifient généralement leur action par des mesures de sécurité. C’est également le cas du projet de contrôle des conversations de l’UE”, cingle Fabian Schroer dans une tribune parue dans l’édition du jour de la TAZ. Certains craignent des dérives vers un contrôle généralisé des données, qui mettrait en danger la protection de la vie privée. Ainsi, “même une vidéo d’enfants destinée à leur grand-mère ou une photo de votre conjoint nu” pourraient être scrutées “si le fournisseur en reçoit la demande”, peut-on lire dans un autre article. Concrètement, selon Patrick Breyer, avocat cité par le journal, “c’est comme si la poste ouvrait et fouillait chaque lettre”.

Invoquant la philosophie de John Stuart Mill (1806-1873), le journaliste Fabian Schroer estime de son côté qu’“une surveillance complète et aléatoire ne devrait être effectuée que si elle est absolument nécessaire.” D’autant qu’à l’heure actuelle, “rien ne prouve que la lecture des conversations réduise réellement la criminalité”, pointe-t-il, mentionnant également le risque de “fausses alertes”.

De nombreux détracteurs

Avant même que le débat n’ait eu lieu, de nombreux collectifs ont déjà manifesté leur opposition au texte. C’est le cas notamment de l’association D64, spécialisée dans les politiques numériques, qui est à l’initiative d’une lettre ouverte signée par plus de 750 universitaires pour dénoncer la menace que représente un tel projet pour la démocratie. Même l’association allemande de protection de l’enfance est opposée à cette loi. En outre, “l’alliance Stop Chat Control, qui regroupe les organisations Reporters sans frontières, l’Association des avocats républicains et la Fondation Giordano Bruno, a lancé une pétition contre le projet lundi [6 octobre], précise la TAZ. Les Verts prévoient de déposer une motion contre ce projet au Bundestag jeudi.”