Des enquêteurs du syndicat Un1té ont tracté place Kléber mercredi 8 octobre pour demander plus de moyens pour l’investigation. Beaucoup ont en permanence plus de 150 dossiers en cours, dont des affaires de violences conjugales ou sexuelles.
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Thibault Vetter
Publié le 8 octobre 2025 ·
Imprimé le 8 octobre 2025 à 17h13 ·
4 minutes
« C’est inhumain pour les victimes, regrette Jocelyne, enquêtrice de la police nationale à Strasbourg. Les gens trouvent qu’on ne fait plus notre travail sérieusement, et je les comprends. Des personnes viennent porter plainte avec un vrai traumatisme, et on n’est pas capable de répondre dans un délai raisonnable. Elles finissent parfois par nous dire qu’elles perdent leur temps, et qu’elles ne reviendront plus à l’avenir. »
« Les enquêteurs sont débordés. Malheureusement, il y a des cas de burnout. »
Emmanuel Georg, secrétaire départemental Un1té
Jocelyne fait partie de la dizaine de membres du syndicat Un1té, lié à Force ouvrière, qui tractent ce mercredi 8 octobre place Kléber pour alerter la population sur le manque de moyens des services d’investigation de la police. « Nous avons 30 000 procédures en cours à Strasbourg, résume Emmanuel Georg, secrétaire départemental Un1té. Ça augmente petit à petit. En 2023 on en était à 27 000. Les enquêteurs sont débordés. Malheureusement, il y a des cas de burnout. » Un agent, qui souhaite rester anonyme à cause du caractère sensible de ses activités, assure travailler parfois deux semaines sans aucun jour de repos :
« J’emmène mon ordinateur chez moi le week-end et je continue à faire des écoutes, à avancer sur les affaires. J’ai 300 heures supplémentaires et 100 jours à récupérer, mais je ne vais pas le faire sinon les dossiers ne vont pas avancer. »
Prioriser en permanence
Enquêteur au commissariat central de Strasbourg, Patrice traite différents types de plainte :
« Des violences sexuelles, des vols, des agressions. J’ai en ce moment 170 procédures en cours, dont six ou sept pour violences conjugales. Ce type d’affaire passe en premier. On est constamment obligés de prioriser selon le degré d’urgence. Pour certaines plaintes liées à des cas de dégradation par exemple, on sait très bien qu’on ne pourra jamais les traiter. Au bout d’un an le parquet de Strasbourg va classer sans suite. »
Face à une telle masse de travail, Patrice décrit une sensation de « vider l’océan à la petite cuillère ». En arrivant au commissariat le matin, il se sent parfois perdu devant la multitude d’affaires :
« Sur une journée, je jongle entre plusieurs dossiers : je prends une plainte en urgence, j’enchaîne avec une audition de témoin, puis je me déplace à l’hôpital pour voir une victime… En plus je peux être réquisitionné sur la voie publique s’il y a des besoins, par exemple lors d’une manifestation. »
Les agents interviewés par Rue89 Strasbourg relatent avoir entre 140 et 200 dossiers en cours. « C’est une charge mentale immense », regrette Patrice. Il peine à répondre quand on lui demande s’il sera encore dans le métier dans cinq ans en l’absence d’amélioration. « Les jeunes n’ont plus envie de devenir enquêteurs. Il savent qu’il y a trop d’heures supplémentaires, constate t-il. Des enquêteurs arrêtent parce qu’ils n’en peuvent plus. Ils demandent à changer de poste. »
Système informatique défectueux
« C’est un cercle vicieux. On est de moins en moins nombreux, donc on a de plus en plus de travail. On fait de plus en plus d’heures supplémentaires, donc il y a de moins en moins de jeunes qui nous rejoignent, décrit un autre policier. On gagne environ 25 euros de plus par mois en investigation par rapport au terrain. Ce n’est pas suffisamment incitatif, les agents préfèrent être dehors et avoir des horaires qui ne débordent pas… »
Jocelyne évoque aussi les outils informatiques défectueux de la police :
« Encore hier on a eu un bug généralisé. C’est quasi quotidien. Souvent, on doit recommencer une procédure à cause de ça, parce que tout s’efface. Ça peut arriver qu’une victime de viol soit en train de déposer une plainte depuis deux heures et qu’on soit obligés de lui dire qu’il faut recommencer. »
Dans leur tract et leurs échanges avec les passants, les policiers insistent sur les impact sur les plaignants : « Nous tirons la sonnette d’alarme pour les victimes, trop souvent laissées seules face à leurs agresseurs. » Rue89 Strasbourg publiait une enquête en juin au sujet de l’attente qui pouvait durer plusieurs années pour les victimes de violences sexuelles et d’incestes. « C’est très dur de se sentir impuissant face à des personnes en souffrance. Ce métier, on le fait par vocation », témoigne Patrice.
Comme pour n’importe quel tractage, l’accueil des passants est contrasté mais les revendications des militants sont souvent soutenues.Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg
Un1té demande 50 enquêteurs en plus à Strasbourg
Concrètement, Un1té demande une cinquantaine de policiers supplémentaires affectés aux enquêtes à Strasbourg. Emmanuel Georg précise : « Ils sont environ 350 aujourd’hui. Il s’agit de pouvoir répondre notamment à l’augmentation des procédures liée à la libération de la parole des victimes de violences sexuelles. » D’après Sandra Dhome, cheffe d’état-major à la police nationale du Bas-Rhin interrogée en juin, une assistante sociale du commissariat de Strasbourg recevait entre 1 200 et 1 400 victimes de violences sexuelles en 2015 contre 2 000 en 2024.
« Sur une journée de week-end, on enregistre en moyenne dix plaintes pour viol à l’hôtel de police désormais », déclarait-elle. « Comme pour le manque de moyens dans les autres services publics, c’est la population qui trinque, déplore Emmanuel Georg. Notre hiérarchie à Strasbourg fait avec ce qu’elle a. C’est du ministère de l’Intérieur que ça doit venir. »
