

L’hiver dernier, la grippe n’a pas été “une simple grippe”. D’après le bilan publié par Santé publique France (SPF), la saison 2024-2025 a entraîné près de trois millions de consultations médicales pour syndromes grippaux et environ 30 000 hospitalisations liées à la maladie.
Surtout, l’agence recense plus de 17 000 décès supplémentaires toutes causes confondues pendant la période épidémique, une surmortalité directement corrélée à la circulation virale. Cette vague a surpris par sa précocité et sa durée inhabituelle. Commencée dès décembre, elle s’est prolongée jusqu’au mois d’avril. Trois souches de virus (A H1N1, A H3N2 et B/Victoria) ont circulé simultanément, accentuant la gravité des formes et le nombre d’hospitalisations.
Dans les hôpitaux, la situation a parfois tourné à la crise. 87 établissements avaient activé un plan blanc pour faire face à l’afflux de patients. Certains services d’urgence ont connu des taux d’occupation supérieurs à 120 %, tandis que les personnels, déjà éprouvés par plusieurs hivers de tension sanitaire, peinaient à tenir le rythme.
La vaccination : un bouclier sous-utilisé Couverture vaccinae : des taux qui stagnent
La grippe dispose d’une arme bien connue : la vaccination. Elle réduit considérablement le risque de complications graves, d’hospitalisation et de décès. Mais les chiffres restent décevants. Toujours selon Santé publique France, la couverture vaccinale chez les personnes âgées de 65 ans et plus atteint à peine 54 %, et seulement 25 % chez les adultes plus jeunes présentant des facteurs de risque (maladies chroniques, immunodépression, grossesse, etc.).
Autrement dit, près d’un senior sur deux n’est pas protégé, et trois quarts des personnes fragiles en âge actif ne sont toujours pas vaccinées. Ces taux n’ont quasiment pas évolué depuis cinq ans, alors même que la sévérité des épidémies augmente.
“Fatigue vaccinale” et minimisation du risque
Comment expliquer une telle inertie ? D’abord, une fatigue vaccinale post-Covid. Après les campagnes massives et répétées des années 2021-2023, une partie de la population se dit “saturée”. L’idée d’une nouvelle injection chaque automne rebute, y compris parmi les seniors pourtant les plus vulnérables.
Ensuite, la minimisation du risque reste très ancrée. “La grippe, ce n’est qu’un gros rhume”, entend-on souvent. Ce cliché, pourtant contredit par les chiffres, continue de freiner les campagnes. L’infection grippale peut provoquer des complications cardiovasculaires, pulmonaires ou neurologiques graves, notamment chez les personnes âgées ou fragiles.
Des doutes persistants et un déficit d’information
Autre frein : la méfiance. Si la sécurité des vaccins antigrippaux est largement établie, une part non négligeable de Français craint encore des effets indésirables. Une enquête de SPF révèle que près d’un tiers des non-vaccinés préfèrent “les gestes barrières” ou les “méthodes naturelles”.
S’ajoute un déficit d’accompagnement médical. De nombreux patients déclarent ne pas avoir reçu de recommandation explicite de leur médecin traitant, alors que ce dernier demeure la source de confiance principale. Enfin, certaines campagnes démarrent tardivement ou manquent de visibilité, surtout dans les zones rurales.
Quand le système de santé s’interroge
La faiblesse de la vaccination interroge plus largement la stratégie de santé publique. Pourquoi la France, pourtant bien dotée en moyens de prévention, peine-t-elle à convaincre ? Pour Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de Santé Globale de Genève, la réponse tient à “une culture de la réaction, pas de la prévention”. “Nous sommes excellents en soins aigus, mais beaucoup moins bons en anticipation. La grippe tue chaque année dans un relatif silence”, déclarait-il dans Le Monde.
À l’inverse, certains pays comme le Royaume-Uni ou le Canada dépassent les 70 % de couverture vaccinale chez les plus de 65 ans, grâce à des campagnes plus précoces, à la vaccination à domicile et à une communication plus constante.
Grippe : des pistes pour inverser la tendance Rendre la vaccination plus accessible
Depuis 2023, les pharmaciens, infirmiers et sages-femmes peuvent vacciner sans ordonnance les personnes éligibles. Cette mesure a facilité l’accès, mais reste inégalement appliquée. Étendre cette possibilité à tous les adultes volontaires pourrait être un levier fort.
La Haute Autorité de Santé a par ailleurs donné son feu vert au retour du vaccin hautement dosé Efluelda, produit par Sanofi, jugé plus efficace pour les plus de 65 ans. Ce vaccin, retiré du marché pour des raisons tarifaires, pourrait renforcer la protection des seniors.
Vaccin anti-grippal : informer autrement
Santé publique France prépare désormais des campagnes plus pédagogiques : explications sur l’efficacité réelle, infographies sur les bénéfices collectifs, témoignages de soignants et de patients. L’enjeu est de redonner confiance sans dramatiser.
“L’objectif n’est pas de faire peur, mais de faire comprendre que la grippe n’est pas anodine”, souligne un représentant de l’agence. La communication se veut plus proche du quotidien, moins technocratique : rappeler qu’une vaccination rapide chez le pharmacien peut littéralement sauver une vie.
Mieux coordonner les campagnes
Depuis l’hiver dernier, les autorités sanitaires encouragent la vaccination conjointe contre la grippe et le Covid-19. Les deux injections peuvent être réalisées le même jour, sur deux bras différents, sans danger ni perte d’efficacité. Cette année, la campagne de vaccination s’ouvre le 14 octobre.
Cette simplification logistique vise à faciliter le geste préventif. Un seul rendez-vous, un seul déplacement, et deux protections en même temps. Dans les pharmacies et cabinets médicaux, cette organisation commence à porter ses fruits, même si elle reste encore inégale selon les régions.
À SAVOIR
Selon Santé publique France, entre 9 000 et 15 000 décès sont recensés chaque année en moyenne. Mais certaines saisons dépassent largement ces chiffres, comme celle de 2014-2015, qui avait causé 18 300 morts, ou celle de 2017-2018, avec 13 000 décès estimés. La saison 2024-2025 se classe donc parmi les plus meurtrières de la décennie.


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