Laura a grandi dans un orphelinat. Elle confie: «Je suis constamment en pays étranger.» Sur de petits papiers, elle écrit qu’elle est une «non-personne». Cinq pages suffisent à retracer son destin, dans la nouvelle «La Correspondante», qui donne son titre à ce recueil puissant, le dernier publié de son vivant par la Bâloise Adelheid Duvanel, peu avant son suicide dans une forêt, entre le 7 et le 8 juillet 1996. Il paraît pour la première fois en français.
On retrouve dans ces 33 textes brefs ce qui faisait l’originalité et la force de La Maison disparue ou d’Histoires de vent, qui viennent d’être traduits chez Corti. Mais ces nouvelles plus sombres semblent faire plus directement allusion à la biographie de l’autrice: des personnages sont hospitalisés (Adelheid Duvanel a souffert d’internements psychiatriques et d’électrochocs) ou tentent de mettre fin à leurs jours; des enfants sont maltraités par des parents autoritaires et sans amour. Pourtant, l’écrivaine transcende la douleur par une forme de douceur, de légèreté paradoxale, une grande beauté et un art précis des images qui touchent instantanément.
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Au cœur des ténèbres
Le monde broie les individus sans rémission possible. Face à la mélancolie qui les envahit, ils essaient de fuir. Dans «Refuge», Pius passe sa vie dans les tramways; Emma consomme des psychotropes dans «Rage». Les personnages pourraient s’échanger: ils semblent frères et sœurs, mais ne peuvent se soutenir ni s’apporter du réconfort. «Il y a des gens auxquels on plante une canne blanche dans la main et qu’on dépose au cœur des ténèbres», dit un toxicomane dans «Le grabataire veut être couché dans la propreté». L’écriture d’Adelheid Duvanel est cette canne offerte au lecteur pour avancer dans la nuit, au bord des gouffres.
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Rire contestataire
A l’envers des cartes postales, l’autrice écrit l’angoisse et l’oppression d’un pays apparemment paisible, miné par la honte du corps et un souci maladif d’ordre. Comment ne pas voir en elle une sœur de Fritz Zorn? Marcel, dans «Le bouffon», ne peut s’empêcher de rire nerveusement, tant et si bien qu’il doit interrompre sa formation d’employé de banque. De longs séjours en hôpital psychiatrique tenteront de faire taire ce rire contestataire, pulsion de vie et de résistance. Les derniers mots du recueil et de l’œuvre entière sont un cri d’enfant saisissant, répété, sans trêve: «Ne laissez pas mon cœur s’arrêter! Ne laissez pas mon cœur s’arrêter!»
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Adelheid Duvanel, «La Correspondante», Corti, 131 p. Traduit de l’allemand par Catherine Fagnot.