Paris Match. Il y a quelques années, vous jouiez un personnage de 1,36 mètre dans “Un homme à la hauteur”. À présent, vous incarnez “L’homme qui rétrécit”. Vous avez un problème avec la taille ?
Jean Dujardin. Ce n’est pas une idée fixe, non. Et les deux films n’ont rien à voir. L’un est une comédie romantique avec Virginie Efira, et quitte à aller dans ce genre assez balisé, je voulais qu’il y ait une contrainte. Jouer ce petit homme parfait handicapé par sa taille, je trouvais ça intéressant. L’autre est à l’origine un film de 1957 [de Jack Arnold, NDLR] qui déclenche chez moi un sentiment très compassionnel. J’ai envie que les gens se plongent comme moi dans ce rétrécissement qui suscite un ressenti que je suis incapable de définir. C’est clairement une métaphore sur la vie, la mort, le temps qui passe. Jouer avec les proportions m’amuse, le faire avec un réalisateur comme Jan Kounen m’amuse encore plus, avec sa manière de gérer les vertiges, les axes de caméra, l’effroi… Mais le thème reste grave car il indique qu’on va tous vers l’inéluctable : la disparition.
« La cinquantaine, c’est un moment de bascule »
C’est également un film sur la solitude, un état assez récurrent depuis quelques rôles…
La cinquantaine, c’est un moment de bascule. Cette dizaine-là, il ne faut pas la rater. On rentre dans la deuxième mi-temps, le moment où il s’agit de dresser un petit bilan. C’est la première fois que je jouais seul avec moi-même, avec mon esprit. Il a fallu tout inventer, puisque en face de moi j’avais une balle de tennis ou un point lumineux, à écouter les directives des techniciens : “Regarde en haut, à droite, à gauche, et ressens !” J’étais exactement comme quand j’étais gosse, seul dans ma chambre. Jan avait peur que ce soit une souffrance. Ça a été tout le contraire : j’ai adoré ! Je me suis refait “La guerre du feu”, “La planète des singes”, toute cette mythologie où il faut survivre avec le système D. Et tout comme j’avais besoin de traverser un chemin intérieur dans “Sur les chemins noirs”, je me rendais compte avec “L’homme qui rétrécit” que la vie pouvait se réduire à se nourrir, boire et éviter les emmerdes – et les emmerdes ici, c’est une araignée face à laquelle il ne faut pas avoir peur. Mais la peur donne du courage… Ce film est une allégorie qui résonne dans ma vie.
À Soulac-sur-Mer (Gironde), le 25 juillet. Le film dont il est le minuscule héros sera en salle le 22 octobre.
© Marcel Hartmann/H&K
Vous mentionnez les bases nécessaires à la survie, mais les enfants dans tout ça ? Ce n’est pas l’essentiel ?
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Bien sûr que c’est primordial ! C’est même le sens de l’existence. Je serai papa toute ma vie ! Mais cette vision des choses, je l’avais même avant d’être père puisque je suis issu d’une fratrie de quatre garçons. Je sais ce que représente la famille et je me retrouve aujourd’hui avec quatre enfants comme mon père ! Je ne l’avais pas prévu ainsi, mais quand je vois mes deux grands d’un côté et mes deux petites de l’autre, je trouve ça merveilleux. C’est ma tribu. Et je sais que c’est de l’amour qui sera toujours là.
Vous avez la chance d’avoir grandi dans une famille unie, vous continuez une carrière brillante, vous adorez vos enfants qui vous le rendent bien… Vous n’avez aucun trauma, en fait ?
Tout le monde a des traumas ! On ne le sait pas toujours, voilà tout. Je pense que dès la petite enfance on en chope. La disparition des grands-parents, la perte d’un être cher, même l’inquiétude des parents pour leur enfant peut devenir un trauma ! Le corps l’enregistre et ça peut resurgir beaucoup plus tard.
Un acteur qui ne refuse pas de se mouiller. Dans le prochain film de Xavier Giannoli, il incarnera Jean Luchaire, figure de la presse collaborationniste sous l’Occupation.
© Marcel Hartmann/H&K
Comment faites-vous, alors, avec vos deux filles qui sont encore petites ?
Il n’y a pas mieux que sourire, leur parler, pas longtemps, tout en les maintenant dans le monde du jeu. Il faut que ce soit tout le temps amusant, ne pas les perdre dans des explications trop longues, sinon l’enfant trouve ça suspect et s’inquiète.
“Sur les chemins noirs” était un film introspectif, “L’homme qui rétrécit” est un film d’aventures mais avant tout métaphysique et existentialiste. Fini de rire, Jean Dujardin ?
Mais pas du tout ! C’est comme dans la vie : je n’ai pas envie de rire tout le temps. De la même manière que je n’ai pas envie de manger tout le temps la même chose. J’aime l’alternance et je déteste les habitudes. C’est comme les questionnaires tout faits : “C’est quoi votre film préféré ? Votre réplique favorite ? Votre endroit favori ? Etc.” Je veux vivre des expériences et je l’ai toujours fait. Vous me demandez : “Fini de rire ?” mais souvenez-vous, un de mes premiers films, avant “Brice de Nice”, c’est “Le convoyeur”. Non que je me prenne au sérieux, mais je veux avoir des émotions. Et quand j’accepte une comédie, c’est qu’il y a un double-fond, qu’elle raconte quelque chose, il faut que ce soit très bien dialogué… Je suis très chiant sur les scénarios de comédie !
Sous des allures de tombeur, un sourire plein de malice et un esprit tout en finesse. La French touch à lui tout seul.
© Marcel Hartmann/H&K
De fait, vous refusez beaucoup de projets…
Pas plus qu’avant. Je n’ai jamais tourné plus d’un ou deux films par an. Je ne peux pas faire autrement. J’ai besoin de moments d’arrêt. Entre la préparation, le tournage, la promotion, cela prend beaucoup de temps. Là, je sors de dix-sept semaines de tournage avec Xavier Giannoli [“Des rayons et des ombres”, titre provisoire, NDLR], ça prend beaucoup de place.
Là non plus, on ne va pas rire : vous y incarnez Jean Luchaire, personnage pour le moins controversé de l’Occupation, fusillé en 1946…
Je ne choisis pas le personnage, mais l’époque. Incarner Luchaire n’est qu’un véhicule pour arrêter d’être faux-cul et regarder ce qui s’est passé entre 1940 et 1943. Excepté “Monsieur Klein” et “Lacombe Lucien”, il y a très peu de films qui traitent de la collaboration. C’est un sujet qui gratte.
« Paris n’est pas la France. Je ne fais pas de politique et ne suis pas le porte-drapeau de quoi que ce soit »
Ça vous plaît les “sujets qui grattent” !
Mais je fais ça depuis le début ! “99 francs”, “Le daim”… Jean Luchaire, c’est l’histoire d’un mec qui s’est trompé. Je ne le défends pas, je défends l’ambiguïté.
Vous aurez noté que nous vivons actuellement une période où l’ambiguïté et la nuance ne sont pas très en vogue…
N’est-ce pas notre boulot de tenter de la remettre au goût du jour, justement ? D’encourager des discussions, des débats, des questionnements ? Quand je fais un film ou même quand j’en vois un, j’ai envie d’avoir des secousses. Quand je fais “J’accuse”, j’incarne un Piquard culturellement antisémite, comme l’était une grande partie de la France à l’époque. Mais lui avait un besoin de justice très prononcé. Le raconter, c’était parler d’une période dont l’écho se fait ressentir, encore plus de nos jours. Hélas ! L’Histoire bégaie beaucoup.
Jouer l’homme qui rétrécit, un défi à la hauteur de l’acteur aux rôles cultes, d’«OSS 117 » à « The Artist ».
© Marcel Hartmann/H&K
Après la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby durant laquelle vous apparaissiez un béret sur la tête et une baguette sous le bras, vous avez eu droit à des commentaires négatifs et des titres comme “La France rance”. Ça vous a blessé ?
Non, car c’est la récupération politique de l’extrême gauche et de l’extrême droite qui font actuellement la météo du pays. Dès qu’il y a un événement, que ce soit la prochaine Miss France ou le cirque machin, tout est récupéré. Moi, je sais ce qu’on a fait avec le budget et l’envie qu’on avait, des bénévoles, des gamins, des chanteurs, des danseurs qui venaient de toute la France… C’était très joyeux. Sous prétexte qu’on mettait en avant les provinces, on nous taxait d’extrême droite. Mais ces gens-là savent que la moitié des joueurs de rugby viennent du Gers, que leurs parents travaillent le cochon noir ? C’est peut-être cliché pour eux, mais c’est une réalité. Et de toute façon, c’est quoi le problème ? Paris n’est pas la France. Je ne fais pas de politique et ne suis pas le porte-drapeau de quoi que ce soit. Je ne suis qu’acteur et je ne sauverai personne. Mais il est chouette notre pays, on a tous les paysages, toutes les saisons, on a la gastronomie… Est-ce que dire ça fait de moi quelqu’un de haineux ou de rétrograde ? Je n’ai pas ce sentiment. Moi, j’ai l’impression de vivre dans un grand village avec plein de gens sympas qui ont envie de nous faire découvrir les trésors de leurs régions.
« Ce qui m’ennuierait, c’est de faire rentrer le vieux en moi. Je ne veux pas perdre l’enfance »
C’est fini le Jean Dujardin qui sortait jusqu’à pas d’heure ?
[Il rit.] Vous me ressortez ça à chaque fois ! Comme si j’étais Mick Jagger ! Il m’est arrivé de sortir tard à 40 balais, mais, pour répondre à votre question, rien n’est fini car rien n’a commencé ! Je n’ai jamais été un oiseau de nuit. Pas plus qu’un autre. Je ne me drogue pas, je m’amuse normalement, je rigole bien et basta ! Les rumeurs et les bruits de couloir vont plus vite que moi, mais si ceux qui les font courir savaient… Ils seraient déçus. C’est vrai que j’ai vécu des moments très joyeux, comme gagner un oscar à 40 ans, mais on ne va pas s’excuser d’être joyeux, non ?
Vous avez peur de vieillir, de vous transformer physiquement ?
Non. En tout cas, moins que certains potes angoissés par le temps qui passe. Certes, je constate quelques changements, comme un poil blanc que j’avais raté la veille, mais bizarrement, ce n’est pas ça qui m’inquiète. Ce qui m’ennuierait, c’est de faire rentrer le vieux en moi. Je ne veux pas perdre l’enfance.
Vous êtes encore un gamin ?
En quelque sorte, oui. Le jour où je deviendrai taciturne, où je commencerai à avoir des idées reçues, là, je me sentirai vieux. Sur le tournage de “L’homme qui rétrécit”, j’ai couru comme un fou pendant huit semaines sur un plateau de 2 000 mètres carrés et j’avais une pêche… Et ça, ça ne vient pas de mon corps mais de mon envie. J’ai envie de faire le con ! Par exemple, je me vois bien jouer dans un nouvel “OSS 117” dans dix ans avec du poil dans les oreilles, des dents en or. Ou terminer avec “Brice de Nice”, à 82 balais, fardé comme une vieille Niçoise dans un tee-shirt informe… Mon corps parlera encore plus et ce sera vraiment pathétique avec ce personnage qui aura été mon compagnon de vie. La boucle sera bouclée.