« Expérimentales » depuis 2016, les salles de shoot pourraient fermer le 31 décembre prochain. L’association Gaïa, qui les gère, crie au scandale. Les riverains, eux, espèrent…

En récupérant les toxicos errants pour les aider à se défoncer proprement et à l’abri des regards, les « salles de consommation à moindre risque », devenues « Haltes Soins Addiction (HSA) » depuis qu’on peut y consommer du crack – bref, les salles de shoot –, devaient régler le problème de la toxicomanie. Joli décor, équipes soignantes aux petits soins, matériel de pointe : le miracle de l’assistanat allait faire son œuvre. Ou pas.

Un coût exorbitant…

Le Parisien de ce mercredi relaie l’indignation des gestionnaires des lieux quant à leur avenir : « C’est du mépris total. » Rien ne garantit en effet que l’expérience, dont la durée a déjà été prolongée en 2021, se poursuive au-delà du 31 décembre.

Au printemps dernier, déjà, nous nous faisions l’écho de la polémique qui enflait. Épaulée par la Fédération Addiction, dénonçant globalement « l’obstruction active de l’État pour faire échec à la création de nouvelles HSA », avec des projets bloqués à Lyon ou à Lille, l’ONG Médecins du monde déposait deux recours contentieux devant les tribunaux administratifs de Montreuil et de Paris. Le but : « démontrer les manquements de l’État en termes de politique de réduction des risques », une obligation qui lui incombe, selon le Code de la Santé publique.

Dans un contexte de lutte contre le narcotrafic, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, déclarait alors que « les salles de shoot créent plus de problèmes qu’elles n’en règlent ». Il apparaît surtout qu’elles ont un coût exorbitant pour un résultat quasiment nul.

Lors du lancement de l’opération, en 2016, le coût de fonctionnement à la charge de la Caisse primaire d’assurance maladie était estimé à 1,2 million d’euros par salle (l’une à Paris, l’autre à Strasbourg). Un coût que les défenseurs du projet estimaient justifié, compte tenu des bénéfices supposés. Soit, résumés par la sociologue Marie Jauffret-Roustide, mandatée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) : apprendre à « vivre avec les drogues, tout en réduisant les risques sanitaires qui leur sont associés ».

On s’en doute, les coûts ont, depuis, explosé. En octobre 2024, un rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) et de l’IGA (Inspection générale de l’administration) établissait que, pour les seuls frais de fonctionnement, les deux salles de Paris et Strasbourg – financées « sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) médico-social spécifique » – avaient coûté (en 2023) 5 millions d’euros aux contribuables français. On constate, dans ce rapport, une grande disparité, la salle parisienne de Lariboisière affichant un coût de fonctionnement total de 3,864 millions d’euros, le budget étant consacré (à 92,3 %) aux frais de personnel et aux dépenses de structure. Plus modeste, la salle de Strasbourg n’avait coûté « que » 1,141 million d’euros. Mais là aussi, ce sont les frais de personnel et le loyer qui avalent 90,5 % du budget.

Le rapport notait également de grosses différences de fréquentation et de coût par gentil usager de substances illicites : 44,8 euros par passage à Paris et 64 euros à Strasbourg. À noter, également, que « chaque usager parisien a fréquenté la structure en moyenne 110 fois dans l’année, contre 21,6 fois pour son homologue strasbourgeoise », sachant que l’une et l’autre structure ont, chacune, fidélisé environ 800 clients. En reprenant simplement ces chiffres, actualisés en fonction des données récentes, soit 350 injections quotidiennes (chiffres du Parisien ce jour) à 45 euros, on arrive à un coût journalier de 15.750 euros et… 5.748.750 euros par an. Pour Paris, seulement !

Pour quels résultats ?

L’argument sans cesse avancé par les promoteurs des salles de shoot – rappelons qu’il était prévu d’en ouvrir 36 dans Paris, réparties sur 12 arrondissements – est qu’elles feraient chuter l’insécurité et feraient faire des économies à la Sécu. L’INSERM estime, en effet, que « ces structures permettent notamment de réduire significativement les passages aux urgences (-24 %) ». C’est possible, mais ce qui semble certain, en revanche, c’est qu’elles ne sont d’aucun effet pour sortir les drogués de leur addiction. Au contraire, on les y entretient. Comme l’explique Aurélien Véron, conseiller (LR) de la capitale et porte-parole du groupe Changer Paris, « l’expérience est un échec qui cautionne la toxicomanie sans véritablement les accompagner vers le sevrage et le soin. »

Lors de son intervention au Conseil de Paris, le 4 juin dernier, il affirmait : « La salle de shoot à Lariboisière est un marché du crack à ciel ouvert […] Non seulement le système enferme les plus fragiles dans l’addiction, et à défaut d’assurer la sécurité dans les rues aux alentours, condamne des quartiers entiers à l’insécurité, à la relégation et à la peur. » Tous les riverains dénoncent ainsi le trafic qui se fait à ciel ouvert dans les rues adjacentes, les bagarres et le spectacle indigne offert aux enfants du quartier.

Dernier point, enfin, et non des moindres. On lit dans les rapport de l’IGAS/IGA que les dépenses de personnel ont coûté, en 2023, 1.864.064 euros à Paris et 914.362 euros à Strasbourg. Le Parisien, déplorant l’absence de vision sur le futur des HSA, dit aujourd’hui que la seule structure parisienne emploie « une trentaine de salariés – médecins, infirmiers, assistantes sociales… »

Alors on pose une question au ministère de la Santé qui doit statuer sur leur sort : combien de petites communes, en France, disposent actuellement d’une telle équipe ? Combien d’habitants de nos « déserts médicaux » qui rêveraient, eux aussi, d’avoir Médecins du monde à leur chevet ? Ils seraient même prêts à payer, eux !


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