On sait ce que vous vous dites : John et Yoko, on connaît, c’est le militantisme à l’horizontale de Give Peace a Chance, les « bed in » hippies, ces appels à la paix du célèbre couple depuis leurs lits de chambres d’hôtel, à Amsterdam et Montréal. Eh bien non, pas seulement. John et Yoko ne sont pas uniquement tels que l’écume de la mémoire les a statufiés. À cet égard, le documentaire One to One: John & Yoko réalisé par Kevin MacDonald, en salles uniquement les 11 et 12 octobre dans 200 salles en France, va vous surprendre.

Après s’être penché sur Bob Marley et Whitney Houston, le réalisateur écossais creuse la complicité et l’engagement de ce couple dont on croit tout savoir et qui reste pourtant mystérieux. Beaucoup plus intime et politique que prévu, cette plongée dans le quotidien de John et Yoko, sur 18 mois de leur vie, révèle un engagement debout, radical, mais toujours lucide, doublé d’une opposition farouche à toute forme de violence, d’où qu’elle vienne, et une intelligence du cœur façonnée par les épreuves personnelles.

Nous sommes fin 1971. Débarqués de Londres, John Lennon et sa nouvelle épouse, l’artiste Yoko Ono, viennent d’emménager dans un petit appartement de Greenwich Village à New York, épicentre du bouillonnement artistique et militant de l’époque. Ce modeste deux-pièces, au centre duquel trône une télévision au pied du vaste lit, a été fidèlement reconstitué pour le documentaire.

« J’aime la télé. Enfant, elle remplaçait pour moi le feu de cheminée », déclare l’ancien Beatles, qui y voit alors un moyen de mieux comprendre les Américains et leurs discussions. Chez John et Yoko, elle est allumée 24 heures sur 24.

Kevin Macdonald s’empare de ce fait pour construire son documentaire comme un zapping audiovisuel. Il y a d’une part les images d’archives rarissimes du couple : vidéos tournées dans l’intimité, interviews télévisées et autres meetings, voisinent avec des entretiens téléphoniques révélateurs et totalement inédits que John et Yoko enregistraient, car ils se savaient sur écoute. D’autre part, le réalisateur intercale des images du contexte culturel, médiatique et sociopolitique du moment, c’est-à-dire des publicités, des actualités, des séries-télé, des talk-shows, montées en cut-up.

Ce travail de recherche d’une grande pertinence, absolument captivant, finit par donner le sentiment d’être téléporté dans l’époque en train de se produire. Celle de la guerre du Viêt Nam, du président Nixon, mais aussi de Bob Dylan, véritable « conscience » de la jeunesse d’alors, d’Allen Ginsberg et des activistes Jerry Rubin et John Sinclair, très proches de John & Yoko, avant que le couple ne prenne finalement ses distances avec ces deux têtes brûlées (antimilitariste et libertaire forcené, l’influent Jerry Rubin, cofondateur du mouvement Yippie, devint par la suite un businessman pro-Reagan, ce qui ne manque pas de sel).

John Lennon et Yoko Ono, sur leur lit face à la télévision allumée en continu, dans leur appartement new-yorkais, au début des années 1970. (BEN ROSS / COURTESY OF PIECE OF MAGIC ENTERTAINMENT FRANCE)

John Lennon et Yoko Ono, sur leur lit face à la télévision allumée en continu, dans leur appartement new-yorkais, au début des années 1970. (BEN ROSS / COURTESY OF PIECE OF MAGIC ENTERTAINMENT FRANCE)

À cette période, John Lennon et Yoko Ono espèrent se servir de leur statut pour changer les choses. Ils veulent monter une tournée mêlant musique et politique pour « secouer l’apathie de la jeunesse », et faire libérer des centaines de prisonniers afro-américains en réglant les cautions qu’ils n’ont pas les moyens de payer.

Forcément, les autorités états-uniennes ont à l’œil ce dangereux couple subversif et Nixon veut faire expulser Lennon des États-Unis manu militari. Cependant, au fil du documentaire, on voit John et Yoko réaliser que la première chose à changer, c’est soi-même, et qu’on peut commencer par aider autour de soi, à petite échelle.

Le film n’oublie cependant pas l’humour, avec notamment un running gag concernant des mouches que doit acquérir Yoko en nombre pour une performance.

Le « One to One » du titre correspond au nom du double concert de charité que John Lennon, Yoko Ono et le Elephant Memory Band donnèrent au Madison Square Garden (un concert l’après-midi, un autre le soir), le 30 août 1972. Il rapporta 1,5 million de dollars pour un centre d’enfants déficients, dont le dénuement et l’abandon, découverts dans un reportage, avaient bouleversé John et Yoko.

Instant Karma!, Imagine, Give Peace a Chance, Power to the People, Come Together : les séquences live de ce concert, qui ont bénéficié d’un toilettage sonore supervisé par Sean Lennon, rythment le film.

L’unique concert entier que donna John Lennon après la séparation des Beatles est spontané et rock’n’roll – le groupe n’a pas l’air d’avoir beaucoup répété, mais les interprétations, en particulier celle de Mother, sont parfois bouleversantes. Dans le film, John rappelle qu’il a été élevé par une tante de 4 à 16 ans avant de renouer avec sa mère qui lui a appris à jouer du banjo. Puis, elle est morte écrasée par un policier ivre.

Ce film, qui est produit par Sean Lennon, accorde une part non négligeable à Yoko et met en lumière sa créativité artistique avant-gardiste et son rôle au sein du couple, John lui rendant hommage pour l’avoir « éveillé » et « conscientisé ».

L’entendre raconter alors ce qu’elle a enduré en Grande-Bretagne en tant que supposée « briseuse de Beatles », est terrible. « Lorsque j’étais enceinte (Yoko Ono a fait trois fausses couches avant de donner naissance à Sean en 1975), les gens me lançaient : ‘J’espère que vous et votre bébé mourrez.' » Dans la rue, ils la traitaient d' »affreuse Jap » et lui tiraient les cheveux, relate-t-elle.

Yoko Ono, sa fille Kioko et John Lennon en 1970. Une image extraite du film

Yoko Ono, sa fille Kioko et John Lennon en 1970. Une image extraite du film « Bed Peace, 1970 » dir: John Lennon & Yoko Ono, cameraman: Nick Knowland. (NICK KNOWLAND / YOKO ONO LENNON / PIECE OF MAGIC ENTERTAINMENT FRANCE)

Le documentaire raconte aussi un épisode poignant et méconnu de l’histoire du couple, qui chercha vainement et par tous les moyens à retrouver la fille de Yoko, Kioko, enlevée en bas âge par son père Anthony Cox et maintenue cachée aux États-Unis durant de longues années. Éprouvée, Yoko interprète en concert une chanson baptisée Don’t Worry Kyoko, comme un déchirant cri de douleur.

Ces deux-là réfléchissaient constamment à la manière de bâtir un monde meilleur. « Je suis un artiste révolutionnaire. Je n’ai pas l’intention de me faire tirer dessus », répondait John Lennon lorsque des proches s’inquiétaient de sa sécurité. Le réalisateur remue ici le couteau dans la plaie. Car c’est un crève-cœur de réaliser qu’il ne s’est fait tuer (en décembre 1980) ni pour ses actes ni pour ses idées, mais par un déséquilibré en quête de notoriété.

L'affiche du documentaire "John & Yoko: One to One" de Kevin MacDonald. (PIECE OF MAGIC ENTERTAINMENT FRANCE)

L’affiche du documentaire « John & Yoko: One to One » de Kevin MacDonald. (PIECE OF MAGIC ENTERTAINMENT FRANCE)

Genre : Documentaire
Réalisation : Kevin MacDonald
Avec : Yoko Ono, John Lennon, Allen Ginsberg, Jerry Rubin
Pays : Grande-Bretagne
Durée : 1h41
Sortie : 11 et 12 octobre 2025 dans 200 salles en France
Distributeur : Piece of Magic Entertainment France
Synopsis : Une plongée inédite et émouvante dans l’univers de John Lennon et Yoko Ono au cœur de Greenwich Village, au début des années 1970.