Dans le roman Répondre à la nuit (Albin Michel), vous incluez une enquête policière. C’est plutôt inhabituel chez vous…
« C’est la deuxième fois. La première fois, dans Un Abri de fortune, c’était un petit peu moins poussé. Il y avait déjà un technicien en identification criminelle et des gendarmes parce que dans le roman, on retrouve des ossements de bébés au fond d’un puits. Mais ce n’est pas un polar parce que tout ne tourne pas autour de ça. Là, j’avais vraiment envie de le faire sous forme d’enquête policière parce que c’est un genre que j’aime beaucoup lire. Et j’ai besoin, dans mon écriture, de me renouveler pour ne pas m’ennuyer. »
Vous utilisez un scénario de polar pour faire passer des messages autour de l’amour de la nature…
« Clairement. Parce que ça, c’est vraiment un engagement que j’ai au quotidien. Et depuis très longtemps. Mes parents ont toujours été écologistes dans l’âme et ils m’ont transmis ça. Je pense qu’on peut tous agir à notre échelle en fonction de ce qu’on est et de ce qu’on fait. »
« On fait partie de cette nature, on est cette nature »
Avec ce roman, avez-vous, finalement, le sentiment d’avoir fait aussi un ouvrage politique en choisissant de passer par l’émotion ou la beauté plutôt que par un discours militant et frontal ?
« Oui, parce que je pense que ça touche les gens autrement. Parce que s’ils sont saisis par l’émotion d’un personnage ou qu’ils s’identifient à un personnage, ils vont recevoir l’information différemment que s’ils achètent un essai sur la mort des forêts, par exemple. »
Vous avez six personnages importants dans ce livre. Pourtant, on a l’impression que le vrai personnage principal, c’est la forêt…
« C’est un personnage à part entière, carrément. Ça montre qu’on est des personnages, mais la nature aussi. On fait partie de cette nature, on est cette nature. Dans ce livre, la forêt veille sur les personnages. Elle les inspire, les protège et les punit aussi. Elle se défend d’eux. »
Vous démarrez le roman par le brame du cerf. C’est quelque chose qui vous prend aux tripes ?
« Complètement. On habite vraiment en lisière de forêt, donc on les a quasiment au pied de notre fenêtre. Quand on ouvre la fenêtre de notre chambre à coucher, on les entend à cent mètres, voire moins. Il y a deux ans, c’était même compliqué de dormir la fenêtre ouverte tellement ils faisaient du bruit. Mais moi, ça me rend heureuse et émue. C’est quelque chose de très puissant. »
« À la ferme, on se lève très tôt, on travaille beaucoup, mais c’est le bonheur ! »
La forêt et les Vosges sont aussi présents dans deux de vos précédents ouvrages, La Toute Petite Reine (2021) et Un Abri de fortune (2023)… Cette connexion avec la nature est permanente chez vous ?
« J’ai grandi comme ça. Quand j‘étais petite, avec mes sœurs, on allait jouer dans la forêt tout le temps et toutes seules. Mes parents instituteurs se chauffaient au bois. Ils prenaient des concessions et ils allaient faire le bois eux-mêmes. Ils nous emmenaient avec eux. J’ai grandi dans cette forêt et j’y suis revenue depuis cinq ans. »
Avec votre mari agriculteur, vous habitez dans une exploitation agroécologique, Les Sources folles, en lisière de la forêt vosgienne. Quelles sont vos activités à la ferme ?
« Maintenant, je dis que je suis “autricultrice” : un peu autrice, un peu agricultrice même si je n’ai pas le statut, mais on travaille à deux. C’est un projet de vie commun donc je l’aide. Le matin, il faut nettoyer la machine à traire, après, je vais au laboratoire, je commence à faire le fromage. On va couper de l’herbe tous les jours… J’ai une formation en agronomie à la base donc je retrouve un petit peu mes premiers amours. On se lève très tôt, on travaille beaucoup, mais c’est le bonheur ! »
Vous participez également à la relance des chèvres de Lorraine…
« C’était une race en voie de disparition… Il n’y avait plus que 250 individus, et là il y en a à peu près à 3 000. Un certain nombre d’élevages s’y sont mis. Pour l’instant, nous en avons douze, mais on est en train de construire nos troupeaux et ça prend du temps. C’est une très bonne race qui fait un bon lait. Donc on est vraiment contents de participer à la renaissance de cette race. »
« J’écris en hiver parce que c’est beaucoup plus calme »
Mais au milieu de tous ces travaux agricoles, à quel moment trouvez-vous le temps pour écrire ?
« En hiver parce que c’est beaucoup plus calme. J’ai trouvé ce rythme-là et je sors un livre tous les deux ans maintenant. »
Vous avez aussi été sage-femme jusqu’en 2015. Abandonner ce métier, ça a été difficile ?
« Ça a été difficile parce que j’étais très attachée à mes patientes. C’est un vrai besoin chez les femmes d’avoir une oreille attentive et des personnes qui prennent le temps. Mais je ne regrette pas du tout l’aspect responsabilité médicale, l’aspect administratif… Si l’occasion d’écrire ne s’était pas présentée, je pense néanmoins que je serais encore sage-femme parce que c’est un métier qui me plaisait vraiment. Mes patientes se sont transformées en lectrices et j’ai l’impression de prendre soin d’elles d’une autre façon. »
Agnès Ledig sera présente dans la Grande librairie (place de l’Hôtel-de-Ville), samedi, de 10 à 13 heures et de 16 à 19 heures. Dimanche matin, elle sera présente lors de la représentation théâtrale autour de son livre Répondre à la nuit au Magic Mirrors (place Jean-Jaurès).
« On ne joue pas avec la vie des gens pour des intérêts économiques »
Le 20 juillet, Agnès Ledig laisse éclater sa colère sur Instagram. À propos de la Loi Duplomb, elle écrit : « Vous avez applaudi, vous vous êtes réjouis quand la loi a été adoptée et vous avez transformé mon chagrin en rage ». Un message accompagné d’une photo de son enfant décédé : « Regardez bien ces deux grands yeux bleus. Ceux de notre fils, mort d’une leucémie à l’âge de 5 ans et demi sans que PERSONNE n’en cherche les causes. »
La loi a été promulguée le 12 août sans son article le plus controversé sur les pesticides (censuré par le Conseil constitutionnel). La colère d’Agnès Ledig est-elle retombée pour autant ? « Non, pas tant que ça. Je suis soulagée, mais c’est juste du répit, parce qu’il faut sans cesse se battre et qu’on n’est pas à l’abri que ça revienne », explique la romancière. L’ancienne sage-femme reconnaît même être « assez inquiète, mais je ne perds pas espoir. Je ne suis pas une “écolo-bobo citadine” comme certains aiment dire et on sait de quoi on parle : nous sommes agriculteurs. Donc les problèmes d’eau, de sécheresse, de gel tardif qui vous foutent en l’air une production de fruits… on les voit au quotidien. » Agnès Ledig a toujours « du mal à comprendre que les bonnes décisions ne soient pas prises, parce qu’on sait ce qu’il faut faire. Il y a des vies humaines en jeu, c’est ça qui me met un petit peu en rage. On ne joue pas avec la vie des gens pour des intérêts économiques. »