Rendue célèbre par ses marinières et ses cirés jaunes, c’est une marque emblématique du savoir-faire français. Fondée en 1938 sur les bords de l’Odet à Quimper (Finistère), Armor Lux a aujourd’hui bien grandi et dispose d’une centaine de boutiques en France. Comme de nombreuses grandes marques, l’entreprise bretonne dispose aussi d’un « corner » depuis une vingtaine d’années au BHV Marais, le mythique grand magasin parisien. Un symbole, implanté rue de Rivoli, qui est aujourd’hui en pleine tourmente depuis l’annonce de l’arrivée en novembre du géant chinois Shein au BHV et dans cinq magasins des Galeries Lafayette.
« En face de la Mairie de Paris, ils créent le nouveau Megastore Shein, qui, après avoir détruit des dizaines de marques françaises, pourra inonder encore plus massivement notre marché de produits jetables », a répliqué la Fédération française du prêt-à-porter féminin. Mais le scandale couve depuis plusieurs mois déjà au BHV, racheté en novembre 2023 par la Société des grands magasins (SGM).
« C’est inadmissible, j’ai besoin d’être payé »
Plusieurs marques historiques présentes dans les rayons dénoncent en effet des impayés de plusieurs millions d’euros. C’est le cas d’Armor Lux avec « un an de retard dans le paiement des factures », indique à 20 Minutes Jean-Guy Le Floch, PDG d’Armor Lux. « C’est inadmissible, fulmine-t-il. J’ai besoin d’être payé, surtout dans ce contexte économique chahuté. »
Réfutant que ces retards soient liés à « des problèmes de trésorerie », la direction de SGM les impute à la mise en place d’un nouveau système de comptabilité automatisé. Un argument qui ne tient pas la route pour Jean-Guy Le Floch. « J’ai déjà des confrères qui ont haussé le ton et je vais être contraint de le faire aussi très très vite », assure le chef d’entreprise breton, qui avoue n’avoir jamais eu aucun souci avec l’ancienne direction du BHV.
Shein est « l’exact opposé de ce que l’on fait »
Déjà en pétard, Jean-Guy Le Floch a donc vu rouge en apprenant le partenariat signé entre le BHV et Shein. « C’est la cerise sur le gâteau », réagit-il. Car pour lui, le mastodonte de l’ultra fast-fashion est « l’exact opposé de ce que l’on fait. » « On a tous les certificats RSE du monde et on suit à la lettre toutes les réglementations sur la sécurité humaine et environnementale de nos produits, assure-t-il. Et là, on a une marque qui débarque et qui, je pense, n’a pas du tout le même niveau RSE que l’on peut avoir. C’est pour ça qu’ils arrivent à avoir des prix aussi dérisoires. »
En laissant « le loup entrer dans la bergerie », le BHV ouvre ainsi la porte à une nouvelle saignée dans le secteur du textile, prévient le PDG d’Armor Lux. « Le textile français a déjà largement sombré donc en laissant entrer en France des produits à très bas coûts, on prend le risque d’assassiner le peu qu’il reste de la production », assure Jean-Guy Le Floch, pour qui l’arrivée de Shein peut être « le coup de grâce » pour l’industrie textile française.
Dans ce contexte pour le moins tendu avec la direction du BHV, le patron breton réfléchit sérieusement à se retirer du grand magasin parisien, suivant ainsi l’exemple d’autres enseignes. « J’ai déjà besoin qu’ils me payent et après on verra, confie-t-il. Mais même s’ils paient, je ne vois pas l’intérêt d’avoir mes produits à côté de pulls à 10 euros ou de cirés soi-disant étanches à 15 euros. On ne peut clairement pas rester dans ces conditions. »