Un monument à sa propre gloire, expurgé et sauvé par l’Etat
Le livre fait un triomphe. Cinq millions d’exemplaires, traduit en 30 langues, conseillé à tous les élèves de secondaire. C’est le début d’une carrière fulgurante où il surfe avec l’esprit de ce premier roman, pour plastronner sur les plateaux télévisés en costumes trois-pièces, chevalière à l’annulaire gauche. Il multiplie les foires aux livres, célèbre avec sa drôle de coiffure de moine. Jusqu’à atteindre le Graal en siégeant à l’Académie Goncourt en 1958, plus jeune membre alors, jusqu’à la présider de 1973 à sa mort en 1996.
Psychopathe constitutionnel
Emilie Lanez, journaliste à l’Express a mené une vaste enquête, retrouvé une foule de documents pour arriver à révéler l’inverse : la mère d’Hervé Bazin (Folcoche) n’était pas ce monstre, mais une victime de son fils, même si elle fut aussi une mère inadéquate, absente et impuissante à donner beaucoup d’affection à son fils. Et les attaques de Jean (Hervé) Bazin étaient même un moyen de chantage du fils contre sa famille pour qu’elle lève l’interdiction judiciaire qu’il avait subie le privant de sa part d’héritage. Il voulait se venger en salissant sa mère. Le vrai salaud est bien le fils Jean-Hervé Bazin, devenu Hervé Bazin.
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Emilie Lanez a bien vu qu’il y avait un long trou inexpliqué dans la biographie d’Hervé Bazin, de 1931 à 1948. Une longue période qu’elle a pu reconstituer, faite de vols incessants (y compris dans la maison familiale), d’escroqueries multiples, de passages devant les tribunaux, les centres psychiatriques, les séjours en prison. Ce mythomane, multirécidiviste, est écroué en 1935 à la prison de la Santé où on diagnostique en lui « un psychopathe constitutionnel, atteint de dégénérescence mentale, qui agit sous l’emprise d’une force pathologique irrésistible. «
Il est encore condamné en 1936 à deux ans de prison pour escroquerie. En 1946, ni deux procès, ni quatre internements, ni quatre ans de prison n’ont calmé Hervé Bazin qui s’invente un passé de résistant durant la guerre qu’il n’a jamais vécu.
C’est Vipère au poing qui le métamorphose en Parrain des lettres françaises. Il fait tout alors pour effacer les traces de son passé, jusqu’à les faire enlever des annales judiciaires en jouant de ses appuis officiels et montrer un visage vierge de toute faute et tout puissant sur le monde littéraire.
Cette enquête est fascinante d’abord quand elle montre comment un livre peut détruire une mère (même si elle ne fut pas parfaite) et son entourage devenus impuissants à contredire un livre qui dicte le soi-disant « vrai ».
Il est tout aussi extraordinaire de voir comment tout le petit monde des lettres françaises s’est laissé abuser par Hervé Bazin, malgré les nombreux articles de presse, malgré des récits clamant la vérité sur Bazin, mais publiés avant Vipère au poing.
Folcoche est un très étonnant récit d’imposture littéraire.
⇒ Folcoche | Enquête | Emilie Lanez | Grasset, 192 pp., 19 €, numérique 14 €
EXTRAIT
Hervé Bazin : « Il faut le dire, j’ai besoin d’un peu de scandale pour hausser la voix et me faire entendre à mon heure, je sais d’avance que la famille va rugir. Aucune importance ! C’est ma petite revanche ! Et je me marre à l’idée de gagner de l’argent pour la première fois sur le dos de ma mère. »