À la croisée du théâtre, de la danse et du cinéma, la comédienne raconte à la fois l’exil et la quête de soi dans son premier seule-en-scène Bollywood Boulevard.

Quitter son pays pour un autre dont on ignore tout, jusqu’à la langue ? C’est le pari que Pauline Caupenne a fait à vingt ans, lorsqu’elle s’est envolée pour Chennai, dans le sud de l’Inde. Deux décennies plus tard, elle revit cette épopée dans Bollywood Boulevard, un seule-en-scène au Théâtre La Flèche, à Paris.

Comédienne, scénariste et réalisatrice, on pourrait la croire dispersée, mais c’est tout le contraire. « Je ne pourrais pas me passer de ces trois activités. C’est une trinité », déclare-t-elle. Pauline passe d’un univers à l’autre, sereine. « Moi, je n’aime pas attendre que le téléphone sonne pour être comédienne, donc je m’auto-emploie, j’écris des choses », souligne la comédienne.


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Passionnée d’histoire de l’art, elle conçoit et écrit des spectacles pour les musées nationaux : Les Visites Imaginaires . Aux côtés de l’acteur, réalisateur et poète Grégoire Leprince-Ringuet, elle fait revivre l’Art Nouveau au Musée d’Orsay notamment à travers la poésie, le théâtre, la danse, la littérature. Leur ambition ? Tisser des liens entre nature, artisanat et art. Là aussi, on y retrouve ce désir de mélanger les arts, et créer des ponts entre le corps, la voix, l’image et le lieu.

Elle témoigne : « Les images, la fiction… quelque chose est revenue me hanter : le cinéma, la narration. » Toujours animée par cette soif d’image et de récits, elle a signé un premier court-métrage, Telmah (2022), sélectionné en compétition au festival de Cabourg 2023 et au festival de Meudon 2022.

Dans son spectacle, qu’elle nomme Bollywood Boulevard, elle explique : « C’est venu naturellement. Bollywood Boulevard, c’est un clin d’œil à Hollywood Boulevard, mais avec une autre facette, c’est aussi le nom d’une boutique de vêtements indiens près de la gare du Nord ». 

À 20 ans, Pauline Caupenne plaque tout pour partir à Chennai en Inde. Elle devient actrice par hasard dans un film en télougou, l’une des principales langues de l’Inde du Sud. Derrière ce voyage, un récit d’exil identitaire qui ne tombe jamais dans l’appropriation, car il s’ancre d’abord dans une forme d’autodérision : « Qui est donc Polin Misha ? », demande-t-elle avec ironie, évoquant le nom indien qu’on lui a donné.

Mélange de danse, de chant et d’images

Ce seule-en-scène joue sur la multiplicité des personnages : un petit garçon, une jeune adulte et d’autres figures caricaturales. Ce qui confère au spectacle un ton à la fois enfantin et vivant. « J’ai commencé le théâtre pour un jour faire, seule sur scène, vingt personnages qui sont moi-même », explique-t-elle. Entre danse, projection et performance, elle ajoute : « Les images qu’on voit dans le spectacle sont réelles, filmées il y a 20 ans en pellicule. Je les ai toujours gardées ». La scénographie, elle, est minimaliste : une tenue noire et un décor épuré. On passe d’une langue à l’autre, d’un monde à l’autre. « Dans le film, c’était du télougou. Je ne l’ai pas appris : je récitais en phonétique, sans comprendre un mot. J’étais doublée ensuite et dans le spectacle, c’est du tamoul. »


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Une performance à mi-chemin entre récit et documentaire poétique, où se mêlent humour, solitude, spiritualité et féminisme. Derrière l’éclat du Bollywood fantasmé, apparaît la tristesse d’un deuil, les violences faites aux femmes et une quête de soi. Elle rend hommage aux femmes rencontrées là-bas, aux combats invisibles, sans jamais s’en faire la porte-parole. « Ça m’a touchée. Là-bas, je n’ai jamais eu peur, mais j’ai vu des choses fortes. Quand j’ai réécrit le spectacle, je ne pouvais pas ne pas parler des femmes. Je ne voulais pas les abandonner. Je ne pouvais pas raconter l’Inde sans elles. »

Ce qui frappe dans Bollywood Boulevard, c’est la justesse avec laquelle elle critique son propre regard d’Occidentale. La démarche est honnête, précieuse : plutôt que de « parler sur » l’Inde, elle raconte comment elle y a projeté ses illusions. « Le rapport mère-fille m’est revenu et j’ai eu la nécessité d’écrire ce spectacle en me disant, quand on est sensible, on est percuté par le monde et le monde est percutant. J’avais envie de montrer un message aussi de moi, l’étrangère d’ailleurs, et de rendre hommage aussi à mes origines de petite fille d’immigrée. »

Premier long-métrage

Pauline s’apprête à retourner en Inde, vingt ans tout juste après son premier départ. Un voyage initialement prévu en décembre dernier avait été annulé, mais elle a choisi de le reprogrammer pour ses 40 ans. Elle y donnera des cours à l’École française de Pondichéry, un projet à la fois professionnel et hautement symbolique. « Je me prépare mentalement à ce retour. Je sens que j’ai laissé quelque chose là-bas. Je suis allée en Inde pour devenir quelqu’un, mais je suis devenue personne, confie-t-elle, philosophe. Les choix qu’on fait à 20 ans, ils nous suivent toujours. »

En parallèle, la comédienne développe son premier long-métrage, une comédie romantique produite par Agat Films, dont la sortie est prévue en 2026. L’écriture demande rigueur et persévérance, d’autant qu’elle la mène en parallèle de ses spectacles et des Visites Imaginaires. « Dès que j’ai un moment, j’écris », explique-t-elle.

Pour Pauline, ses trois disciplines (théâtre, art et écriture) constituent un véritable « artisanat d’excellence », comparable, selon elle, à l’engagement d’une « sportive de haut niveau ». Elle cherche à donner le meilleur d’elle-même dans chacun de ses projets, qu’elle sélectionne avec exigence. Comme beaucoup d’artistes, elle doit jongler pour vivre de ses passions, mais elle transforme cette contrainte en une force : celle de l’indépendance. Elle écrit pour elle-même et conserve la maîtrise totale de la narration.


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Bollywood Boulevard, au Théâtre La Flèche  (Paris 11e), les jeudis jusqu’au 11 décembre à 21 h. Durée : 1 h 10. 25,99 euros.

Le programme complet des Visites imaginaires,  à découvrir au musée d’Orsay, musée Marmottan Monet, musée Stéphane Mallarmé, musée Zadkine ou encore au musée Gustave Moreau.