À 120 jours des Jeux Olympiques d’hiver à Milan-Cortina (6 au 22 février 2026), Tess Ledeux (23 ans) vit une longue période de doutes et d’attente. Sept mois après sa commotion cérébrale à la suite de la plus grosse chute de sa carrière, lors de la Coupe du monde à Tignes, le 13 mars, la vice-championne olympique de big air n’a pas encore retrouvé le chemin des snowparks.
Cet été, la triple championne du monde (2017, 2019, 2023) a vécu un « tour du monde des spécialistes » et une phase de rééducation quotidienne, chez elle à Annecy. Inspirée par les discours de Simone Biles ou de Perrine Laffont sur la santé mentale, Ledeux s’est confiée sur son « combat », ses doutes et son évolution, pendant une demi-heure, mercredi.
« Sept mois après votre chute, comment allez-vous ?
Ça va, ça avance (sourire). Mon été s’est plutôt bien passé. J’ai pu quand même assurer une prépa physique correcte qui me permettra, dès que j’ai le feu vert, de reprendre le ski direct. La rééducation des cervicales, vestibulaire, et oculaire et visuelle, a été longue et intense.
« Ce qui était vraiment dur, c’est de ne pas avoir d’objectif de temps. Parfois, en deux semaines, ton corps a un déclic et tout va mieux. Je me tiens prête »
Aujourd’hui, quels symptômes avez-vous ?
Au début, j’avais vraiment tout : vertige, nausée, maux de tête, douleurs cervicales, un peu de confusion, beaucoup de fatigue. Je dormais énormément, et émotionnellement parlant, c’était compliqué. Les symptômes médicalement prouvés d’une commotion, ça peut être de l’anxiété, de la dépression, de l’irritabilité. On passe par des états de tristesse, de colère, de fatigue extrême. Mentalement, on n’a plus trop la main sur nos émotions. ça dérègle pas mal de choses, dont l’équilibre émotionnel. Jusqu’en juin, ces symptômes étaient quotidiens. Il me reste aujourd’hui des maux de tête et des douleurs cervicales. Tant qu’il y a des symptômes, pas de reprise.
Est-ce la condition pour refaire du ski freestyle ?
C’est la seule condition, mais on ne sait pas combien de temps ça va durer. J’ai le droit de faire du ski libre. Dès que j’ai le feu vert, toutes les sensations de glisse, je les aurai. Je n’aurai plus qu’à retourner dans un snowpark faire un saut. Le staff n’arrête pas de me dire que retrouver mon niveau de l’hiver dernier peut être rapide. J’ai forcément plus de doutes, mais je leur fais confiance. Ce qui était vraiment dur, c’est de ne pas avoir d’objectif de temps. Parfois, en deux semaines, ton corps a un déclic et tout va mieux. Je me tiens prête.
Donc pour les JO 2026, vous imaginez pouvoir être présente et compétitive ?
L’objectif principal est de me remettre physiquement. On n’est pas encore au moment où on doit prendre la décision de dire »O.-K., on arrête et rendez-vous en 2027 ». On n’en est pas là du tout. Ce n’est pas la prépa olympique que j’avais espérée et ça a été dur à accepter, mais je l’ai accepté. Je ne vais peut-être pas arriver avec six mois de ski dans les jambes comme les autres, mais je vais arriver avec de la fraîcheur et une motivation que je n’ai jamais eue dans ma vie parce que quand on est privé de ski pendant 7-8 mois, c’est dur…
Ne pas faire les Jeux n’est pas une option pour le moment ?
Ma participation n’est pas un sujet. Pour moi, j’y serai. Certes, il y a une infime chance que ce ne soit pas le cas. Mais j’y crois parce que le neurochirurgien y croit, mon staff aussi.
Vous avez décidé d’évoquer dans les médias votre santé mentale, un sujet longtemps tabou dans le sport. Pourquoi ?
J’ai eu tendance à trop cacher ma vulnérabilité dans ma carrière. Parce que je gardais l’image de : »Il faut être forte, la compétition avant tout ». La parole se libère de plus en plus : on a le droit de traverser des périodes de doute, et encore plus quand on est blessé. Parce qu’on nous enlève notre métier, on nous enlève ce qui nous fait vivre aussi. Et on se bat contre quelque chose plus fort que nous, notre corps. C’est encore plus un sujet en saison olympique, parce que tout le monde fait genre tout va bien. J’ai longuement hésité à en parler, mais il le faut parce que ça nous rend humains et accessibles, les sportifs. Je peux être une machine de guerre en compétition mais je ne suis pas une machine de guerre au quotidien. On l’oublie trop souvent. Il y a un réel décalage entre ce que les gens pensent être notre vie et ce qu’est notre vie. Je fais mes courses comme tout le monde, j’achète des butternuts et je me fais une soupe le soir. (rires)
« J’ai envie d’une médaille d’or, ça fait quatre ans que je me prépare pour ça. C’est mon objectif, ce qui me fait me lever tous les matins »
Votre blessure a-t-elle fait l’effet d’un déclic ?
Complètement. Avant, je n’arrivais pas à me dire qu’une deuxième place, c’était bien. Ma vision a changé parce que j’ai grandi, je sais le travail derrière une victoire, une médaille, n’importe quel résultat. Par exemple, je n’arrivais pas à être fière de ma médaille d’argent aux Jeux Olympiques (2022 à Pékin) il y a encore quelques mois. J’ai eu besoin de traverser sept mois de blessures et de doutes pour me dire : »Tess, sois fière de toi, apprécie chaque moment ». Il y a trois ans, si l’objectif n’était pas rempli, la vie s’écroulait. J’ai compris plein de trucs et j’ai envie d’être bien avec moi avant d’être bien en tant qu’athlète. La santé mentale est un sujet important dans le sport de haut niveau, mais aussi dans la vie en général.
Vous sentez-vous bien entourée pour affronter tout ça ?
Oui, j’ai beaucoup de chance. Avec mon staff, on rêve tous d’une médaille olympique cet hiver, mais on rêve tous aussi de continuer longtemps. Ils me l’ont tout de suite fait comprendre et ça m’a énormément apaisée.
Donc vous ne sentez pas de pression à être prête à n’importe quel prix pour le premier jour des JO…
Forcément, on a tous beaucoup d’attentes sur cet hiver, moi la première. Mais je sens aussi que cet hiver est une étape, pas la fin de quelque chose. Ce n’était pas mon discours il y a encore trois mois. (sourire) Les derniers Jeux ont été assez éprouvants. Depuis, j’ai envie d’une médaille d’or, ça fait quatre ans que je me prépare pour ça. C’est mon objectif, ce qui me fait me lever tous les matins. Mais j’ai aussi compris que peu importe ce qui se passe cet hiver, l’histoire continuera et il y aura d’autres moments pour avoir cette médaille d’or. »