Je sors du café galvanisée. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu des conversations si intéressantes avec de purs inconnus ! Je suis stimulée, j’ai envie d’acheter une tonne de livres, je viens de toucher à quelque chose de précieux.

Publié à 16 h 30

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Marie-France Kohoué le constate : beaucoup de gens cherchent à retrouver le goût de lire. C’est en partie pour eux qu’elle a créé les évènements Sip & Read.

Chaque mois, une vingtaine de personnes se rassemblent pour discuter d’un livre qui les a marquées. Contrairement à ce qui se fait dans bien des clubs de lecture, les participants ne plongent pas dans le même ouvrage.

« Tu as lu quelque chose que tu as adoré ou détesté, puis tu as absolument besoin d’en parler ? Alors tu viens à Sip & Read », explique Marie-France Kohoué.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Lors des évènements Sip & Read, des gens de tout âge et de tout horizon se rencontrent pour discuter de livres.

Professionnelle en finance, la jeune femme a toujours été une grande lectrice. Elle partageait ses coups de cœur avec une petite communauté sur Instagram quand elle a eu envie de jaser littérature avec des humains en chair et en os. Le problème, c’est qu’elle n’aimait pas l’idée des ouvrages imposés. Elle préfère de loin choisir des livres en fonction de ses besoins du moment.

« Pourquoi ne pas faire des rencontres littéraires dans lesquelles chacun arrive avec son livre ? », s’est-elle demandé.

En décembre 2023, elle organisait le premier rendez-vous Sip & Read. Elle a dû prendre une pause en 2024 pour écrire son mémoire de maîtrise, mais depuis, les évènements mensuels se déploient à tour de rôle à Ottawa (où elle habite), à Gatineau et à Montréal.

(D’ailleurs, elle cherche toujours la dénomination française à adopter pour ses évènements sur le sol québécois – des participants lui ont proposé « Sirote et lis », mais elle n’est pas convaincue que ce soit accrocheur…)

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Marie-France Kohoué en compagnie de participants à l’évènement de Montréal au café Simplement Fée

Grâce à elle, des francophones et des anglophones de tout âge et de tout horizon se rencontrent pour discuter de livres.

Selon Marie-France Kohoué, il s’agit d’une excellente façon de renouer avec l’habitude de la lecture.

D’abord parce qu’en sortant d’un évènement, on cherche déjà dans quel livre plonger pour le mois suivant. Ensuite parce qu’on lit en sachant qu’on pourra bientôt prolonger nos réflexions avec autrui.

Je m’apprête à vivre l’expérience dans le cadre du 10e évènement Sip & Read, qui se tient au café Simplement Fée, à Montréal.

Dahne Gnowe en est pour sa part à sa quatrième participation. Aujourd’hui, elle agit à titre de bénévole pour guider les nouveaux venus. Quand je lui demande ce qui l’attire ici, elle me répond :

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Dahne Gnowe, participante et bénévole à l’évènement de Montréal

Le fait de pouvoir échanger avec des personnes qui ont des goûts complètement différents des miens. Ça alimente bien le feu de la lecture ! On rencontre des gens, mais on rencontre aussi des livres.

Dahne Gnowe, participante et bénévole à l’évènement de Montréal

Je souligne qu’elle a le sens de la formule. Travaille-t-elle en pub ? Non, en génie !

Dahne m’assigne une place. Je me joins à une table où placotent déjà trois personnes. Je souris quand Henri-Robert Sully m’explique qu’il est ici parce qu’il a perdu l’habitude de lire et qu’il souhaite la retrouver… Marie-France disait donc vrai.

En général, il n’y a pas de thème imposé aux évènements, mais aujourd’hui, Fabrice Vil viendra présenter son livre Bon gason !, alors on nous a demandé de choisir des ouvrages tirés de la littérature noire. On en discutera en mangeant une crêpe et en sirotant une boisson chaude, le repas étant inclus dans le prix d’entrée de 30 $.

Le processus est simple. La vingtaine de participants est répartie en trois tablées. Chaque personne a sept minutes pour présenter l’œuvre qu’elle a choisie à ses compagnons de table. Pour bien se préparer, on a préalablement reçu un guide de présentation. On sait donc qu’on doit résumer l’œuvre, mais surtout exposer ce qu’elle nous a fait ressentir et les leçons qu’on en a tirées.

Après ces sept minutes de monologue, on a six minutes pour discuter ensemble. Des cartes posées sur la table nous proposent des questions, au cas où la gêne s’emparerait de nous. Comme je le constaterai bientôt, elles ne servent pas tellement… Les gens sont inspirés (et inspirants).

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Le bénévole Luca Navarro s’assure du bon déroulement de l’activité.

Luca Navarro, le bénévole assigné à notre groupe, s’assure du bon déroulement de l’activité. Chronomètre en main, il invite Loren Houndekon à ouvrir le bal. Elle nous parle avec enthousiasme de la saga familiale Le fils de la maison, de l’autrice nigériane Cheluchi Onyemelukwe. Elle nous explique avoir reconnu des gens de son entourage dans les situations tragiques qui y sont dépeintes. On découvre grâce à elle le poids des traditions patriarcales qui pèsent sur certaines communautés.

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Loren Houndekon parle avec enthousiasme de la saga familiale Le fils de la maison, de l’autrice nigériane Cheluchi Onyemelukwe.

Deuxième livre au menu : Une si longue lettre, de l’autrice sénégalaise Mariama Bâ. Un roman épistolaire sur la vie de femme et de mère. Déjà, des liens se tracent entre les œuvres. On discute de sororité et de féminisme. On en vient à réfléchir à la hiérarchie de l’amour qui place injustement la romance avant les amitiés.

C’est un excellent samedi après-midi.

Puis, les participants nous parlent à tour de rôle des romans Le comte de Monte-Cristo (d’Alexandre Dumas, qui a des origines haïtiennes), Little Rot (48 heures dans un party sexuel au Nigeria, telles que les a imaginées Akwaeke Emezi) et Le sang des innocents (un thriller signé S.A. Cosby). De mon côté, j’ai choisi l’essai Balance ton corps de Bebe Melkor-Kadior, aussi éclairant que confrontant.

On discute d’injustices et de dynamiques de pouvoir, des systèmes dont on est prisonniers, puis de la honte comme outil de contrôle. On se demande si nous, on a la possibilité de changer les choses.

Je n’en reviens pas d’avoir une conversation si stimulante avec cinq personnes que je ne connaissais pas il y a deux heures. J’ai envie de lire tous les ouvrages dont elles ont parlé, mais j’ai aussi envie d’être leur amie.

Mission accomplie pour Marie-France Kohoué : « J’essaie de réunir des gens qui n’allaient peut-être jamais se rencontrer. C’est assez incroyable, ce qui se passe ! Tu lis un livre et des connexions en découlent… Des participants sont même devenus colocataires ! »

Un espace qui favorise l’amour de la lecture et de l’Autre ? Où est-ce que je signe ?

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