Alors qu’un peu plus d’un millier d’avions commerciaux sont aujourd’hui en service en Russie, un tiers de cette flotte risque donc de faire défaut d’ici à 5 ans. Les avions mis sur le banc de touche seraient avant tout des appareils devenus hors d’âge, notamment des turbopropulseurs Antononv An-24 et An-26, ainsi que des Yakovlev Yak-40, de petits avions de transport régional. Par ailleurs, quelques dizaines d’avions régionaux de 100 places SJ-100 (ex SuperJet 100) – sur les quelque 150 en exploitation depuis 2011 – risquent aussi d’être retirés des flottes. S’ils sont bien plus récents, leurs moteurs SaM146 (du français Safran et du russe NPO Saturn) peinent à être maintenus en service. D’où la décision prise par Rosaviatsiya de prolonger leur durée de vie, tout en assurant du respect des règles de sécurité.
Les Airbus et Boeing volent toujours
Le transport aérien russe mise donc beaucoup sur le maintien en opération des Airbus et Boeing, en très grande majorité des monocouloirs, qui semblent bien résister aux sanctions occidentales. Et qui représentent la moitié de la flotte en exploitations dans le pays. On comptabilise aujourd’hui 245 Airbus et 234 Boeing en service, d’après les données du cabinet britannique spécialisé Cirium qui enregistre aussi plus de 80 appareils cloués au sol pour chacun des deux avionneurs. Des chiffres qui soulignent un maintien en vol plus important qu’attendu, mais qui démontrent aussi un fléchissement inéluctable. En 2019, 313 Airbus et 332 Boeing étaient exploités, toujours selon Cirium.
«Entre 2022 et 2025, la baisse du nombre d’appareils commerciaux occidentaux opérés par les compagnies russes n’a pas excédé 10%, confie à L’Usine Nouvelle Maksim Pyadushkin, expert en aviation basé à Moscou, contributeur au média russe Air Transport Observer. Il semble que les compagnies aériennes russes aient retiré uniquement les très anciens modèles tels que les 747 et 767, ou les avions de la famille A320neo qui présentent des problèmes de moteurs.» Une référence aux systèmes propulsifs de l’américain Pratt & Whitney, obligeant à immobiliser des centaines de monocouloirs dans le monde.
La Russie demande un assouplissement des sanctions
Outre les Airbus et Boeing, le reste des flottes exploitées dans le ciel russe est par exemple composé d’ATR 72, d’Embraer E170 et 190, de De Haviland Canada DHC-8 ou bien encore de Bombardier CRJ. «Les statistiques officielles montrent que le trafic passagers a diminué de moins de 2% entre janvier et juillet cette année, principalement sur les lignes intérieures, indique Maksim Pyadushkin. La plupart des avions occidentaux restent en service grâce à l’approvisionnement en pièces détachées provenant de pays amis. Je ne connais pas les itinéraires précis, mais les enquêteurs des médias russes ont mentionné des entreprises indiennes, chinoises et moyen-orientales.»
Mi-septembre, Moscou a appelé à assouplir les sanctions à l’encontre de son aviation civile, arguant d’un risque en matière de sécurité aérienne, à l’occasion d’une réunion de l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI) organisé à Montréal (Canada). Mais au-delà du maintien en service des appareils existants, les autorités russes espèrent pallier les avions hors d’état par de nouveaux engins, ne dépendant donc pas de fournisseurs occidentaux. Le directeur général de Rosaviatsiya n’attend pas moins de 500 nouveaux appareils d’ici à 2030, un chiffre supérieur, donc, au nombre d’avions à remplacer. Nombre d’experts sont circonspects quant à la capacité de l’industrie russe à relever un tel défi industriel.
Une volonté d’indépendance qui reste à concrétiser
L’objectif affiché par les autorités russes semble ambitieux, au vu des difficultés rencontrées par l’industrie pour se défaire de la dépendance aux équipements européens et américains. Mais elles n’espèrent rien tant que remettre en selle une industrie dont elle a perdu la maîtrise à la suite de l’effondrement de l’URSS, en 1991. D’où sa volonté de russifier certains programmes aéronautiques. Le premier vol d’un SJ-100 100% russe a été officiellement annoncé mi-septembre, équipé en particulier de moteurs Aviadvigatel PD-8 en lieu et place des SaM146. Son programme d’essais de certification doit se terminer d’ici la fin de l’année. Quant au second programme phare, le moyen-courrier MC-21, sa version russifiée n’a entamé son programme de certification que cet été et doit l’achever fin 2026. «On peut s’attendre à de nouveaux retards», pronostique Maksim Pyadushkin.
Malgré les retards dans le développement des SJ-100 et MC-21 débarrassés de tout contenu occidental, le conglomérat industriel Rostec veut croire en sa capacité à livrer à courts termes des centaines d’appareils. Ce qui suppose un remplacement non seulement des moteurs, mais aussi d’équipements critiques tels que l’avionique et les trains d’atterrissage. Une production d’avions 100% russes qui devrait démarrer dès l’an prochain. La compagnie aérienne russe Aeroflot a notamment fait savoir cet été qu’elle attendait la livraison de plus d’une centaine de MC-21 d’ici 2030. D’après l’agence de presse Tass, la production annuelle pourrait s’établir à brève échéance à 36 MC-21 et 20 SJ-100, a fait savoir en juin dernier le ministre russe de l’Industrie. Malgré son glorieux passé aéronautique, pour l’industrie russe, le défi est immense.