Les archives d’AD — Reportage initialement paru dans AD N°157.
Braver l’interdit a (parfois) du bon. C’est parce qu’il a fait le mur, un soir à Alger, alors qu’on le lui avait fortement déconseillé, que le photographe helvète Léo Fabrizio est tombé littéralement en extase devant d’autres murs : ceux de l’architecte Fernand Pouillon (1912-1986), auteur, entre autres, en France, de l’ensemble de La Tourette, sur le Vieux-Port à Marseille, ou de l’immeuble Les 200 logements, à Aix-en- Provence. « C’était en 2012, raconte Léo Fabrizio. J’étais venu en Algérie à l’occasion d’une commande du ministère des Affaires étrangères pour la construction de la nouvelle ambassade de Suisse. Au cours d’une de mes déambulations nocturnes, j’ai découvert les bâtiments de la cité Diar el-Mahçoul. Des lampadaires éclairaient la pierre d’un magnifique halo orangé. Ce fut pour moi une révélation. » Et, sans le savoir, le début d’une aventure de longue haleine. Le photographe, qui n’avait « croisé la réalité algérienne de Pouillon » que lors de conférences ou d’expositions, se retrouve cette fois face à elle physiquement, ébloui. Plus tard, il découvrira la genèse du projet et la traduction de son nom, à mi-chemin entre poésie et programme politique : La Cité de la promesse tenue.
Débute alors une laborieuse récolte d’informations, l’oeuvre algérienne de l’architecte français étant très peu sinon pas documentée. Pour faire simple, il y a, dans cette production, deux grands volets : l’un dans les années 1950, l’autre de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980. Ou, comme on a coutume à dire pour les peintres, deux périodes, l’une « blonde », celle de la pierre de taille, des grandes opérations de logements sociaux et de la métropole algéroise ; l’autre « blanche », de l’enduit immaculé, des vastes programmes de tourisme balnéaire et de la côte algérienne. C’est par son maire, Jacques Chevallier, que Fernand Pouillon reçut une invitation à se rendre à Alger. L’édile cherche à résoudre deux problèmes : résorber les bidonvilles de la casbah et faire face à l’explosion démographique. Pouillon débarque dans la capitale algérienne le 8 mai 1953. « À midi, j’étais chargé de faire 3 000 logements, à cinq heure du soir, d’en faire 8 000. C’est une aventure qui arrive rarement dans sa vie d’être honoré d’une telle confiance. »
Ainsi, jusqu’en 1959, va-t-il s’atteler, notamment, à trois programmes clés : la réalisation des cités Diar es-Saada [« La Cité du bonheur »], 730 logements, Diar el-Mahçoul donc, 1 500 logements, et Climat de France, 5 000 logements. Plantée sur les hauteurs de Bab el-Oued et surnommée Les 200 colonnes en raison des nombreux piliers des édifices formant la place éponyme, cette dernière est le projet phare algérois de Fernand Pouillon. Au lieu d’une banale HLM, ce dernier offre un palais, comme il l’explique : « J’ai voulu que les hommes aient une espèce de monument. Étant donné que c’était de tous petits appartements et que ces appartements étaient faits pour des gens très pauvres, j’ai voulu que l’esprit monumental entre dans leur vie, dans la vie courante de tous les jours. » Sous-entendu : ce n’est pas parce qu’il s’agit de logement social qu’il faut construire mochard. « Si, en regard du cahier des charges, Pouillon ne peut offrir des mètres carrés supplémentaires, il veut offrir de la dignité », observe Léo Fabrizio. Son objectif, en tout cas, est clair, voire quasi sacré : « Bâtir pour la communauté des hommes. » Ce credo, l’architecte le perpétuera au cours de son second séjour en Algérie, quelques années après la proclamation de l’indépendance. En 1967, il s’installe dans le quartier d’El Madania, à Alger, dans une ancienne demeure arabe du XVIIIe siècle, la Villa des Arcades, au sein de laquelle il loge également son agence.