ENTRETIEN – L’auteur et médecin publie un bel album intitulé Les pansements invisibles, dans lequel il image la question du consentement.
Baptiste Beaulieu, médecin et écrivain à succès, publie Les pansements invisibles, (Les Arènes), illustré par Qin Leng, un joli album qui rappelle l’importance du consentement à travers l’histoire d’une petite fille. Il sera présent ce dimanche 12 octobre au Salon «Lire en Poche», de Gradignan.
LE FIGARO. – Que désignent les « pansements invisibles » , titre de votre dernier album ?
Baptiste BEAULIEU. – Les pansements invisibles, ce sont ces blessures muettes que l’on porte parfois sans que personne ne les voie. Cet album raconte l’histoire d’une petite fille qui découvre que son corps lui appartient. Qu’il n’est ni un objet, ni un terrain neutre, ni une chose que l’on peut commenter, toucher ou photographier sans son accord. Elle prend aussi conscience que l’on peut souffrir — parfois énormément — sans que l’entourage ne s’en aperçoive. Chaque fois qu’elle se sent envahie, rabaissée ou niée, un pansement imaginaire apparaît sur sa peau. Des pansements symboliques, invisibles aux yeux des autres, mais profondément réels pour elle. L’album s’adresse à la fois aux enfants, qui y trouvent un miroir de leurs ressentis, et aux parents, qui y découvrent des clés pour les écouter et les accompagner.
Comment est née l’idée de cet album jeunesse ?
Elle est née de ma pratique médicale quotidienne et de mes rencontres. Trop souvent, j’ai constaté combien les enfants se taisent, par peur ou par loyauté, face à ce qui les blesse. J’ai voulu écrire un texte qui soit un espace de réparation, un endroit sûr où poser des mots simples sur ce qui, pour eux, est parfois indicible. J’ai aussi voulu proposer aux adultes un outil pour aborder la question du consentement et de l’auto-détermination sans tabou, avec délicatesse et bienveillance. Cet album est un espace d’écoute et de dialogue. Il aide les enfants à mettre des mots sur leurs blessures invisibles, il offre aux adultes des outils pour les entendre. Il crée des passerelles entre l’intime et le collectif, entre l’indicible et le partage. Il peut être lu à la maison, à l’école, en médiathèque, en consultation médicale. Il s’adresse à tous, car ces pansements, nous les portons longtemps, parfois même sans nous en souvenir. Rien n’est plus «extime» que «l’intime». Je ne connais pas de gens qui ne se débattent pas secrètement contre des blessures invisibles, qui ne mène pas solitairement un combat entre lui et lui-même.
Le courage naît rarement de soi seul : il se construit grâce au regard des autres, grâce à l’écoute.
Dans le livre, une fillette fait l’expérience du consentement à travers ses rencontres, et diverses situations. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur ce thème épineux ?
Parce que le consentement est une notion universelle. Trop souvent, on le réduit à la sphère intime ou sexuelle, alors qu’il concerne chaque interaction de la vie quotidienne. Un enfant doit pouvoir se demander : « Suis-je d’accord ou pas d’accord ? Ai-je envie ou non de prêter mon jouet ? Suis-je à l’aise ou non de partager mon espace de jeu ? » On croit parfois que ces détails sont insignifiants, mais c’est là que tout commence. Forcer un enfant à prêter son jouet « parce qu’il le faut » revient à nier son ressenti. Et si l’on transpose à notre monde d’adultes, accepterions-nous de partager SANS DISCUSSION notre téléphone avec un inconnu ? La réponse est évidente. En somme, le consentement s’apprend tôt : dans le respect des petites choses se construit le respect des grandes.
Dire «non» , cela s’éduque-t-il ?
Oui, absolument. Dire non est un apprentissage. Cela suppose d’abord de sentir que l’on a le droit de dire non. Cela suppose ensuite d’être entendu.
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que, parfois, nous devons avoir le droit de dire « NON » sans avoir à JUSTIFIER ce NON. Cela signifie savoir que OUI, parfois, le simple mot NON est, en soi, une phrase complète.
Dans l’album, la fillette découvre que des adultes bienveillants — une docteure, une maîtresse — peuvent faire toute la différence. Parce qu’ils lui donnent l’espace d’exister et accordé à sa parole d’enfant pour une légitimité. Le courage naît rarement de soi seul : il se construit grâce au regard des autres, grâce à l’écoute.
Lire, c’est apprendre à se mettre à la place d’autrui. Et un adulte qui a appris cela enfant est mieux armé pour construire un monde respectueux et solidaire
Croyez-vous au pouvoir de la parole ?
Oui. La parole peut sauver, et la littérature peut en être le tremplin. Lire une histoire, c’est découvrir qu’on n’est pas seul, qu’on a le droit de ressentir ce que l’on ressent, que d’autres ont traversé les mêmes tempêtes. La littérature donne des mots là où souvent il n’y en a pas. Elle offre un espace symbolique qui permet ensuite d’oser parler dans le réel. C’est le propre du roman : lire c’est, l’espace de 200/300 pages, vivre d’autres vies que la sienne, et, par là même, faire l’expérience d’une altérité qui nous serait sinon impossible à atteindre.
Vous écrivez : « Je crois vraiment qu’on peut changer le monde avec des histoires pour enfants. » Lire aide-t-il à mieux grandir, à devenir un meilleur adulte ?
Je le crois profondément. Les histoires forgent notre imaginaire moral, elles nous apprennent à identifier l’injustice, à développer l’empathie, à comprendre la nuance. Lire, c’est apprendre à se mettre à la place d’autrui. Et un adulte qui a appris cela enfant est mieux armé pour construire un monde respectueux et solidaire. On peut changer la vie d’un enfant en lui donnant un livre. On peut changer le monde en donnant beaucoup de livres à beaucoup d’enfants.
De plus en plus d’auteurs jeunesse abordent des sujets lourds, qui vont de l’inceste aux attentats en passant par le réchauffement climatique. Faut-il conscientiser les enfants dès le plus jeune âge ou au contraire, les protéger de la violence du monde ?
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un choix exclusif. Les enfants savent bien plus de choses qu’on ne l’imagine. Le danger, ce n’est pas de leur parler : c’est de leur laisser affronter seuls des émotions qu’ils ne savent pas nommer.
La littérature jeunesse a ce pouvoir : elle n’expose pas les enfants brutalement à la violence du monde, mais elle leur donne des outils pour la comprendre, la mettre à distance et l’apprivoiser. Il ne s’agit pas de les accabler, mais de les armer. Les enfants sont des éponges émotionnelles : nous voulons les préserver de nos tragédies d’adultes, mais parce qu’ils nous aiment, ils ne sont pas totalement dupes : ils savent que se trament là-haut, chez les grands, de grandes histoires tragiques. Expliquer c’est aussi les empêcher d’être envahi par un imaginaire débordant et anxiogène. Personnellement je n’ai pas de meilleure et plus belle promesse à faire aux adultes qui lisent mes livres à leurs enfants que celle-ci : j’écris les livres que je veux lire à mon enfant pour qu’il devienne un adulte convenable et apte à coexister pacifiquement ET avec lui-même ET en société.
«Les pansements invisibles», de Baptiste Beaulieu, illustré par Qin Leng
Les Arènes