PORTRAIT – Entre le lancement d’une marque, une polémique sur les réseaux et des audiences au tribunal, le rappeur a trouvé le temps d’inscrire trois dates parisiennes. Mais après 23 ans de carrière, que reste-t-il du « Duc » ?
Son nom rappelle celui du petit ourson du dessin animé des années 1980. Élie Yaffa, dit Booba, sera l’une des attractions musicales du week-end en région parisienne. Vendredi soir, le rappeur originaire de Sèvres, dans les Hauts-de-Seine, investit une nouvelle fois Paris La Défense Arena. Pour trois soirées. 120 000 personnes sont attendues pour voir sur scène l’un des mastodontes du hip-hop contemporain, l’homme aux deux disques d’or, cinq disques de platine et au très convoité disque de diamant.
Cela fait 23 ans que le Duc, également surnommé B2O par ses fans, domine les classements de ventes et d’écoutes. Sa recette ? « Il a toujours su s’adapter, intégrer son écriture si singulière aux différentes mouvances du rap, éclaire Alexandre Chirat, auteur du livre Booba : Poésie, musique et philosophie, aux éditions L’Harmattan. Sa plume reconnaissable et ses phrases-chocs ont marqué l’industrie. » De Temps Mort en 2002 à Lunatic en 2010, en passant par Nero Nemesis en 2015, Booba a défendu tout au long de sa carrière un rap aux antipodes de celui qui résonnait dans les rues de New York au milieu des années 1990.
Révolution
Dès 2008, période à laquelle il déménage à Miami pour des raisons fiscales, il prend un virage très surprenant aux yeux des puristes du genre en ajoutant de l’autotune à ses morceaux, un outil numérique de correction de voix qui a fait la réussite de Jul, PNL, ou encore SCH, d’autres grands noms du rap. Booba est clivant. Les chiffres lui donnent raison et les critiques des traditionalistes du hip-hop s’estompent en voyant ce succès. Le Duc fait sa révolution. Il est venu diversifier le rap. Aujourd’hui, plus d’une dizaine de styles sont identifiables, parmi lesquels la trap, la drill, ou encore la jersey. Dans son morceau Trône, il déclarera humblement : « Ils ont critiqué, mais ils ont tous saigné l’autotune. »
Il est un artiste, mais aussi une industrie à lui tout seul
Benjamin Weill, auteur d’«À qui profite le sale ? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français»
Booba, dont la fortune est estimée à plus de 40 millions d’euros en 2021 par BFM, voit la musique comme un business. « Avant, nous parlions de mouvement hip-hop, d’une contre-culture incarnée par la jeunesse », remarque Benjamine Weill, auteur de l’ouvrage À qui profite le sale ? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français. « Puis Booba est arrivé et les chiffres sont devenus une tendance, poursuit-elle. Il est un artiste, mais aussi une industrie à lui tout seul, et ses confrères pensent comme lui : la quantité plutôt que la qualité. » Le rappeur possède son propre label, Tallac Records, une marque de vêtement et une webradio. Le magazine QG le sacre « Businessman de l’année » en 2016. Ce week-end, à La Défense Arena, son équipe mettra en vente un whisky à son nom.
Habitué des tribunaux
Dans ses textes, Booba rappelle constamment son amour pour les billets de banque, qu’ils soient bleus, oranges, verts et violets. Fait-il l’apologie de l’argent facile ? « L’argent ne fait pas le bonheur, le bonheur ne remplit pas l’assiette », dit-il dans son morceau Petite fille en 2017. Le rappeur parle des forces de l’ordre, par exemple, lorsqu’il confie détester la BAC et la police de proximité, ainsi que les policiers noirs et arabes qu’il juge plus violent que les autres. Il parle encore des banlieues et des élections présidentielles. Et dérape assez souvent. « Quand Booba dit “prend ton MD, laisse-toi aller”, j’appelle cela la culture du viol, l’apologie du viol », dénonce la philosophe Benjamine Weill, citant une ligne du morceau BB.
Booba – BB (2024)
Beaucoup lui reprochent d’inciter à la haine et au racisme anti-blanc. Il s’en défend très mollement. En 2006, quelque 153 députés et 49 sénateurs français ont demandé au ministère de la Justice des poursuites à son encontre. Le Sévrien connaît bien les tribunaux. Dans moins de deux mois, il sera convoqué à une audience devant le tribunal de Paris pour injures publiques à caractère discriminatoire. Il lui est reproché d’avoir harcelé la journaliste Linh-Lan Dao sur les réseaux sociaux en raison de ses origines asiatiques, mais aussi d’avoir fait des commentaires aux relents antisémites sur l’essayiste Tristan Mendès France, spécialiste des cultures numériques.
Booba n’en est pas à son coup d’essai. Depuis 2022, le rappeur est en bras de fer judiciaire contre Magali Berdah, agent d’influenceurs, qu’il aurait également harcelé sur Twitter. 28 cyberharceleurs ont été condamnés en 2024 après comparution devant le tribunal de Paris. En mai, Booba a, lui, été condamné à verser 10 000 euros à Magali Berdah pour procédure abusive en diffamation. Le rappeur est un aimant à problèmes. Plus jeune, ses professeurs le qualifiaient d’enfant turbulent. Il passe 18 mois en prison en 1997 pour braquage d’un chauffeur de taxi. Cinq ans après, il est placé trois mois en détention provisoire pour avoir tiré sur un jeune homme devant l’entrée d’une boîte de nuit. L’année suivante, il passe le bonjour à la maison d’arrêt de Nanterre après avoir volé un véhicule. Et en 2008, lors d’un concert au Stade de France du collectif Urban Peace, il jette des bouteilles de Jack Daniel’s vers un spectateur et crache dans le public.
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Rohff, La Fouine, Kaaris…
C’est là sa limite. À défaut d’être une légende du rap et l’un des principaux artisans de sa réussite, Booba est un exemple à ne (certainement) pas suivre. « Le risque, c’est que ta personnalité devienne ta faiblesse, remarque Alexandre Chirat, auteur de l’ouvrage Booba : Poésie, musique et philosophie. Avec lui, on voit que le personnage et tout ce qu’il représente ont pris le dessus sur sa musique. » En raison de son caractère, de sa grande gueule, Booba s’est fermé de nombreuses portes au cours de sa carrière. Il s’est pris le chou avec Rohff pour des histoires futiles. Ce dernier a purgé cinq années de prison, après avoir mis dans un état critique un jeune vendeur d’une boutique Ünkut, la marque de BO2, en 2014.
Le mastodonte du rap a des mots aussi avec La Fouine, qu’il qualifie de « criminel » et de pédophile dans A.C. Milan. Les deux hommes se sont battus en 2013, comme deux enfants dans une cour de récréation. La légende raconte que Booba a gagné. Jamais deux sans trois, le Duc se trouve un nouveau rival après ses altercations médiatiques avec Rohff et La Fouine. Cette fois, il s’en prend à Kaaris. Le 1er août 2018, il en vient aux mains au milieu de l’aéroport d’Orly. Cette scène, lunaire, enflamme les réseaux sociaux et le tribunal, qui requiert début 2025 une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis contre les deux rappeurs, jugés pour violences aggravées et vols en réunion.
Booba – A.C. Milan (2013)
L’agaçant sniper
Les brouilles, aussi violentes soient-elles, deviennent un jeu pour Booba et un moyen de toujours gagner plus en notoriété. Le Sévrien cherche constamment à s’attirer des ennuis. Sur les réseaux sociaux, il s’exprime au sujet de tout et surtout de n’importe quoi. Il sait très bien qu’il peut y trouver du buzz, continuer à faire parler de lui dans un monde où les auditeurs de rap, de plus en plus jeunes, défendent les disques de Tiakola, SDM, ou Niska, et de moins en moins les siens. Dans deux ans, Booba, père par deux fois, soufflera sa cinquantième bougie. Le temps de la sagesse viendra-t-il ?
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Pas sûr. Le rappeur PLK a été pointé du doigt par le Duc pour sa prestation au Parc des Princes lors des célébrations du Ballon d’Or. « La prochaine fois, reste chez toi », lui a-t-il asséné. SCH, avec qui il ne partage aucun contentieux, a lui aussi pris sa pique : « Ça fait huit albums que tu triches avec zéro hits et des recettes de sauce tomate napolitaine, […] profite de la descente. » La jalousie a transformé Booba en un sniper. Bruyant, parfois agaçant à juste titre, le rappeur poursuit son chemin dans une industrie où le clivage fait office de publicité. Pour combien de temps encore ? La réponse ce week-end, où il trinquera aux derniers concerts de sa carrière.