Malgré la bonne entente apparente entre Mark Carney et Donald Trump dans le bureau ovale à la Maison-Blanche, mardi, ne nous leurrons pas : le président des États-Unis ne fera pas de cadeau au Canada. Encore une fois, il faudra accepter de faire des concessions pour acheter la paix avec les Américains. Ceux qui entretiennent l’espoir d’une négociation de bonne foi, qui résulterait en une entente gagnant-gagnant, seront déçus.
Mark Carney est reparti de Washington les mains vides. Il est revenu bredouille, comme l’a dit le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, à la Chambre des communes mercredi. Toutefois, selon la professeure Geneviève Dufour, de l’Université d’Ottawa, le premier ministre est rentré au pays avec l’espoir que M. Trump va essayer de négocier avec nous des accords sectoriels, des accords parallèles à […] l’ACEUM. Pour moi, ce n’est pas une mauvaise nouvelle.
En fait, ce qui est le plus positif, nous a dit Geneviève Dufour, c’est qu’en négociant des ententes bilatérales spécifiques, il sera plus simple d’en sortir, si c’est nécessaire, une fois que Donald Trump aura quitté la Maison-Blanche. Cette vision fonctionne dans la mesure où, après le départ du président, son successeur voudrait voir les choses revenir comme elles étaient auparavant!
Le président Trump recherche bel et bien des accords qui portent sur des industries particulières. À la période des questions, mercredi, Mark Carney a évoqué la négociation d’une entente sur l’acier, l’aluminium et l’énergie. En ce qui concerne Donald Trump, cette approche lui permet de garder les deux mains sur son tableau de bord.
Il peut ainsi rester à la manœuvre, contrôler ses cadrans, faire monter la pression ici avec une surchauffe tarifaire, la réduire là parce qu’on vient de lui faire une concession qui fait son affaire. Il reste ainsi le maître à bord et c’est à l’intérieur de ce terrain de jeu que Mark Carney peut espérer négocier quelque chose avec le président.
7:44Quelle marge de manœuvre avons-nous?
Ce sont les travailleurs canadiens qui étaient au menu du dîner entre les deux leaders à la Maison-Blanche, a dit le chef de l’opposition officielle conservatrice, Pierre Poilievre, mardi. Il reprochait ainsi à Mark Carney d’avoir laissé tomber les travailleurs lors de sa rencontre avec le président Trump.
Cependant, le chef conservateur est-il en mesure d’expliquer ce qu’il aurait fait, lui, s’il avait été à la place de Mark Carney? Et peut-il nous dire quelle est la marge de manœuvre du Canada en ce moment? Quels sont les leviers du gouvernement fédéral dans cette affaire?
En réalité, la seule stratégie possible consiste à tenter, par tous les moyens, de minimiser autant que possible les effets déplorables de la politique américaine sur l’économie canadienne tout en ménageant la chèvre et le chou avec Donald Trump, afin d’éviter une réaction intempestive encore plus dommageable de sa part, et en travaillant à négocier des ententes qui pourraient permettre au Canada de réduire la pression sur son économie et de profiter de nouvelles occasions.
Deux cartes : Keystone XL et le « Dôme d’or »
En ce sens, Mark Carney a quand même, peut-être, quelques cartes dans sa manche. La première, c’est la proposition, qu’il aurait amenée sur la table, de relancer le projet Keystone XL, un pipeline qui partirait de l’Alberta pour rejoindre l’actuel pipeline au Nebraska.
Entendons-nous : il n’y a pas d’acteurs privés pour mettre en œuvre ce projet que TC Énergie a laissé tomber en 2021. Et le premier ministre Carney n’avait aucun plan précis à présenter au président. Mais le simple fait de rouvrir la porte à ce projet pourrait séduire l’administration Trump, même si la réalisation de Keystone XL demeure encore très peu probable.
Cela dit, petite parenthèse : Mark Carney a-t-il vraiment le mandat de relancer le projet Keystone XL alors qu’il n’a pas parlé de ce sujet en campagne électorale?
Par ailleurs, l’autre carte que pourrait utiliser le premier ministre Carney, c’est la contribution du Canada au « Dôme d’or » que veut créer le président des États-Unis. Ce dôme, qui serait un bouclier antimissile nord-américain, s’inspirerait du système analogue en Israël et rappellerait l’initiative de la « guerre des étoiles » de Ronald Reagan, un projet antimissile de l’époque de la guerre froide.
Mark Carney pourrait négocier une participation du Canada à ce projet de « Dôme d’or » en retour d’une réduction des tarifs douaniers.
Dans tous les cas, il faut tenir pour acquis que les tarifs douaniers sont là pour de bon. Il faut se rappeler que les droits de douane sont payants pour le gouvernement des États-Unis, même s’ils sont payés en bonne partie par les entreprises américaines et par les consommateurs. Les États-Unis sont en voie de tripler les recettes provenant des tarifs douaniers qu’ils imposent.
Selon le Service des douanes et de la protection des frontières aux États-Unis (CBP), les droits de douane collectés se sont élevés à 195 milliards de dollars américains au cours des huit premiers mois de l’année, alors qu’ils s’étaient établis à 88 milliards pour l’ensemble de l’année 2024. Il y avait déjà beaucoup de tarifs douaniers sous Joe Biden. Il y en a encore plus avec Donald Trump!
Nous avons déjà fait des concessions
Mark Carney a dit mercredi que le Canada a le meilleur accord du monde avec les États-Unis puisque 85 % des exportations vers nos voisins du Sud sont exemptées de droits de douane. C’est vrai et c’est important de relativiser la situation du Canada par rapport au reste du monde.
Toutefois, c’est une bien belle façon de présenter les choses. Avec son positionnement, Mark Carney est déjà en mode concession. A-t-il le choix? On sait que la réponse est non.
Il faut donc dire les choses telles qu’elles sont : le Canada va perdre avec Donald Trump. À moins que le premier ministre arrive à bien jouer ses cartes sur Keystone et sur le « Dôme d’or », sans oublier quelques basses flatteries qui fonctionnent bien avec ce président.