On se croirait dans l’antre d’un physicien. Dans son bureau du centre de Nancy, de vieilles planches anatomiques tapissent les murs, des maquettes d’œil s’alignent sur une étagère et, dans une vitrine, d’anciens instruments rappellent l’histoire de la spécialité. Sur un grand paperboard, s’entremêlent des schémas, des formules complexes et des calculs griffonnés à la hâte. « J’aime chercher, comprendre, remettre en cause ce qu’on m’a appris », sourit le Dr Frédéric Hehn, débit rapide et gestes précis. Depuis plus de trente ans, ce chirurgien ophtalmologiste s’est imposé comme l’un des spécialistes français les plus investis dans la presbytie, ce trouble visuel qui touche plus de 40 millions d’Européens. « La presbytie n’est pas une maladie. Mais c’est une gêne massive, quotidienne. Et elle est trop souvent négligée », insiste-t-il.
Une découverte née du hasard
Son parcours bascule à la fin des années 1990. En opérant un patient hypermétrope, il le corrige uniquement pour la vision de loin. Le lendemain, le patient lui confie : « Docteur, je vois tout, de loin comme de près. » Frédéric Hehn est stupéfait. « Pour moi, c’était impossible. Ça contredisait tout ce qu’on m’avait appris. Alors j’ai noté ça dans mon carnet. » De cette « singularité » naît une recherche acharnée, qui aboutit quinze ans plus tard à une technique brevetée : l’Isovision. Contrairement à la monovision, qui corrige un œil pour le loin et l’autre pour le près, IsoVision traite les deux yeux de la même manière, offrant une vision naturelle à toutes les distances. « J’ai inventé ça, et je l’ai breveté. Aujourd’hui, je veux le partager. » À cette découverte s’ajoute la théorie de l’optique par dilution, elle aussi protégée par brevet. Ses applications dépassent l’ophtalmologie. « Avec cette approche, la lumière n’est plus baveuse. Imaginez un télescope comme le James Webb équipé de ça : il verrait encore plus loin », s’enthousiasme-t-il, dessin à l’appui sur son paperboard.
PresbyDay, carrefour mondial de l’innovation
C’est pour confronter ses idées, mais surtout stimuler la recherche collective, que le Dr Hehn a créé en 2014 le congrès PresbyDay. L’édition 2025, organisée au Centre Prouvé, sera consacrée aux grands enjeux de demain : l’intelligence artificielle dans le choix des implants, les casques de simulation visuelle, les logiciels prédictifs et les nouvelles techniques mini-invasives. L’intelligence artificielle, déjà présente dans de nombreux domaines médicaux, bouleverse aussi l’ophtalmologie. Ses apports concernent trois grands champs. D’abord, le diagnostic. En quelques secondes, des algorithmes analysent des images de l’œil et détectent des anomalies invisibles à l’œil nu. L’IA est aujourd’hui capable de repérer précocement certaines pathologies comme la rétinopathie diabétique, le glaucome ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Ensuite, la planification opératoire. Les logiciels nourris par des milliers de données biométriques peuvent simuler la vision future du patient selon les différents gestes chirurgicaux envisagés. « L’IA nous aide à personnaliser l’opération, explique le Dr Hehn. Elle calcule les effets possibles d’un implant, anticipe les réactions de l’œil et réduit les marges d’erreur. »
« L’intelligence artificielle anticipe les réactions de l’œil et réduit les marges d’erreur. »
Dr Frédéric Hehn.
Enfin, le suivi post-opératoire. Grâce aux applications connectées et aux outils d’analyse prédictive, l’IA permet de mieux évaluer les suites d’une chirurgie et d’adapter le traitement si nécessaire. L’ophtalmologie devient ainsi plus précise, plus personnalisée, et mieux adaptée à chaque profil visuel. « L’IA est déjà là, rappelle le Dr Hehn. Elle ne remplacera pas l’expérience du chirurgien, mais elle transforme nos pratiques. Elle doit rester un outil d’aide à la décision, au service de la sécurité et du confort du patient. »