Une jeune femme à l'hôpital pendant son traitement contre un cancer.En France, 66 % des cancers diagnostiqués chez les 15-19 ans sont des leucémies, lymphomes, tumeurs du système nerveux central ou sarcomes, d’après l’étude EPI-AJA. © Adobe Stock

Alors, que le cancer a causé plus de 170 000 décès en 2023, dont plus de 90 000 hommes et près de 67 000 femmes, les registres français montrent une hausse modérée mais continue de certains cancers chez les jeunes adultes depuis une vingtaine d’années. Rien d’une épidémie, mais un signal faible, persistant, qui intrigue les épidémiologistes. Les chiffres, publiés en 2025 par Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa), confirment la tendance.

Cancers chez les jeunes : que disent les chiffres ?  Une incidence qui monte… modérément

Les chiffres, cette fois, ne laissent plus vraiment place au doute. Selon l’étude EPI-AJA, publiée en 2025 par Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa), l’incidence globale des cancers chez les 15 à 39 ans a augmenté en moyenne de +1,62 % par an entre 2000 et 2014, avant de reculer légèrement de –0,79 % par an entre 2015 et 2020. Autrement dit, la tendance n’est ni explosive, ni linéaire, mais bien réelle.

Cette évolution traduit surtout une augmentation ciblée de certaines localisations, pas une flambée générale. Sur vingt ans, six types de cancers se distinguent par une progression significative :

Des hausses parfois discrètes, mais constantes, qui interrogent la communauté médicale. Les chercheurs y voient un mélange de facteurs biologiques, comportementaux et environnementaux, mais aussi l’effet d’un meilleur dépistage et de diagnostics plus précoces. Ainsi, l’augmentation du nombre de cas ne signifie pas toujours que plus de personnes tombent malades : on les détecte plus souvent, plus tôt, et parfois mieux.

L’effet du “jeune patient” : des cancers différents

Derrière les statistiques, il y a une autre évolution, plus subtile : la nature même des cancers change selon l’âge. Chez les 15 à 19 ans, les tumeurs typiques de l’adolescence dominent encore : leucémies, lymphomes, sarcomes, tumeurs du système nerveux central. Mais à mesure que l’on avance vers la trentaine, le visage du cancer se transforme.

Chez les 25 à 39 ans, les formes dites “adultes”, comme les carcinomes du sein, du côlon, de la thyroïde, ou les mélanomes cutanés, deviennent plus fréquentes. En clair, les jeunes adultes développent aujourd’hui des cancers qui, il y a trente ans, touchaient surtout les quadragénaires ou quinquagénaires. Une bascule générationnelle qui interroge : pourquoi ces maladies apparaissent-elles plus tôt ?

Certains chercheurs parlent d’un effet de cohorte, c’est-à-dire de conditions d’exposition spécifiques à une génération : environnement, pollution, alimentation, sédentarité…

Des cas encore rares… mais pas anecdotiques

Il faut pourtant garder une donnée essentielle en tête, le cancer reste une maladie de l’âge. En France, sur environ 433 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année, la très grande majorité concerne les plus de 60 ans. Les cancers avant 40 ans représentent une part très minoritaire, mais leur progression, même limitée, est scrutée de près.

Pourquoi ? Parce qu’ils posent des défis médicaux, psychologiques et sociaux inédits. Le diagnostic survient en plein milieu de la vie active, souvent avant la parentalité, et bouleverse des parcours encore en construction. Pour les épidémiologistes, ces jeunes malades sont donc un indicateur précoce. Un miroir de nos modes de vie et de nos environnements modernes.

Le vieillissement de la population explique encore la plus grande part de l’augmentation du nombre total de cancers. Mais le glissement vers des âges plus jeunes, lui, n’est pas un artefact démographique. C’est un signal faible, persistant, celui d’une société où la maladie s’installe, doucement, là où on ne l’attendait pas.

Le chiffre “+ 80 %” : une confusion mondiale

On le lit partout : « + 80 % de cancers chez les jeunes ». Une statistique impressionnante, reprise en boucle depuis 2024… mais elle ne concerne pas la France. Ce chiffre vient d’une étude mondiale publiée en 2023 dans la revue BMJ Oncology. Les chercheurs y ont analysé les données de 204 pays entre 1990 et 2019, et observé une hausse globale de 79 % du nombre de cancers chez les moins de 50 ans. Mais cette étude mesure une évolution à l’échelle planétaire, très influencée par la croissance démographique, le meilleur dépistage et les progrès médicaux dans les pays en développement.

En France, la réalité est bien différente. Selon Santé publique France et l’INCa, l’incidence des cancers chez les 15-39 ans a progressé modérément de 1,6 % par an entre 2000 et 2014, avant de se stabiliser depuis 2015. Alors, oui, certains cancers augmentent, mais non, il n’y a pas d’explosion généralisée.

Les spécialistes sont clairs, ce qui inquiète aujourd’hui, ce n’est pas une flambée des cas, mais le déplacement progressif de certains cancers vers des âges plus jeunes. Un signal discret à interpréter avec rigueur, pas avec peur.

Mais pourquoi les cancers touchent de plus en plus les jeunes ? L’amélioration du diagnostic : un effet d’amplification

C’est la première explication avancée par les chercheurs, on détecte mieux. Les progrès de l’imagerie médicale (IRM, scanner, échographie), de la biologie moléculaire et du dépistage organisé ont permis de repérer plus tôt certaines tumeurs qu’on ne voyait pas autrefois. Alors l’incidence augmente.

Mais ce phénomène n’explique pas tout. Pour des cancers comme le glioblastome (tumeur cérébrale agressive) ou le cancer du côlon chez les moins de 40 ans, la hausse ne peut pas être imputée au seul dépistage. Il s’agit bien d’une augmentation réelle des cas, selon Santé publique France. Autrement dit, la technologie a élargi la loupe, mais la maladie, elle, s’invite vraiment plus tôt.

Les modes de vie modernes

Nos comportements ont changé, et le corps le ressent. Sédentarité, alimentation ultra-transformée, consommation excessive de sucre ou de graisses, surpoids, obésité… Ces facteurs sont aujourd’hui clairement associés à un risque accru de plusieurs cancers, dont ceux du sein, du colon-rectum, du foie et du rein, selon l’OMS et l’Inserm.

Le surpoids est particulièrement scruté. Il serait lié à au moins 13 localisations cancéreuses reconnues par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Or, en France, la prévalence du surpoids chez les jeunes adultes a augmenté. Aujourd’hui, un jeune sur cinq est désormais concerné, selon l’enquête Esteban 2023.

Ces comportements apparaissent aussi plus tôt dans la vie. On bouge moins, on passe plus de temps assis, on mange plus transformé. Résultat, le métabolisme est fragilisé plus jeune, et les processus inflammatoires chroniques favorisent, sur le long terme, la transformation de cellules saines en cellules cancéreuses.

L’environnement chimique et les expositions précoces

C’est l’autre grande piste, plus insidieuse sont les expositions environnementales. Les jeunes générations sont nées et ont grandi dans un environnement saturé de polluants atmosphériques, pesticides, plastiques, métaux lourds et perturbateurs endocriniens. Ces substances, présentes dans l’air, l’eau, l’alimentation, les cosmétiques, les emballages, agissent à faible dose mais sur le long terme.

Plusieurs études du CIRC et de l’Inserm ont confirmé le lien entre certains perturbateurs (comme le bisphénol A ou les phtalates) et des cancers hormonodépendants, notamment du sein et de la prostate. Les chercheurs parlent d’un effet de cohorte. Chaque génération naît dans un environnement plus “chargé”, accumulant dès la vie fœtale des expositions invisibles. Difficile de mesurer précisément cette empreinte, mais les signaux se multiplient et, peu à peu, le cancer devient un baromètre chimique de notre époque.

La génétique : une pièce du puzzle

Bien sûr, certains cancers précoces s’expliquent par des prédispositions génétiques. Des mutations héréditaires comme celles des gènes BRCA1 et BRCA2 (cancer du sein et de l’ovaire), Lynch (cancer colorectal) ou Li-Fraumeni (plusieurs localisations) augmentent le risque de développer un cancer jeune.

Mais ces cas restent minoritaires. On estime qu’ils représentent 5 à 10 % de l’ensemble des cancers diagnostiqués avant 40 ans, selon l’INCa. Pour la majorité des jeunes patients, la cause n’est pas uniquement génétique, mais multifactorielle. Une combinaison de terrains héréditaires, d’habitudes de vie et d’expositions environnementales.

Les effets générationnels : une tendance de fond

Enfin, les scientifiques observent ce qu’ils appellent un effet générationnel. Les personnes nées après 1980, donc celles qui ont grandi avec les aliments transformés, les écrans, la pollution urbaine et un mode de vie plus sédentaire, présentent un risque plus élevé de développer certains cancers avant 50 ans .

C’est encore une fois ce qu’on appelle un effet de cohorte. Chaque génération porte l’empreinte de son époque, de ses habitudes, de ses expositions. L’environnement chimique, la façon de se nourrir, de bouger, de vivre au quotidien. Tout cela laisse des traces. Et si les chiffres français restent mesurés, ils rejoignent une tendance observée partout dans le monde, notamment en Corée du Sud, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Alors maintenant, que fait-on ?

Agir, d’abord, sans peur ni fatalisme. La hausse des cancers chez les jeunes n’est pas un destin figé, c’est un signal qui nous invite à revoir nos priorités collectives. La réponse se joue autant dans les politiques publiques que dans la façon dont nous vivons au quotidien. Elle suppose de replacer la prévention au cœur de l’éducation, de repenser notre rapport à l’environnement, à ce que nous respirons, mangeons, consommons. Elle demande aussi de redonner du temps aux soignants pour écouter, d’accepter que, parfois, la maladie ne prévient pas l’âge.

Mais cette responsabilité n’appartient pas qu’aux institutions. Elle est aussi intime. Apprendre à s’écouter, à prendre soin de soi avant qu’il ne soit trop tard, à ne pas banaliser les signaux que le corps envoie. Car le cancer des jeunes n’est pas une nouvelle maladie, c’est le miroir d’un monde qui change plus vite que ceux qui l’habitent.

À SAVOIR 

Selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), près de 40 % des cancers pourraient être évités grâce à la prévention. En France, l’INCa estime que 142 000 nouveaux cas par an sont liés à des facteurs évitables comme le tabac, l’alcool, le surpoids ou la sédentarité.

Inscrivez-vous à notre newsletter
Ma Santé