

C’est un constat que l’OMS qualifie d’« alarmant ». Dans son dernier rapport consacré à la santé mentale des professionnels de santé, publié à Copenhague le 10 octobre 2025, l’organisation révèle qu’en moyenne un tiers des médecins et infirmiers européens déclarent souffrir de symptômes dépressifs ou anxieux. Plus inquiétant encore, un sur dix aurait eu des pensées suicidaires passives au cours des douze derniers mois.
« Les soignants européens sont épuisés, sous pression, souvent en manque de soutien. Ils tiennent des systèmes de santé fragilisés à bout de bras », a souligné Hans Kluge, directeur de l’OMS pour l’Europe. L’enquête, menée auprès de milliers de professionnels à travers le continent, met en évidence un lien direct entre la dégradation des conditions de travail et la santé mentale du personnel médical.
Mais attention, l’OMS précise que ces résultats reposent sur des symptômes autodéclarés, issus d’échelles validées de dépistage, et non sur des diagnostics psychiatriques formels. Autrement dit, le chiffre d’un tiers n’implique pas que tous ces professionnels souffrent d’une dépression clinique. Il révèle cependant une détresse psychologique massive et persistante.
Détresse psychique : quand ceux qui soignent craquent à leur tour La France dans le miroir de l’Europe
En France, le constat n’est guère plus rassurant. Les données nationales confirment depuis plusieurs années la fragilité mentale du personnel hospitalier. Selon une étude de la DREES publiée en 2023, 41 % des agents hospitaliers présentaient des symptômes de dépression, contre 33 % des actifs dans l’ensemble de la population. Près de 60 % des soignants disaient par ailleurs ressentir un niveau de fatigue ou de stress élevé au travail.
Le rapport soulignait déjà les mêmes causes : manque de moyens humains, journées à rallonge, tensions émotionnelles et absence de reconnaissance. Depuis la pandémie de Covid-19, la situation s’est encore aggravée.
Beaucoup de soignants racontent un sentiment d’usure, une perte de sens, parfois un désengagement progressif. Dans certains services, la rotation du personnel atteint des niveaux inquiétants. Selon le baromètre de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) publié en 2024, près de 3 soignants sur 10 estiment aujourd’hui être en mauvaise état de santé mentale.
Les racines d’une crise systémique
L’OMS n’y va pas par quatre chemins. Cette vague de mal-être n’est pas seulement une question individuelle. Elle est le symptôme d’un sous-investissement chronique dans les systèmes de santé européens. Salaires stagnants, effectifs insuffisants, manque de repos et de soutien psychologique… La liste des failles structurelles est longue.
En France, les hôpitaux publics peinent à recruter, les services d’urgence ferment temporairement faute de personnel, et les arrêts maladie augmentent. Le résultat est un cercle vicieux. Moins de soignants disponibles, plus de charge de travail pour ceux qui restent, et donc plus d’épuisement.
Le phénomène touche toutes les catégories : infirmiers, aides-soignants, médecins hospitaliers, internes. Même en ville, les généralistes souffrent de la surcharge administrative et du manque de temps pour leurs patients. L’OMS met d’ailleurs en garde contre « l’érosion du capital humain en santé ». Si les soignants s’effondrent, c’est toute la chaîne du soin qui vacille.
Des initiatives encore timides
Face à l’urgence, certains pays européens ont lancé des programmes de soutien. En France, un plan national pour la santé des soignants a été présenté en 2023 par le ministère de la Santé. Il prévoit notamment la mise en place de cellules d’écoute, de formations en prévention du stress, et la création de dispositifs de suivi psychologique confidentiel.
Mais sur le terrain, beaucoup estiment que ces mesures restent insuffisantes. Le problème, rappellent les syndicats, ne se limite pas à la santé mentale. Il s’enracine dans les conditions de travail. Comment demander à quelqu’un de parler de son mal-être tout en lui imposant douze heures de garde sans relève ?
L’OMS, de son côté, appelle les États à faire de la santé mentale des soignants une priorité stratégique. Ses recommandations insistent sur trois axes : renforcer la prévention, assurer un accès facilité aux soins psychologiques, et réinvestir massivement dans les effectifs et les infrastructures.
Un enjeu vital pour l’avenir du soin
La santé des soignants n’est pas un sujet périphérique, c’est une condition de la qualité des soins. Un professionnel épuisé commet plus d’erreurs, communique moins bien avec ses patients, et risque de quitter prématurément la profession.
En France comme ailleurs, la crise de la santé mentale dans le monde médical est devenue un problème de santé publique majeur. Et pourtant, elle reste souvent tue. « Prendre soin de ceux qui soignent devrait être le premier réflexe d’un système de santé », rappelait récemment Hans Kluge.
À force d’oublier cette évidence, l’Europe est en train de mesurer le prix du silence. Un soignant sur trois en détresse, un système à bout de souffle, et une urgence qui n’a rien de passager.
À SAVOIR
En France, le personnel hospitalier signale des niveaux de symptômes de dépression et d’anxiété nettement supérieurs à la moyenne des actifs : 41 % des agents hospitaliers déclarent des symptômes de dépression (légère à sévère), contre 33 % dans l’ensemble de la population active. Et 30 % du personnel hospitalier indique des symptômes d’anxiété, contre 25 % de l’ensemble des actifs. De plus, 26 % des personnels hospitaliers déclarent ressentir le besoin d’un soutien psychologique, un taux bien plus élevé qu’au sein de la population générale (19 %).


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