« Tout à fait », « exactement », « pas du tout ». Le style Cédric Jubillar est lapidaire. Appuyé de ses deux mains sur le rebord de son box vitré, il répond du tac-au-tac dès les premières questions de la présidente, Hélène Ratinaud, vendredi 10 octobre. Sa rencontre avec Delphine Aussaguel a bien lieu en 2007, lors d’une soirée ? « Oui, tout à fait. » Le couple s’est-il installé dans le village d’Arthès, à dix minutes d’Albi, dans le Tarn, avant d’emménager à Cagnac-les-Mines, en 2014 ? « Oui, tout à fait. » C’était bien juste avant la naissance de leur fils Louis ? « Oui, tout à fait ».

L’accusé de 38 ans est parfaitement concentré. Il sait que la journée concentre toutes les attentes, dans une affaire sans corps, ni aveux, ni preuves tangibles. L’accusation, comme la partie civile, espèrent le voir avouer le meurtre de son épouse, Delphine Aussaguel, pour lequel il comparaît depuis le 22 septembre devant la cour d’assises du Tarn.

Cédric Jubillar dispose d’un avantage de taille : il connaît déjà le programme de son interrogatoire récapitulatif. La présidente l’a annoncé juste avant la pause déjeuner, énumérant, comme une enseignante consciencieuse, le plan d’un cours : « thème 1 : le couple et l’évolution du couple, thème 2 : la situation financière, thème 3 : la procédure de divorce et son acceptation, thème 4 : la surveillance et la connaissance d’une relation extraconjugale, thème 5 : les menaces, thème 6 : la journée du 15 décembre, thème 7 : la soirée du 15 décembre, thème 8 : la matinée du 16 décembre, thème 9 : les suites de la disparition. »

Pour l’effet de surprise, on repassera. L’artisan plaquiste, pull gris, teint blafard, déroule mécaniquement son récit connu de tous, tant il l’a répété pendant quatre ans et demi d’instruction, puis de nouveau face à la cour d’assises. Il n’a, redit-il, « jamais » levé la main sur son épouse. Sa cousine Lolita, à qui l’infirmière se serait confiée, est « une menteuse invétérée ». Hélène Ratinaud insiste : des scènes d’empoignades ont été décrites par plusieurs témoins. Il concède avoir pu attraper sa femme à plusieurs reprises par les épaules. Mais il certifie : « Il n’y a jamais eu de baffes, de gifles, de coups de poings ou quoi que ce soit d’autre. »

Il nie également avoir levé la main sur sa mère, Nadine Fabre, qui soutient le contraire, comme d’autres témoins. « Elle ment, votre mère ? », interroge Hélène Ratinaud. « Non, je ne pense pas », rétorque l’accusé, impassible malgré l’incohérence de sa réponse.

Nicolas Ruff, l’un des deux avocats généraux, sait qu’il faut éviter les questions fermées. Il demande à Cédric Jubillar de décrire celle qui fut son épouse. « C’était une femme aimante, que j’ai aimée », déclare l’accusé, apathique. Le magistrat rappelle les scènes de violences décrites par plusieurs témoins envers son fils Louis, dès l’âge de 2 ans. Des « gifles », des « humiliations », comme le fait de le mettre à genoux sur des Lego. Il confirme, de marbre. En procédure, il a justifié : « Je commence à être violent quand la parole ne suffit pas ». « Et qu’est-ce qui se passe avec votre femme, quand la parole ne suffit pas ? », tente Pierre Aurignac, l’autre représentant du ministère public. « Ça suffisait tout le temps », affirme l’accusé. Mais encore ? « Elle élevait la voix, elle aussi, et on en restait là ».

« A quel moment vous la traitiez de salope ? », l’interroge Laurent de Caunes, l’avocat d’un des frères de la disparue. « Pour des broutilles, quand on se disputait », répond le peintre en bâtiment. « Pour de l’intendance, par exemple ? », insiste la robe noire. « Je ne sais plus », balaye son interlocuteur. 

Place à la situation financière du couple. La présidente revient longuement sur la différence de salaire entre les époux : Delphine Aussaguel percevait « autour de 2 000 euros par mois ». Son salaire à lui était fluctuant : il gagnait autour « 1 000 à 1 200 euros par mois » l’année 2020, expose la magistrate, qui note que les prélèvements des « charges courantes, de l’électricité, du téléphone » se faisaient uniquement sur le compte de son épouse. L’accusé assure qu’il la remboursait en liquide. L’interrogatoire s’enlise, à mesure que les « tout à fait » s’accumulent dans le box.

Quand la présidente entame l’épineux sujet du divorce, abordé par Delphine Aussaguel à l’été 2020, Cédric Jubillar l’assure : il avait fini par accepter l’idée de la séparation. Ce n’est pas ce qu’il disait à Anne S., amie proche de son épouse, peu de temps avant la disparition de celle-ci : « On ne divorce pas, sinon, je vais me pendre », lit la présidente. Ses contradictions lui sont mises sous le nez. Mais l’accusé nie, réaffirme, nie de nouveau. Il ne craque pas, malgré des signes de fatigue. « Vous transpirez monsieur Jubillar », observe la présidente.  

A près de 17 heures, dans une salle toujours pleine à craquer, le prochain sujet pourrait le faire sortir de ses gonds. La présidente aborde la relation extraconjugale de Delphine Aussaguel. « Est-ce que vous êtes d’accord pour dire que vous avez exercé une certaine forme de surveillance sur elle ? », interroge Hélène Ratinaud. « Oui, tout à fait », déclare l’accusé dans son box.

Le 27 septembre 2020, Cédric Jubillar tente de la géolocaliser sur son téléphone, « pour savoir ce qu’elle faisait vraiment de ses journées ». Le 3 décembre, il profite du fait d’avoir avec lui la carte bancaire de son épouse, confiée par elle pour acheter un sapin de Noël, pour consulter le relevé de son compte. Le même jour, il cherche sur Google : « Détective privé Albi ». Le 6 décembre, il consulte de nouveau le compte bancaire de son épouse. Entre temps, son fils Louis lui explique avoir vu « le copain de maman » lors d’une visio, rapporte Cédric Jubillar. « Qu’est-ce que vous en avez pensé ? », lui demande la présidente. « Qu’elle me mentait, qu’elle me prenait pour un con », lâche l’homme d’un trait, soudain agacé.

Mourad Battikh, avocat de plusieurs membres de la famille Aussaguel, prend le micro, et s’engouffre dans la brèche. « Quand on est Cédric Jubillar, quand on est grande gueule dans la vraie vie, exubérant, affable et qu’on apprend que sa femme loue une voiture pour rejoindre son amant, qu’est-que ça fait, qu’est-ce qu’on ressent ? » « Rien de particulier », assure l’intéressé, d’une voix redevenue morne.

« De la trahison ? Qu’est-ce que ça amène comme sentiment plus profond ? », insiste l’avocat. « Rien de plus », rétorque l’accusé. Et sur la visio, entre son fils et l’amant, « qu’est-ce qu’on ressent ? », poursuit Mourad Battikh. « Comme je vous dis : de la trahison et du mensonge », ânonne l’accusé, de marbre. « De la colère, de la haine ? ». « Pas plus que ça ». « Un sentiment de vengeance ? ». « Que je me venge de quoi ? »

L’échange se poursuit, l’avocat tente de fissurer le mur. « Quand on apprend peut-être la plus haute trahison (…) que son fils, son propre fils, la chair de sa chair, est introduit auprès d’un tiers, qu’est-ce qu’on ressent ? », interroge-t-il encore. « De la trahison. Ça fait mal au cœur, c’est tout », répond platement l’accusé. Peine perdue pour l’avocat. 

Cédric Jubillar « bétonne », annonçait vendredi matin le psychologue qui l’a expertisé : « Il ne laisse pas de prise à la surprise. Il ne semble ni déstabilisé, ni déstabilisable ». Chacun tentera pourtant de nouveau d’obtenir des réponses lundi, lors de la dernière phase des questions à l’accusé, qui sera alors interrogé sur la nuit du 15 au 16 décembre 2020, au cours de laquelle Delphine Aussaguel n’a plus donné signe de vie.