L’écrivaine et réalisatrice signe une variation contemporaine de La Métamorphose de Kafka, un roman acide et tragique sur notre société obsédée par les questions identitaires.

La couverture du livre.

La couverture du livre.

Dans cette satire politico-sociale aux accents kafkaïens, vous auscultez la société française de l’après 7 Octobre. De quoi ce livre est-il né ?

D’une envie urgente de survivre à cette résurgence de l’antisémitisme, à la violence de l’actualité, et à la polarisation de la société où tout débat est impossible. Tout est devenu binaire. On s’est habitués à vivre des choses délirantes, et on a tellement l’impression parfois d’évoluer dans un épisode de South Park qu’il est difficile d’amener un élément disruptif dans un livre.

Rébecca fait partie de ces Juifs ramenés, malgré eux, à leur identité par la haine qu’on leur renvoie. Gilles, que l’on voit basculer du côté du RN, est de ceux qui en ont ras le bol d’entendre parler du conflit israélo-palestinien ou des Juifs.

C’est pour ça qu’il m’a fallu pousser le curseur, jouer la carte de l’humour et du surnaturel. Tout le monde a décidé de prendre position dans ce conflit israélo-palestinien comme s’il s’agissait d’un match de foot où on pourrait brandir des drapeaux et où il y aurait un bon et un mauvais côté, chacun étant persuadé de détenir une vérité. Pour réintroduire de la nuance, j’ai décidé de rire de tout cela pour pouvoir souffler et réfléchir quand on nous donnera cet espace à nouveau.

Rébecca est une éditrice parisienne, d’origine juive. Depuis le 7 octobre, le couple qu’elle forme avec Gilles, son mari, se délite. Et un étrange champignon apparaît au plafond de leur chambre à coucher…

Ce champignon, c’est évidemment la France qui moisit, qui s’abîme. Dans le livre, il est impossible à éradiquer, chaque fois qu’on l’enlève, il réapparaît. Un peu comme cette violence, cette haine de chacun contre chacun, et cet antisémitisme qui revient cycliquement dans l’Histoire. Rébecca fait partie de ces Juifs ramenés, malgré eux, à leur identité par la haine qu’on leur renvoie. Gilles, que l’on voit basculer du côté du RN, est de ceux qui en ont ras le bol d’entendre parler du conflit israélo-palestinien ou des Juifs. Je pense que tout le monde en a ras le bol, les Juifs les premiers.

Romain Gary disait « La plus grande force spirituelle de tous les temps, c’est la Connerie avec un C majuscule ». Pour moi, le diable, c’est la connerie.

Moi, j’aimerais bien ne pas parler de ça, honnêtement. Mais j’en parle, parce que je suis juive et que j’ai peur. On croit toujours être arrivé à un niveau de civilisation suffisant pour que cette chose n’arrive plus, et elle recommence… Pourquoi les gens sont-ils obsessionnels dès que ça touche au judaïsme ? Il n’y a que 0,2 % de Juifs sur la planète. Haïr massivement tout un groupe d’individus me semble toujours une hérésie. Il n’y a aucune rationalité à imaginer que les Noirs, les Arabes ou les juifs seraient identiques !

Pourquoi ce titre C, totalement elliptique ?

C’est le C de connerie… Et aussi de champignon. Dans la religion juive, on ne donne pas le nom de dieu, seulement son initiale. Comme le sujet ici s’apparente au diable, incarné dans ce champignon, j’ai choisi de le nommer aussi par son initiale. Romain Gary disait « La plus grande force spirituelle de tous les temps, c’est la Connerie avec un C majuscule ». Pour moi, le diable, c’est la connerie.

Qu’espérez-vous de ce livre courageux qui « s’amuse » de nos préconceptions et du délitement de notre société ?

Je n’ai pas la naïveté de penser que je vais changer le monde, mais j’ai toujours eu l’impression que les artistes qui m’avaient autorisée à rire de choses intouchables – comme Benigni dans La vie est belle – m’avaient sauvée. Alors, j’espère aider certains lecteurs, pas que les Juifs, qui étouffent de cette actualité et qui voudraient qu’on redonne un peu de bon sens au monde.

Nous traversons actuellement l’œil du cyclone, le cycle de haine est de retour, mais je veux croire que l’humanité retournera vers la lumière et que le bien reviendra.

Une pièce qui dérange ?

L’adaptation au cinéma qu’Amanda Sthers a faite de sa pièce Le Vieux juif blonde, ne verra pas le jour. Joué dans le monde entier, et étudié à Harvard, ce texte n’a trouvé le soutien d’aucun distributeur ou de chaîne TV.

« C’est la première fois que cela m’arrive, dit Amanda Sthers, j’avais une distribution énorme, un budget resserré, le soutien du producteur Jean-Louis Livi, mais on m’a expliqué qu’un titre pareil, c’était compliqué en ce moment. Je l’ai changé, mais rien n’y a fait. Et ça, c’était avant le 7 octobre, alors vous pensez bien qu’aujourd’hui, il est impensable d’espérer quoi que ce soit ».

 

 

 

 

« C », éditions Grasset, 20 euros, 224 pages.