Lorsqu’elle s’est lancée dans ce projet un peu fou, elle n’imaginait pas une seule seconde à quel point l’Histoire avec un grand h viendrait le télescoper. Nous sommes en 2015 et Nora Philippe, désormais installée entre Paris et Douarnenez, vit à New York et vient d’accoucher de sa fille, prénommée Colette. Un peu bouleversée, pétrie d’interrogations en tant que femme et en tant que jeune maman, la documentariste décide alors de suivre, sur une période de dix ans, quatre jeunes femmes (Anta, Evvy, Lila et Tania) rencontrées au Barnard College, université 100 % féminine et féministe. L’objectif de Nora Philippe est double : documenter les parcours distincts de ces quatre jeunes femmes, bien sûr, mais aussi les confronter à ses questionnements personnels et à sa propre évolution. Osé sur le papier, difficile à financer, le pari est finalement réussi. Il s’est concrétisé par la sortie d’un puissant documentaire de 100 minutes intitulé « Girls For Tomorrow », monté à Douarnenez par Nora Philippe et Marie Bottois, et diffusé depuis peu sur la plateforme streaming d’Arte.

Anta, l’une des quatre protagonistes du documentaire.Anta, l’une des quatre protagonistes du documentaire. (Grande Ourse Films)Black Lives Matter, Me Too, Trump

« En entamant ce projet, j’avais deux références en tête : « Seven Up », série documentaire de la BBC où 14 Britanniques ont été suivis de 7 à 63 ans, et « Les bonnes conditions », où Julie Gavras suit des jeunes du 7e arrondissement de Paris pendant treize ans. Ces deux œuvres étaient passionnantes sur le plan sociologique et je m’en suis inspirée, mais j’avais aussi envie de faire quelque chose de singulier », expose Nora Philippe, qui assume parfaitement l’ancrage subjectif de son film. Inventif sur le plan formel, celui-ci suit malgré tout une trame chronologique assez classique, de 2015 à novembre 2024, au moment de la deuxième élection de Donald Trump. « C’est en suivant cette trame chronologique que l’on se rend justement compte de la folle évolution politique de cette période », considère la réalisatrice, dont le long-métrage est traversé par de nombreux événements sociétaux marquants, de Black Lives Matter à Me Too en passant par les luttes et causes dans lesquelles sont investies les quatre protagonistes.

Evvy.Evvy. (Grande Ourse Films)« Un talisman pour ma fille »

Ces dernières ont pu avoir un premier aperçu du travail en cours, à mi-chemin du tournage. « Je suis rentrée en France en 2019 et du fait de la crise Covid, je n’ai pas pu voir trois de mes quatre protagonistes pendant trois ans. Il fallait restaurer le lien et leur montrer cette première version. Elles ont été satisfaites mais aussi bouleversées de voir une version complètement différente de ce qu’elles étaient devenues au fil des années », relate Nora Philippe, qui dit avoir « beaucoup appris » auprès des héroïnes de « Girls for tomorrow ». Combatives au moment de la première élection de Donald Trump, en 2016, elles ont vécu comme « l’apocalypse » la victoire de l’actuel président des États-Unis face à Kamala Harris en novembre 2024. Nora Philippe, dont l’intention initiale était de suivre le quatuor jusqu’en 2045, ne cache pas non plus sa réticence à traverser l’Atlantique dans le contexte actuel. Pour autant, elle s’est refusée à terminer « Girls for tomorrow » sur une note pessimiste. « Ce film, je le vois comme un talisman légué à Colette. Le fait qu’il lui soit dédié m’obligeait à donner un sentiment d’espoir en conclusion ».

Pratique

« Girls for tomorrow », documentaire de 100 minutes réalisé par Nora Philippe, coproduit par Arte, la RTBF et Grande Ourse Films. Le film est disponible sur la plateforme streaming d’Arte. Sortie en salles prévue en novembre 2025.