Marie Claire : Vous décrivez la maternité comme un « acte mutant », le corps enceint comme un « ventre-planète ». À la manière d’un phénomène magique, presque cosmique ?
Cloé Korman : J’aime beaucoup cette idée-là. Bien sûr, la naissance est un processus clinique précis, mais on a beau savoir ça, le surgissement du visage d’un bébé, c’est de l’ordre de l’apparition et ça bouscule complètement le réel.
J’ai vécu la naissance de mes enfants comme un tourbillon – de peur, de douleur et d’exaltation – qui dépassait ma capacité de mots. Même les sages-femmes que j’ai rencontrées pour ce livre, malgré la technicité de leur métier, ont elles aussi, encore, ce genre d’éblouissement.
J’ai vécu la naissance de mes enfants comme un tourbillon.
Roman documenté
À propos de technicité, le roman va loin dans le détail de la péridurale, des actes d’obstétrique. Quel plaisir littéraire vous procure cette forme très précise de documentation ?
Mon désir, c’était de rendre sensibles, vivantes, ces pratiques et ce vocabulaire, qu’on ressente à travers ces mots le flux et la tension d’une salle de naissance.
Lors de ma visite, j’avais d’ailleurs l’impression d’une « war room », mais au féminin – les infirmières, gynécologues, anesthésistes, c’étaient principalement des femmes – où les sommets de maîtrise sont dédiés à une entreprise de vie. Comme une sorte d’envers des lieux de pouvoirs habituels.
La cuisine, le sexe, la nage… Votre texte fait une grande place aux plaisirs du corps. Que nous dit cette hyper-sensorialité ?
Dans notre culture, on calque sur la femme enceinte une image sage, bien ordonnée : cette mise à l’index sociale n’est pas tout à fait à mon goût. Je voulais au contraire abolir la distance entre corps maternant et corps érotique.
Et me débarrasser des catégories qui figent : mère de famille, femme enceinte, femme sans enfant. Toutes les femmes de mon livre ont en elles une joie du corps, des questionnements sur leurs désirs, une sensualité qui leur est existentielle.
Je voulais au contraire abolir la distance entre corps maternant et corps érotique.
L’importance de l’actualité
Il y a dans le livre des pages fortes sur les massacres à Gaza et le procès Pelicot. Comment, chez vous, l’actualité percute la fiction ?
J’ai souhaité faire le récit de ce que c’est de mettre au monde dans ce monde-là, le nôtre. Gaza, c’est une tragédie qui me bouleverse, et comme dans tous les lieux de grande violence, les femmes enceintes, les nouveau-nés, y sont d’une fragilité absolue.
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Mon personnage Marguerite, juive, subit d’ailleurs, avec désarroi et colère, le fait qu’on l’associe aux actions d’Israël. Quant à Gisèle Pelicot, elle qui a refusé le huis clos du procès, acte d’un courage immense, je la rapproche de Marie-Claire Chevalier, accompagnée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, qui a publié, alors que c’était illégal, les débats du procès de Bobigny afin de faire avancer la cause des femmes.
J’explore dans ce livre l’intimité des corps, le huis clos de la maternité, l’intériorité des pensées.
Vous faites une analogie entre les organes internes, les douleurs qu’on ravale et tout ce qu’on ne voit pas. Est-ce que ce roman, Mettre au monde, est une façon de mettre au jour ?
J’explore dans ce livre l’intimité des corps, le huis clos de la maternité, l’intériorité des pensées. Mais j’ai la sensation que plus on sait, plus on explicite – plus on met au jour, oui –, plus les secrets et mystères s’épaississent. Et c’est ce que j’aime, dans l’écriture comme dans la vie.
Cloé Korman. Mettre au Monde. Éd. Flammarion, 21 €.
Cet article a initialement été publié dans le magazine Marie Claire n°878 daté novembre 2025.
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