Du passé, ne faisons pas table rase. Mais une matière vivante pour un livre subtil, émouvant et instructif. Stéphane Manel, illustrateur, sort son quatrième ouvrage aux éditions Seghers. Même format et presque même principe : une passion mise en images par ses dessins superbes de délicatesse et de précision, où les textes enrobent, éclairent, emportent le lecteur. Après le merveilleux Monsieur Proust, imaginé à partir des entretiens de Céleste Albaret, la bonne du « petit Marcel », il y eut une biographie illustrée du peintre Francis Bacon, Éclats d’une vie, où coulent les mots érudits du journaliste et romancier Franck Maubert. Puis Exercices de Staël, qui fut consacré au peintre Nicolas de Staël. Stéphane Manel avait lui-même conté l’existence de l’artiste, en plus de croquer les étapes de sa brève vie achevée par un suicide.
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Le tout nouveau est consacré à… Paris, la Ville Lumière. Étrange choix. Paris, pourquoi ? « À cause de ma fille adolescente, Tessa. J’ai tellement aimé cette ville, je voulais lui dire ce lien. » Qui semble en souffrance. Il peste d’emblée contre les musées où il faut réserver par quart d’heure, il raille la fin du Flore, le manque de fluidité, le comportement des gens, la guerre des doigts d’honneur entre les piétons, cyclistes et automobilistes. Et dézingue avec humour ce Paris Instagram, en toc, touristique, qui conquiert des parts de marché.
On a l’impression qu’il pourrait faire un malaise vagal devant les fleurs en plastique colorées qui pullulent aux devantures des cafés. « Je n’ai pas envie d’être aigri donc je préfère m’éloigner à la campagne plutôt que de râler et je cueille des pommes », dit celui qui roule en Vélib’, les verts, pour les sportifs, « on m’a chouré mon scooter électrique… »
Un objet aussi subjectif qu’addictif
Stéphane Manel a 54 ans. Il évoque le Paris de sa jeunesse, à travers différentes rues sélectionnées par ses soins. C’est hypersubjectif et addictif. Il offre ses souvenirs et des digressions historiques liées à ses préférences, son époque de quinquagénaire qui paraît si lointaine, déjà. « Je souhaitais un objet plus distrayant, moins linéaire que celui consacré à Nicolas de Staël. Je ne suis pas un biographe et ceci n’est pas mon autobiographie, je n’ai pas cette prétention ! » admet-il.
Alors, visitons ce Paris étrange, souterrain, méconnu, avec le guide Manel. La rue d’Orchampt est une charmante allée montmartroise, que chacun connaît parce que Dalida y vécut dans la maison située tout au bout, surplombant les hauteurs. Mais le comte de Saint-Germain, qui s’en souvient ? Richard Chanfray, vêtu d’une cape, se faisait passer en 1972 pour la réincarnation du noble qui avait fréquenté la cour de Louis XV. Orphelin de la DDASS, peintre, escroc, voleur, repris de justice, Pascal Sevran l’avait présenté à la chanteuse qui en avait fait son amant avant de le congédier en 1981, après de nombreuses aventures rocambolesques, comme cette nuit où il tira par erreur, chez elle, sur un homme qu’il croyait être un intrus.
« J’aime ce Paris ancien où de tels personnages, des arnaqueurs, étaient possibles », défend l’auteur qui avoue sa nostalgie dans le passage sur la gare du Nord : « Le trottoir devient dur à filmer. Laideur des voitures, des plots et des enseignes. Conservatisme de ma part, les choses n’étaient pas forcément “mieux avant”. Mais il est étrange de constater que les films anodins, remplis de R16 ou de CX, en arrivent à devenir beaux. Les chromes et les couleurs des voitures, les immeubles non ravalés, les bars louches, les affiches, les devantures. » Et de citer les dizaines de films tournés dans ce triste coin, qui, souvent, emploient Daniel Auteuil ou Gérard Lanvin.
Reconstitution de l’élimination de Jacques Mesrine, boulevard Ornano
Furtivement, il donne l’adresse de l’immeuble où Jean Rochefort manqua de se jeter par la fenêtre, en peignoir, dans Un éléphant ça trompe énormément : 4, avenue de la Grande-Armée. Que se passe-t-il au 1, rue Lord-Byron, dans le 8e arrondissement ? Seuls les truands, les policiers et Stéphane Manel savent ce qui peut s’y tramer…
La rue Belliard, près du périphérique, n’a pas grand intérêt, le quartier non plus. Sauf qu’en 1979, l’ennemi public numéro un – c’est ainsi que l’on nommait les super gangsters – Jacques Mesrine y fut abattu de 18 balles au croisement du boulevard Ornano. Manel reconstitue la scène de la fusillade en noir et blanc et raconte l’homme du mauvais côté de la barrière, la peur de la France : « Mesrine était un nom que l’on entendait beaucoup lorsque j’étais petit. Et qui fascinait. Les enfants parfois sont attirés par ce qui les effraie. Son visage apparaissait régulièrement sur les devantures des kiosques ou au journal télévisé, parfois chauve, parfois chevelu, parfois glabre, parfois barbu. […] Et si Mesrine était là, venu pour m’enlever ? »
Puisque le dessinateur est né dans les années 1970, il sait la valeur des objets culturels, ces choses que l’on rêvait de tenir entre nos mains. Au 7, rue Pierre-Sarrazin, dans le 5e arrondissement, existait New Rose, la boutique de disques référence des adeptes de new wave et de gothique. Chaque vendredi étaient livrées des caisses de 33 tours de Londres. Il tolère avec horreur que l’endroit soit maintenant un Monoprix.
La balade de Stéphane Manel prend une tournure « modianesque », lorsqu’il part en quête de ses origines. On l’a toujours cru juif, est-ce le cas ? Son père ne parle guère. Le voilà qui squatte la bibliothèque historique des Postes et télécommunications dans le 20e, le « musée des bottins », pour dénicher qui se cachait derrière ce pas-de-porte du Marais où était inscrit « Manel fourreur ». Il n’était pas entré dans l’échoppe à 20 ans, il s’en mord les doigts. Stéphane Manel déniche un nom, Josef Zylberbaum. La piste est-elle bonne ? Découvrira-t-il comme Truffaut sa descendance juive ? Mystère rue Notre-Dame-de-Nazareth.
Patrick Modiano et Pierre Le-Tan en illustres modèles
Il faut revenir à Patrick Modiano. L’écrivain incarne une référence suprême pour Manel, tout aussi fan de l’illustrateur des couvertures de ses romans, son mentor Pierre Le-Tan. Il se rappelle avoir croisé à 17 ans le futur Prix Nobel de littérature chez Gibert : « Nous étions à la caisse ensemble, j’allais tendre un Philippe Sollers. Modiano l’avait mouché dans Apostrophe en disant que son livre lui faisait penser au Scoubidou de Sacha Distel. Il m’a regardé et m’a dit : “Emmanuel Bove”. » Soit un écrivain oublié, mort en 1945. Sous la plume de Stéphane Manel, le palais des Tuileries, incendié par des communards en 1871, se transforme en théâtre d’une incroyable anecdote où se mêlent Napoléon, Montholon, Stanley Kubrick et Andrew Birkin. Ce dernier, ancien assistant du maître du septième art, est le frère de Jane Birkin et l’oncle de sa compagne Lou Doillon. La rue René-Boulanger dans le 10e arrondissement contient un hommage discret, tout aussi personnel, à Kate Barry, l’absente de la famille.
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On l’aura compris, ce sublime objet célèbre les temps anciens, avec élégance et coquetterie. On aime les nappes en papier des vieux troquets, l’ambiance Simenon, mais on laisse les hussards au placard. La Nouvelle Vague oui, Henri Verneuil jamais. Belmondo dans Pierrot le Fou, mais pas dans L’As des as. Stéphane Manel envisage un deuxième tome sur cette ville qu’il n’aime plus que de loin, ou un guide sur l’enclave californienne de Big Sur, magnifiée par Jack Kerouac. Un projet fou l’occupe dès qu’il peut : un almanach perpétuel. Il a conçu 70 planches. Chaque jour du calendrier, il dessine des événements importants, selon lui. Des guides de voyage le tenteraient, un travail autour d’un acteur un peu moins, « je ne sais pas si on me laissera libre… » Ce qui est manifestement le cas chez Seghers.
Du côté de Paris, texte et dessin Stéphane Manel. Éditions Seghers, 25 euros.
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