Les ombrières de la place Bellecour, qui alimentent les débats depuis quelques mois sur les choix en matière d’aménagement urbain des écologistes
© LC
Depuis leur arrivée au pouvoir en juin 2020, les écologistes lyonnais ont profondément changé le logiciel urbain. Exit la “signature”, la “starchitecture”, l’exception architecturale. Place à l’usage, à la sobriété et à une forme de banalité assumée. Les projets urbains de la Mairie et de la Métropole, qu’il s’agisse de nouveaux bâtiments ou de réaménagements d’espaces publics, bouleversent notre rapport à l’esthétique. Lyon court-il le risque de devenir “sans style” ? Les Lyonnais peuvent-ils se contenter d’un aplatissement esthétique ?
S’il y a un sujet qui fait parler en ville, ce sont les bancs en béton blanc installés cet été dans la partie nord de la rue de la République, au niveau des Cordeliers. Arrondis et positionnés en arcs de cercle, ils évoquent – au jugé – des formes pour le moins incongrues. Très vite surnommées “étrons”, “lombrics” ou “boudins”, ces assises massives cristallisent le débat sur l’aménagement urbain. L’autre exemple qui a fait couler beaucoup d’encre, ce sont les immenses voilages dressés place Bellecour au printemps dernier. Présentées comme une manière de créer de l’ombre et d’apporter un peu de fraîcheur, ces toiles suspendues ont surtout divisé. Certains y ont vu une installation légère et poétique, d’autres une gêne visuelle, presque une dénaturation de l’une des places les plus emblématiques de Lyon.
Là encore, la question posée est la même : jusqu’où l’aménagement temporaire ou fonctionnel peut-il avoir un impact sur l’image et l’esthétique d’un lieu symbolique ?
Les “boudins”, des bancs en béton blanc installés rue de la République, cristallisent le débat sur l’esthétique en matière d’aménagement urbain
© Anaïs Lauvin
“Les goûts et les couleurs…”
“Ce sont des changements dans l’espace public, un temps d’acclimatation est nécessaire pour les gens”, est convaincu Fabien Bagnon, vice-président écologiste de la Métropole de Lyon chargé de la voirie. Les critiques sur l’esthétisme des bancs, fabriqués en Espagne et achetés par la Métropole à un fournisseur de Rillieux-la-Pape, il les balaie d’un revers de la main : “Les goûts et les couleurs, ça appartient à chacun. Il faut prendre un peu de recul et on verra dans quelques mois si les Lyonnais se sont appropriés ces nouveaux espaces.” La réalité voulant que nature ait horreur du vide, les gens s’assoient naturellement sur les bancs de la rue de la Ré ou sous les “ombrières” de Bellecour. “Le beau est une notion plastique, culturelle et sociale, poursuit François Duchêne, urbaniste, géographe et chercheur à l’École nationale des travaux publics de l’État, basée à Vaulx-en-Velin. Ce qui est beau pour les uns ne l’est pas pour les autres.”
Le beau, dès qu’il s’agit d’architecture ou d’urbanisme, suscite de fait toujours une certaine méfiance. Quand il ne s’agit pas tout bonnement d’un sujet tabou. Et pourtant, de beauté, il en est presque quotidiennement question dans les journaux ou sur les réseaux sociaux. “Les dénonciations de la prétendue décadence esthétique (…) est un véritable lieu commun, que l’on retrouve à toutes les époques”, rappelle Chloë Voisin-Bormuth, directrice de la recherche de La Fabrique de la Cité, un think tank des transitions urbaines.