Vêtu d’un jean bleu et de baskets blanches, Ted Sarandos, le co-PDG de Netflix, débarque d’un pas allègre dans le petit auditorium de l’école des Gobelins Paris, accompagné de Guillermo Del Toro, le réalisateur de Pinocchio et de La Forme de l’eau, qui lui a valu les oscars du meilleur film et meilleur réalisateur. La plateforme américaine de streaming, le cinéaste oscarisé et l’école des Gobelins s’associent pour créer un studio d’animation en stop motion à Paris. Cette initiative vise à préserver et développer une technique d’animation artisanale face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle.
« Un petit culte avec des personnes très dévouées »
Pour Guillermo Del Toro, fervent défenseur du stop motion, ce projet représente un engagement profond. « Le stop motion est perpétuellement en extension, et il est perpétuellement maintenu en vie par des gens passionnés. C’est un très petit culte avec des personnes très dévouées qui le maintiennent vivant », souffle-t-il dans sa barbe.
Le réalisateur mexicain, dont le Pinocchio en stop motion pour Netflix a remporté de nombreuses récompenses, notamment le Bafta du meilleur film d’animation, voit dans cette technique une résistance à l’automatisation. « Dans une ère où l’IA peut s’immiscer dans toute autre forme d’animation, le stop motion est la preuve que tout ce que vous voyez est, à un moment ou à un autre, touché par des mains humaines », poursuit-il.
« Ma position sur l’IA ? Je préférerais mourir »
Face aux inquiétudes concernant l’intelligence artificielle dans l’industrie de l’animation, Guillermo Del Toro adopte une position nuancée. « Il y a une différence entre l’IA et l’IA générative, c’est la différence entre une passoire et une machine à tisser », explique-t-il.
Et le cinéaste d’ajouter : « Il y a quelques mois, une personne haut placée m’a écrit : “Quelle est votre position sur l’IA ?” J’ai répondu : “Je préférerais mourir”. » Pour lui, l’animation industrielle est trop souvent guidée par des impératifs de coûts et de temps, alors que le stop motion offre une précieuse liberté créative. « J’ai adoré faire Pinocchio parce que j’ai eu plus de deux ans pour changer d’avis. C’est comme regarder un accident au ralenti, vous avez le temps de sortir de la voiture. »
Vision artisanale
C’est précisément cette vision artisanale que le nouveau studio compte perpétuer. Les projets qui pourront y être développés s’annoncent déjà prometteurs, à commencer par la prochaine production stop motion de Del Toro pour Netflix, une adaptation du roman The Buried Giant. « Nous pourrons intégrer les personnes sortant de l’école comme apprentis ou créateurs de marionnettes, de décors et d’accessoires », précise le réalisateur. Cette synergie entre formation et production professionnelle ne se limitera pas à la France. Del Toro voit dans ce studio une opportunité unique de « rassembler les talents d’animation d’Europe de l’Est et d’Europe de l’Ouest, à un moment où cette union est nécessaire artistiquement ».
À l’école des Gobelins, partenaire de longue date de la plateforme de streaming, les étudiants disposeront de nouveaux outils pour développer leur art. Le stop motion irriguera les programmes animation, motion design, mais aussi design. « Cette collaboration incarne ce que les Gobelins ont toujours défendu : la rencontre entre tradition et innovation. Autrement dit, entre artisanat et technologie », assure Valérie Moatti, la directrice générale de l’institution. L’ambition va au-delà d’un simple centre de formation. « Nous envisageons ce futur studio non seulement comme un centre de formation éducatif, mais aussi comme un laboratoire créatif, un lieu où l’expérimentation se produira véritablement », souligne-t-elle.
L’école des Gobelins peut déjà s’appuyer sur des succès passés en stop motion. Valérie Moatti évoque notamment For Socks Sake, un projet remarqué de 2009, et plus récemment en 2024, The Story of Three Sisters, qui combinait stop motion, animation 2D et autres techniques. « Mais ces exemples reposaient entièrement sur la motivation et l’initiative personnelles. Avec ce partenariat, nous voulons rendre ces expérimentations plus systématiques et véritablement accessibles à tous nos étudiants », explique-t-elle.
L’engagement sur ce projet est pensé sur le très long terme, explique Del Toro avec humour : « Je vais avoir 70 ans quand ce studio sera bien lancé, et je suis plus engagé envers le studio qu’envers l’idée d’avoir 70 ans. Vu ma façon de manger et de faire de l’exercice, je ne sais pas lequel des deux arrivera en premier. » Plus sérieusement, il ajoute : « Je crois en ce projet non pas comme un geste, mais comme une lueur d’espoir. Il s’agit d’embrasser pleinement l’humanité et l’artisanat à une époque qui nous dit que tout devrait être virtuel ou sortir d’une application. »
Le réalisateur s’engage sur le long terme : « Les deux premières années seront celles qui assureront le fonctionnement du studio, avec quelques étudiants et professeurs apprenant à enseigner et à le faire fonctionner. » Ted Sarandos évoque la patience à avoir dans ce type de projet : « Ces programmes sont comme les projets que nous réalisons. Ils prennent une forme différente de celle imaginée au départ. Il y a des essais et des erreurs. Plus de ceci, moins de cela. »
Un projet à long terme
La mise en place du studio débutera durant l’année. Comme l’explique Valérie Moatti : « Nous allons concevoir plus précisément le projet, définir les détails concernant l’emplacement précis, la taille, l’investissement nécessaire, le type de programmes que nous y aurons. » Le projet bénéficie déjà d’une base solide grâce à la collaboration avec ShadowMachine, studio d’animation et production, basé à Los Angeles et Portland, qui a travaillé sur le Pinocchio de Guillermo Del Toro. Le réalisateur précise que les partenaires ont « commencé à concevoir et à budgétiser, à rendre ces choses réalisables il y a plus d’un an avec l’aide de ShadowMachine. Nous ne partons pas de zéro. »
À Découvrir
Le Kangourou du jour
Répondre
Valérie Moatti espère que « les étudiants et futurs talents émergents embrassent pleinement le stop motion et contribuent aussi à son évolution et à l’évolution de l’animation, comme Guillermo l’a fait avec Pinocchio. »
Le succès se mesurera à long terme. « Il sera visible à partir de la cinquième année de fonctionnement. Aujourd’hui, les noms importants dans le stop motion ont tous plus de 50 ans. Le succès, ce sera quand nous aurons de nouveaux noms de moins de 30 ans », pense Guillermo Del Toro.
Toute l’actualité à 1€ le premier mois
ou