Le cinéaste roumain revisite le mythe de Dracula à l’heure de l’IA, à sa façon, outrancière, corrosive et passionnément cinéphile.
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France Télévisions – Rédaction Culture
Publié le 11/10/2025 14:19
Temps de lecture : 6min
Image du film « Dracula » de Radu Jude. (METEORE FILMS)
À 48 ans, Radu Jude a déjà une filmographie bien remplie avec des documentaires, des courts-métrages et désormais 14 longs-métrages dont certains très remarqués. Bad Luck Banging or Loony Porn a reçu l’Ours d’or de la Berlinale en 2021. Deux ans plus tard, N’attendez pas trop de la fin du monde était récompensé au Festival de Locarno. Dracula a été tourné en même temps, avec la même équipe et dans les mêmes conditions – au smartphone et en conditions naturelles – que Kontinental’25 (Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale 2025).
Cette interprétation très libre du mythe du célèbre vampire sera présentée en avant-première samedi 11 octobre en clôture de la rétrospective intégrale consacrée à Radu Jude par le Centre Pompidou (hors les murs) et le mk2 Bibliothèque. Ce film sera sur les écrans mercredi 15 octobre.
Résumer l’histoire de Dracula n’est pas une mince affaire. On croit suivre les mésaventures d’un acteur interprétant Dracula (Gabriel Spahiu) dans un cabaret assez minable de Transylvanie. À la fin de chaque représentation, les spectateurs empoignent de vrais pieux en bois et poursuivent l’acteur dans les rues de la ville pour le tuer. En parallèle, on s’intéresse à un jeune cinéaste (Adonis Tanta), bien en peine d’écrire un scénario sur le célèbre vampire : il décide de recourir à une fausse IA, dont la créativité débridée embarque le film dans une multitude de directions.
Personnage du roman de Bram Stoker publié à la fin du XXe siècle, Dracula est une star de cinéma, dont le passage au grand écran a donné le pire (Dracula: A Love Tale de Luc Besson) comme le meilleur, on se souvient de la version de Tod Browning avec Bega Lugosi, celles produites par le studio Hammer avec Christopher Lee et l’interprétation de Gary Oldman dans celle de Francis Ford Coppola. Personnage historique dont est tiré le mythe, Vlad III dit l’Empaleur est originaire de Transylvanie, tout comme Radu Jude. Cela lui a donné l’idée d’en livrer sa propre version. Comme dans chacun de ses films, il en profite pour décrire la société roumaine contemporaine, son rapport à l’histoire et son obsession pour l’argent, en l’espèce le tourisme autour de Dracula ou comment on peut tirer profit de tout ce qui touche au vampire.
Dès le début du film, le personnage du cinéaste face à sa page blanche résume les règles de tout film de vampire. Dans ce genre de film de genre, il faut des poursuites, des émotions, de l’horreur, du sexe et de l’humour. Force est de reconnaître que la promesse est tenue !
Pendant près de 3 heures, Radu Jude tresse deux fils rouge sang, l’histoire du comédien poursuivi et celle du cinéaste en panne, avec toutes les digressions qui découlent des propositions de l’IA. Pas de structure dramatique classique, ni d’évolution des personnages dans cette fiction. Le cinéaste a eu pour objectif de « raconter quelque chose, montrer quelque chose, à fabriquer du plaisir à travers des images, même le plaisir de raconter des histoires stupides. L’histoire du cinéma est pleine d’histoires stupides. »
Ainsi Radu Jude chahute-t-il la narration, juxtapose les images tournées au smartphone, animations ou générées par IA, charcute son film en tous sens et s’il y en a un peu plus, il le laisse. Il n’a pas peur du grand guignol, le magasin de farces et attrapes a été dévalisé et les réserves de faux sang largement épuisées. Mais derrière la mascarade et la gaudriole, la culture de cet érudit est omniprésente. Explicites ou cachées, les références culturelles sont aussi nombreuses que les chauves-souris s’envolant hors de leur grotte le soir venu. Murnau, Dreyer, Fritz Lang, Sergio Leone, Coppola et Godard dont il s’inspire des collages visuels. Citons aussi Warhol pour sa façon de laisser la vie réelle entrer dans le cadre, anachronismes compris.
Face à l’avènement de l’IA, il y a deux camps, ceux qui y voient l’avenir de l’humanité et ceux qui pensent que cela signe sa fin. Radu Jude appartient à la troisième ! Pour les scènes que le budget limité ne permettait pas de tourner, Radu Jude a eu recours à des logiciels d’intelligence artificielle bon marché.
« Le monde du cinéma est contre l’IA – moi non. Même si je connais tous les problèmes que cela pose. Mais je pense qu’elle doit être traitée comme un outil de travail. Je l’ai déjà fait, d’ailleurs avec Vlaicu Golcea, pour Dracula, où on a choisi les pires images générées par les logiciels d’IA. » (Extrait de Radu Jude. La fin du cinéma peut attendre. Ouvrage collectif. Éditions de l’Œil, 2025)
Le choix des images les plus ratées leur confère un puissant effet comique, sorte de revanche des humains sur les machines. Plus encore, le réalisateur voit en Dracula une métaphore de l’IA : comme lui, « elle se nourrit des autres sans demander la permission. Elle est parasitaire par nature. Cela avait tout son sens ». Avec ses morceaux rapiécés et ses gesticulations convulsives, Dracula ressemble plutôt à une autre créature mythique : Frankenstein. Radu Jude aimerait d’ailleurs en livrer un jour une version roumaine. Espérons que cela ne reste pas un vœu pieux.
Affiche de « Dracula » de Radu Jude. (DR)
Genre : Tragicomédie
Réalisation : Radu Jude
Avec : Adonis Tanta, Gabriel Spahiu, Oana Maria Zaharia
Pays : Roumanie
Durée : 2h50
Sortie : 15 octobre 2025
Distributeur : Météore Films
Synopsis : Un acteur incarnant Dracula dans un restaurant de Transylvanie s’enfuit de la représentation, poursuivi par les clients et les propriétaires désireux de tuer le « vampire ». Parallèlement, un jeune cinéaste met sa créativité à l’épreuve des possibilités illimitées d’une fausse IA, créant un mélange surprenant d’histoires diverses, d’hier et d’aujourd’hui, sur le mythe originel de Dracula.
Jusqu’au 18 octobre 2025, une rétrospective Radu Jude est présentée au mk2 Bibliothèque x Centre Pompidou.