En école spécialisée

Il a six ans lorsque le diagnostic est tombé et garde en tête le « vague souvenir » d’un bureau, d’un rendez-vous chez un spécialiste – « un psychologue ou un logopède » – et d’un test relativement sommaire où il a échoué. « J’ai dû avoir le malheur d’écrire mon Z ou mon E à l’envers et d’avoir eu du mal à lire l’heure. »

Le verdict : dyslexie. Un conseil dispensé : l’école spécialisée. À la rentrée, le petit Thomas intègre un établissement où sont regroupés des enfants touchés par des handicaps variés : la trisomie, des problèmes psychomoteurs ou autres. « Une espèce de grands fourre-tout avec des profs qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour que tout le monde garde la tête hors de l’eau. Mes petits camarades et moi-même étions au courant qu’on était en marge du système classique et des autres enfants. On se considérait comme ‘pas normaux’, on regardait le monde des normaux de loin. »

Stress chronique

Un monde qu’il réintègre en première secondaire. Alors qu’il était premier « sans rien faire » durant toute l’école primaire, Thomas Gunzig se retrouve tout à coup dans les limbes du classement. « En primaire, c’étaient des études sommaires. Je n’ai pas eu de cours de néerlandais alors que j’étais à Bruxelles, j’ai à peine eu des cours de français, je n’ai quasi pas eu de cours de grammaire. En maths, cela se limitait à des additions, des soustractions et des multiplications », liste-t-il. « Je n’ai jamais réussi à rattraper mon retard. »

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« Soudainement, j’étais dans les meilleurs. Celui dont on lisait les rédactions en classe.

Son adaptation dans l’enseignement « classique » est d’autant plus difficile que le chroniqueur matinal de la Première, en décalage aussi socialement, n’a pas beaucoup de copains. « Je venais d’un environnement avec tout un tas de petits camarades un peu étranges, un peu singuliers. J’étais vraiment très seul à ce moment-là. »

Réfugié dans la SF

Alors, il trouvera refuge dans les livres. De la science-fiction principalement dévorée dans la cour quand les autres jouent à la marelle ou au foot. Ses lectures : Philippe K.Dick, Isaac Asimov ou Robert Silverberg. « Je pense que ça a été assez décisif dans la formation de mon imaginaire. Je n’ai aucun problème pour lire, ni pour écrire. Dans le champ dyslexique, il y a beaucoup, beaucoup de choses. Ce que j’ai, moi, c’est une très mauvaise orthographe… »

La vie de Thomas Gunzig a « basculé » après l’arrivée d’une professeure de français en quatrième secondaire à l’Athénée royale d’Uccle 1. Mme De Pauw, aujourd’hui décédée, a décidé de ne plus tenir compte de ses fautes, mais d’attacher, au contraire, de l’importance à « la forme et aux choses ».

« Soudainement, j’étais dans les meilleurs. Celui dont on lisait les rédactions en classe. C’est la première forme de reconnaissance de ma vie. C’est la première fois, où je me suis dit : bah en fait, je ne suis peut-être pas l’espèce de gnome insignifiant qu’on a toujours prétendu que j’étais. Peut-être que je vaux quelque chose dans le domaine de l’écrit, de la littérature », se remémore l’auteur qui est professeur à La Cambre et à Saint-Luc.

« Rocky, dernier rivage » de Thomas Gunzig : après l’apocalypse, seule une famille survit

L’année « clé » de ses 16 ans, il commencera aussi à partager des coups de cœur littéraire avec d’autres camarades et surtout à écrire. À 55 ans, en veut-il à ses parents ? « Je me suis demandé pourquoi ils n’avaient pas plus résisté, pas demandé un deuxième avis. Maintenant que je suis parent, que je vois à quel point c’est compliqué, à quel point on se trompe en permanence, je ne peux pas leur en vouloir », conclut celui dont le dernier livre – Rocky, dernier rivage publié en 2023 au Diable Vauvert – était un livre de SF. « Celui que je rêvais d’écrire. »