l’essentiel
L’ancien maire socialiste de Toulouse, Pierre Cohen, aujourd’hui encarté « Génération·s » publie « La Gauche au Capitole 2008-2014 », un livre dans lequel il revient sur les années qui, selon lui, ont marqué une rupture historique dans la gestion de la ville.

Pourquoi avoir choisi de publier ce livre maintenant, plus de dix ans après la fin de votre mandat ?

L’idée mûrissait depuis quelque temps. Ce qui m’a décidé, c’est qu’en 2024, Jean-Luc Moudenc et son équipe ont dressé un bilan de leurs dix ans de mandat, dans lequel j’ai retrouvé beaucoup de choses issues de notre travail entre 2008 et 2014. Et puis, parce que j’ai le sentiment que cette période a été un moment historique pour Toulouse. Avant, la ville vivait un peu repliée sur elle-même, sans grande ambition publique. Nous avons, je crois, profondément changé cela.

Quels ont été, selon vous, les chantiers les plus structurants de votre mandat ?

Le premier, sans hésiter, c’est la création de la communauté urbaine. Toulouse était l’une des rares grandes villes à ne pas en avoir. On nous l’a proposée fin 2008, et nous avons réussi en huit mois un tour de force : construire une intercommunalité cohérente, grâce à la volonté des maires, du personnel et des syndicats. Le deuxième grand chantier, ce fut le maintien de la régie publique des transports. En 2008, certains voulaient privatiser Tisséo. Nous avons tenu bon, convaincus que la puissance publique devait rester maîtresse des grands services urbains. Ce choix a structuré la métropole et il continue de porter ses fruits aujourd’hui.

Vous maintenez encore aujourd’hui cette conception de la maîtrise publique ?

Oui, c’est même, pour moi, la différence fondamentale entre la gauche et la droite. La puissance publique, c’est la capacité à décider d’abord de ce qu’on veut pour l’intérêt général, avant de confier, si nécessaire, la réalisation à des acteurs privés. Nous ne sommes pas dans une logique étatique rigide, mais dans une logique de maîtrise. Cela nous a permis de penser des projets équilibrés, comme à la Cartoucherie, avec un vrai mélange entre logements sociaux, accession et privé, tout en intégrant des fonctions culturelles et de service public. Nous avons voulu appliquer cette philosophie à tout : les transports, l’énergie, les stationnements, l’aménagement urbain. Même le stationnement devait, selon nous, relever de la puissance publique pour mieux gérer la place de la voiture.

Vous évoquez souvent l’urbaniste Joan Busquets dans votre livre. L’urbaniste a lancé les grands travaux, mais il a continué à travailler avec votre successeur aussi

Busquets a incarné une vision nouvelle de la ville. Ensemble, nous avons voulu rompre avec la toute-puissance de la voiture et repenser l’espace public. Fermer la place du Capitole à la circulation, piétonniser les allées Alsace-Lorraine, c’était symbolique. Mais Busquets, c’était plus qu’un urbaniste : il proposait une continuité urbaine, une cohérence entre centre et faubourgs. On travaillait sur l’hypercentre, bien sûr, mais aussi sur les boulevards, pour qu’ils ne soient plus une frontière. Cette vision reste d’actualité.

Dans votre livre, on a l’impression que vous estimez que votre héritage a été oublié, voire récupéré. Est-ce le cas ?

Oui, bien sûr. Beaucoup de projets initiés sous notre mandat ont été poursuivis, parfois rebaptisés ou réinaugurés, mais sans mention de leur origine. Je pense au Métronum, à l’Espace de la laïcité, à la Machine… Ce livre n’est pas une revanche, mais une mise au point. Je ne cherche pas à polémiquer : simplement à rappeler que la rupture de 2008 a été fondatrice. Nous avons donné un cap, une méthode, une ambition. Il est important que cela soit reconnu dans l’histoire de la ville.

Jean-Luc Moudenc a souvent affirmé que vous aviez laissé une ville surendettée. Que répondez-vous ?

C’est faux. Quand nous sommes partis en 2014, la dette était ridiculement basse comparée à d’autres grandes villes. Nous avons hérité d’un magot et nous l’avons utilisé pour remettre en état des écoles ou d’autres équipements. Aujourd’hui, la situation est bien différente : la dette s’est déplacée vers la métropole et Tisséo, dont l’endettement explose. C’est un peu comme au niveau national : ceux qui se prétendent les meilleurs gestionnaires sont souvent ceux qui creusent le plus le déficit.

Certains diront que publier ce livre aujourd’hui, c’est un peu tard, voire revanchard…

Peut-être, mais ce n’est pas mon intention. Je ne suis pas candidat, je ne cherche pas de revanche. J’aurais pu m’en passer si le bilan de la majorité actuelle avait été plus juste et plus humble. Simplement, je ne peux pas laisser croire que tout ce qui s’est fait depuis dix ans vient d’eux. Mon livre, c’est une contribution à la vérité historique et à la mémoire politique de Toulouse.

Comment voyez-vous les prochaines municipales à Toulouse ?

J’espère une nouvelle rupture, comme celle de 2008. À l’époque, le Parti socialiste réunissait toutes les sensibilités, de Mélenchon à Rocard. Cette unité a fait notre force. Aujourd’hui, elle est plus difficile à construire, mais elle reste indispensable. L’union au premier tour serait idéale, à défaut, il faudra qu’elle se fasse au second. Moudenc a retenu la leçon de 2008 : il ne se divise plus. Depuis dix ans, c’est la gauche qui se divise…

L’union semble pourtant compliquée, notamment entre socialistes et Insoumis.

Les divergences existent, bien sûr, mais elles ne sont pas insurmontables. Ce sont souvent des différences de posture plus que de fond. Les projets, sur le logement, l’écologie ou la démocratie locale, ne sont pas incompatibles.
J’ai connu les mêmes tensions entre socialistes et Verts, et pourtant nous avons su gouverner ensemble. Si chacun fait preuve d’intelligence collective, l’union est possible.

Et sur le plan financier, avec les difficultés actuelles, les candidats peuvent-ils encore faire « rêver » ?

Les finances sont tendues, c’est certain. En 2008, nous avions des marges et avons pu lancer de grands projets culturels et urbains. Aujourd’hui, il faudra être plus inventif, miser sur la concertation, l’innovation sociale, la participation citoyenne. Les Toulousains attendent une ville apaisée, accessible, non excluante. Ce n’est pas une question d’argent, mais de vision. Il faut penser l’équilibre, la mixité, le bien-vivre ensemble. C’est cela, la prochaine étape.

* « La gauche au Capitole » – PHP Éditions, Collection À l’écoute. Prix : 15 €.