Par Christian Leon, CEO Ericsson Europe de l’Ouest (*)

À l’heure où la visioconférence, le paiement en ligne ou l’accès aux services publics en ligne sont des usages quotidiens, cette situation est tout simplement anachronique.

Une connectivité entravée par des performances insuffisantes

La connectivité mobile nécessite tout d’abord un certain niveau de couverture. Celui que la plupart des Français associent au nombre de barres sur l’écran du smartphone, garantit généralement la disponibilité aux services de base, comme la voix ou la messagerie. Cependant, ces barres ne garantissent nullement ce qui est de plus en plus attendu des usages professionnels ou personnels. Le dernier Mobility Report d’Ericsson de juin 2025, montre qu’un usage pleinement satisfaisant de son smartphone requiert un plancher de débit– c’est-à-dire une vitesse à laquelle les données sont transmises – d’au moins 20 Mbps. L’autorité de régulation des télécoms en France, l’Arcep, place quant à elle le débit seuil à 30 Mbps pour des usages professionnels qui requièrent une utilisation des vidéos conférences, l’accès à des fichiers en ligne, le téléchargement de mails volumineux. Ce débit disponible, mais qui ne sera que ponctuellement atteint, est indispensable pour absorber les pics nécessaires à des usages comme accéder rapidement à des fichiers, naviguer sur le web ou visionner des vidéos, toutes ces tâches étant souvent exécutées en parallèle. 

Ces seuils de débits de 20 à 30 Mbps sont également des cibles « mouvantes ». Ce qui semble suffisant à un moment donné peut se révéler insuffisant quelques années plus tard. En effet, l’arrivée des nouveaux usages, liés en particulier à l’IA, va accroitre les besoins et en particulier sur le lien montant du smartphone vers le réseau. Aujourd’hui, les requêtes des utilisateurs IA sont majoritairement effectuées sous la forme de texte ou son envoyé vers le réseau, mais à l’avenir ces contenus incluront de plus en plus de la vidéo et des images. 

Sur le plan géographique, les inégalités sont frappantes, notamment dans les petites et moyennes villes qui quadrillent notre pays. Si l’on se penche sur les zones rurales et périurbaines de moins de 10 000 habitants, la dernière campagne de mesure de l’ARCEP montre qu’’un utilisateur) a une chance sur deux de ne pas bénéficier du seuil des 30 Mbps nécessaires aux usages professionnels. Même dans les zones dites « intermédiaires » (villes moyennes, technopôles, zones périurbaines), une connexion sur quatre est insuffisante pour répondre à ces attentes. Par contraste, en zones denses, seul un cas sur dix présente une telle insuffisance.

Assurer une couverture homogène et performante sur l’ensemble du territoire ne peut être réalisé par un acteur seul. Si les opérateurs jouent un rôle clé dans ce déploiement, il est essentiel que tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, participent à cet effort commun. Les pouvoirs publics, les collectivités locales, les industries technologiques et les opérateurs doivent collaborer pour soutenir des modèles innovants et durables permettant de déployer les réseaux 5G dans les territoires moins denses, où les retours sur investissement sont souvent plus lents. Une mobilisation collective est essentielle pour faire de la connectivité une réalité pour tous.

Une infrastructure essentielle au déploiement massif de l’IA

La 5G, lancée il y a maintenant 5 ans dans l’hexagone, a fait ses preuves en zones urbaines, mais peine à être déployée de façon massive sur tout le territoire. Or, la qualité des réseaux n’est plus une question de confort, elle est devenue un enjeu de compétitivité, d’inclusion et de souveraineté. La France ambitionne de devenir un leader de l’intelligence artificielle et des industries technologiques. Un réseau inégal et ces écarts menacent cette ambition, chaque jour des millions de citoyens et d’entreprises sont privés d’infrastructures critiques pour réussir.

Sans une connectivité mobile fiable, pas de télétravail, pas de télémédecine, pas d’industrie intelligente, ni de transition écologique. Dans les zones intermédiaires, la faible qualité du réseau freine l’innovation, limite les investissements et dissuade les talents. Par exemple, un professionnel installé dans un bourg de 8 000 habitants, loin d’être un “village reculé”, a une chance sur deux de ne pas pouvoir accéder à des services numériques fluides, une réalité incompatible avec les attentes modernes.

L’Europe décroche pendant que le reste du monde accélère

Pendant que l’Europe tarde à harmoniser ses politiques et investissement dans la connectivité numérique, l’Asie et les États-Unis construisent des autoroutes de données. La Corée du Sud compte cinq fois plus d’antennes 5G par habitant qu’en Europe et les États-Unis investissent deux fois plus dans les réseaux. 

Selon les mesures récentes d’un grand opérateur international, 97% des activités sur la 5G mid-band se traduisent par un accès au contenu en moins de 1,5 seconde, contre seulement 38 % en 4G. Certaines collectivités agissent déjà. À Istres, un réseau 5G privé améliore la vidéosurveillance et la coordination des secours, à un coût bien moindre qu’avec la fibre. Ce type d’initiative montre que la 5G n’est pas seulement une avancée technologique : elle est un outil essentiel pour renforcer la résilience et l’efficacité des infrastructures publiques tout en posant les bases des services urbains du futur.

Investir ou subir : un choix stratégique urgent

Tous les secteurs, qu’ils soient liés à l’industrie, à la santé, à l’agriculture ou à la sécurité, ont besoin d’une infrastructure numérique solide. Le Livre blanc de la Commission européenne chiffre à 200 milliards d’euros le déficit en infrastructures, un écart qui pénalise lourdement l’Europe dans la compétition mondiale.

Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne est clair : il faut harmoniser, consolider et simplifier les politiques numériques européennes. Avec des technologies prêtes, des talents qualifiés et des exemples de réussite, il est urgent de dépasser la logique de « rattrapage » pour entrer dans une dynamique d’accélération. Faire de la connectivité le pilier central de notre souveraineté numérique n’est pas seulement une commodité : c’est une nécessité stratégique. 

(*) Christian Leon est PDG de l’entité Europe de l’Ouest chez Ericsson depuis juin 2025. Cette entité regroupe la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Espagne et le Portugal. Il était précédemment à la tête de l’entité regroupant la France, la Belgique, le Luxembourg, l’Algérie et la Tunisie.Âgé de 50 ans, Christian Leon a rejoint Ericsson en 2010. Il a occupé depuis plus de trois ans la fonction de VP Réseaux et Services Managés pour Ericsson Europe et Amérique Latine. Ingénieur de formation, Christian Leon a passé une grande partie de sa carrière aux États-Unis et en Suède dans des fonctions relatives aux technologies et aux ventes. Diplômé de Supélec Paris en 1998, il a été officier dans la Marine française.