Un reportage initialement paru en 2013 dans les pages d’AD, à relire à l’occasion des 25 ans du magazine.
Contrairement aux idées reçues, Brasília ne rime pas toujours avec Oscar Niemeyer. Tout au long des années 1970, les États étrangers présents dans la nouvelle capitale du Brésil ont eux aussi voulu faire montre des talents de leurs créateurs nationaux. Et tous ont missionné leurs meilleurs architectes pour bâtir leur représentation diplomatique.
LE HALL D’ENTRÉE DE L’AMBASSADE DU MEXIQUE mêle azulejos et béton aux formes inspirées des Aztèques, hommage à la culture mexicaine.
© MATTHIEU SALVAING / PRODUCTION MIGUEL LÓPEZ PELEGRÍN.
LA FAÇADE EN BÉTON aux multiples oculi de la Délégation de l’Union européenne au Brésil évoque les architectures années 1970 d’Antti Lovag.
© MATTHIEU SALVAING / PRODUCTION MIGUEL LÓPEZ PELEGRÍN.
Éloignés géographiquement et parfois intellectuellement de l’idéologie qui a présidé à la fondation de Brasília, ces architectes sont plongés dans les aspirations de l’époque, alors que le mouvement moderniste semble toucher ses limites. Tous sont à la recherche de nouveaux registres formels et conceptuels qui vont trouver leur expression dans plus d’une vingtaine d’ambassades disséminées dans la ville. Si toutes n’ont pas le même intérêt, plusieurs s’illustrent par leur architecture remarquable, à l’image des ambassades d’Italie, de France, du Mexique ou encore de la Délégation de l’Union européenne.
ARCHITECTURE MEXICAINE ET BÉTON COFFRE
En 1973. Abraham Zabludovsky met la dernière touche à l’ambassade du Mexique à Brasilia. Né en 1924, il a fait ses classes chez Mario Pani, le plus éminent représentant de l’architecture moderne mexicaine, dont les immeubles à vocation sociale et les bâtiments publics habitent encore aujourd’hui les rues d’Acapulco et de Mexico City. Mais près de vingt ans après avoir créé sa propre agence, Zabludovsky s’est un peu éloigné des préceptes du modernisme pour développer son propre univers.
À L’INTÉRIEUR DE L’AMBASSADE DU MEXIQUE, contraste des matériaux (bois, béton et marbre) typiques du style de son architecte, Abraham Zabludovsky.
© MATTHIEU SALVAING / PRODUCTION MIGUEL LÓPEZ PELEGRÍN.
LA SALLE À MANGER DE RÉCEPTION de la résidence de l’ambassadeur de France à Brasília est signée du designer Michel Boyer.
© MATTHIEU SALVAING / PRODUCTION MIGUEL LÓPEZ PELEGRÍN.
S’attaquant tour à tour à la construction de centres culturels, de complexes d’habitation, de résidences privées ou de banques, il exprime une nouvelle écriture que l’on retrouve dans la plupart des deux cents constructions qu’il réalise jusqu’à sa mort, en 2003. L’ambassade que l’État mexicain. lui commanda à la fin des années 1960 concentre les éléments clés de ce nouveau. langage. Abraham Zabludovsky adapte d’abord son projet à la topographie des lieux en créant un ensemble architectural qui suit la pente de la colline en bas, les espaces de bureaux de la chancellerie, un peu au-dessus, la résidence de l’ambassadeur et à l’arrière-plan, les logements des fonctionnaires et diplomates.
Puisant dans la culture mexicaine, il réinterprète à Brasília les patios et les portiques de l’architecture vernaculaire avec du béton coffré. Il l’utilise en bandeaux larges qui forment une trame coiffant chacun des ensembles et qui évoquent au premier coup d’œil la géométrie aztéque. Cet aspect est accentué par la végétation tropicale intégrée à l’architecture. À l’intérieur, les carreaux émaillés de motifs et le béton coffré orné de sculptures dans la matière confrontent les racines indiennes du Mexique à la postmodernité.
DE LE CORBUSIER À MICHEL BOYER
À quelques centaines de mètres, l’ambassade de France ne connut pas le même sort. Confiée à Le Corbusier en raison de ses étroites relations avec Lucio Costa et Oscar Niemeyer, les deux concepteurs de la capitale du Brésil, elle ne put être menée à bien en raison de la disparition de l’architecte, en 1965. Le projet fut alors attribué au Chilien Guillermo Jullian de la Fuente, ancien collaborateur de Le Corbusier, à qui l’on demanda d’adapter les esquisses préliminaires en raison de nouveaux besoins.
Jullian refusa de toucher au travail du maître et le gouvernement français se résolut à lui commander un nouveau projet. Achevée en 1974 après trois ans de travaux, l’ambassade intègre dans sa conception le climat brésilien. Tous les bâtiments sont aménagés autour de patios plantés d’une végétation luxuriante, ce qui permet une excellente luminosité et une ventilation naturelle, rendant inutile l’installation de l’air conditionné. La plus grande surprise est à l’intérieur de la résidence de l’ambassadeur attenante. Celle-ci dévoile dès l’entrée quelques-unes des créations phares du designer français. Michel Boyer, à l’image de la lampe Brasília. Seventies dans son approche, l’architecture intérieure fait la part belle aux matériaux nobles tout en faisant cohabiter confort, fonctionnalité et une certaine autorité statutaire. Un style classique-moderne bien dans son temps qui vaut alors à Michel Boyer d’être commissionné par les maisons de luxe et les grandes fortunes, Karim Aga Khan ou Liliane et André Bettencourt.