La rentrée littéraire, avant les prix décernés à l’automne, a tendance a effacer les propositions des plus petites maisons d’éditions indépendantes. La diversité est pourtant bien présente en France. Une tribune de l’éditrice et directrice des éditions Au diable vauvert, Marion Mazauric.

Le monde peut s’enfoncer dans le chaos, la guerre et le massacre peuvent faire rage et la société française voir s’exacerber la protestation sociale, la rentrée littéraire bat son plein. Phénomène culturel franco-français, pendant trois mois, des derniers jours d’août aux annonces des Grands Prix en novembre, elle fait l’actu, sur table en librairie, recensée dans tous les media, grand public et spécialisés, sur les réseaux sociaux…

Marion Mazauric est la fondatrice de la maison d’édition indépendante Le Diable Vauvert, basée à Vauvert dans le Gard.

Marion Mazauric est la fondatrice de la maison d’édition indépendante Le Diable Vauvert, basée à Vauvert dans le Gard.
Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Difficile d’y échapper, toutes les rédactions se livrent au jeu des sélections avec leur choix des dix-quinze-vingt “meilleurs livres”. Comme dans un grand tiercé automnal à suivre, un gigantesque ball-trap à l’issue duquel il ne doit en rester que sept, entendez les lauréats des grands prix d’automne.

Depuis le printemps précédent, éditeurs, libraires, auteurs, critiques, se préparent, on envoie les épreuves des livres de septembre dès avril pour qu’ils soient lus, si possible, et le plus tôt possible. Objectif : parmi les 480 romans qui sortent en août-septembre, faire partie de la trentaine grand maximum qui émergeront et remporteront le jackpot. Mais impossible pour un libraire, critique, juré, de lire mieux qu’une cinquantaine de livre en quatre mois. Or les enjeux commerciaux sont considérables, un Goncourt peut dépasser les 300/400.000 exemplaires. Le marché se concentrera donc sur les quelques titres qui, dès les premières sélections des prix, ramasseront la mise, en tout cas les heures de passages media, les tables centrales des libraires, etc.

La littérature est aussi un formidable observatoire de la société.

Dans un métier toujours risqué, les groupes et grandes maisons ont absolument besoin de ces prix, hors de question de les laisser au hasard. Et dans une édition aujourd’hui dominée par trois groupes qui représentent les trois quarts du chiffre d’affaires total, c’est une guerre d’influence où la donne se resserre d’année en année sur quelques grandes maisons. Mais, en plus de sa dimension universelle et du plaisir qu’elle procure, des mots et images qu’elle nous offre, des liens qu’elle créée, la littérature est aussi un formidable observatoire de la société.

Le monde de l’édition est aujourd’hui constitué de trois grosses maisons qui trustent les trois quarts du chiffre d’affaires.

Le monde de l’édition est aujourd’hui constitué de trois grosses maisons qui trustent les trois quarts du chiffre d’affaires.
Midi Libre – JEAN-MICHEL MART

C’est ainsi que cette rentrée manifeste d’abord une composition sociale de plus en plus bourgeoise des écrivains, critiques et catalogues les plus en vue, où les questions d’intimité et d’héritage, moral, politique, symbolique, sont premières. Cette année voit encore croître le nombre de romans où l’auteur.ice interroge ses origines et ce qui a fait de Lui (Elle) ce qu’Il (ou Elle) est ?

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Mais on y trouve aussi bien d’autres dimensions, d’autres échos du monde, d’autres histoires et d’autres univers. Car la diversité française en matière d’édition et de littérature – permise par une librairie indépendante diverse, curieuse, passionnée et courageuse –, est tout simplement magnifique et à l’image de notre diversité sociale, d’origines et d’influences, à l’image réelle de la France.

Aller du côté des éditeurs indépendants, de ceux qui se jouent leur vie dans chacun de leur choix…

Alors, comme en politique, sans doute faut-il aller voir ailleurs qu’à la télé et dans les grands médias parisiens inféodés aux groupes, pour s’en faire une image réelle. Aller du côté des éditeurs indépendants, du côté de ceux qui jouent leur vie dans chacun de leur choix et à chaque livre qu’ils publient, pour trouver de l’audace, de la surprise, des voix nouvelles et nécessaires, des histoires qui aident à comprendre notre grande histoire. C’est de ce point de vue que la rentrée littéraire est la plus intéressante. Même si la critique ne l’aborde guère sous cet angle, pour préférer servilement jouer au jeu des petits chevaux et accorder des bons points aux “15 meilleurs selon Nous”.

« Lignes ouvertes », c’est quoi ?

Avec la page « Lignes ouvertes », Midi Libre souhaite que vous puissiez vous, acteurs du territoire, prendre la parole dans votre quotidien pour exprimer à travers des tribunes, des analyses ou des prises de position, votre point de vue sur les sujets qui traversent l’actualité du pays et de notre région.
Nous avons assez de médias et d’experts à Paris pour nous apporter leurs éclairages, nous avons aussi besoin que les idées partagées par les acteurs locaux, qu’ils soient chercheurs, universitaires, médecins, entrepreneurs, issus du milieu associatif, sportif ou caritatif, puissent avoir un moyen d’expression dans Midi Libre. Ces lignes vous sont grandes ouvertes ! Au plaisir de vous lire.

Cela pendant que les Français continuent par centaines de milliers de plébisciter en tête des ventes de septembre La Femme de ménage, un polar populaire féminin devenu par surprise best-seller mondial, peut-être parce qu’il montre comment se venger des riches ? A l’image de la société, on disait !

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