INTERVIEW. Le binôme composé de Emiliano Salci et Britt Moran fêtera en 2026 ses 20 ans de présence au Salon du meuble de Milan. Chaque édition est l’occasion pour ce duo de designers de montrer sa capacité à créer des histoires, s’emparer du passé pour le réinventer, faire de la nostalgie une matière à création.

Ils sont indémodables ! Lors de la dernière édition du Salon du meuble de Milan, les noms de Britt Moran et Emiliano Salci, fondateurs de Dimorestudio, étaient sur toutes les lèvres. Il fallait absolument découvrir leurs collaborations avec Loro Piana, Yves Salomon, Hosoo… Et ce ne sont pourtant pas des petits nouveaux. Le succès du binôme d’architectes d’intérieur et designers a été quasiment immédiat, lors de la fondation de sa structure, en 2003. Et dès 2006, il a créé l’événement au Salon du meuble de Milan. Depuis plus de vingt ans, il est indétrônable, véritable référence dans l’univers du luxe. Mais quels sont les secrets de sa longévité ? Réponse du duo, parlant d’une même voix.

Madame Figaro. – Comment expliquez-vous que votre travail demeure encore et toujours si désirable ?


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Emiliano Salci et Britt Moran. – En créant notre studio, nous avons proposé un langage qui n’était alors pas utilisé. Et en 2006, quand nous l’avons mis en scène lors du Salon du meuble, il a interpellé le public. Et il a été porté par les journalistes, notamment français. Depuis, la presse n’a cessé de nous soutenir. Nous avons eu de la chance.

La chance n’explique pas tout ! Si nous remontons le temps jusqu’en 2006 et votre premier Salone

À l’époque, à Milan, les codes étaient au blanc, noir, gris. Et nous avons, nous, apporté beaucoup de couleurs. Nous avons immédiatement pris le parti de l’expérimentation. Comme nous n’avions pas beaucoup de moyens, nous avons exposé dans un quartier de Milan qui alors était excentré et méconnu – depuis, avec l’installation de la Fondation Prada, c’est devenu une zone très fréquentée. Nous nous disions que nous allions recevoir 10 personnes… mais le bouche-à-oreille a fonctionné et nous en avons eu 35000 !

Installation du Dimorestudio pour Loro Piana au Salon de Milan 2025.
ANDREA FERRARI

Près de vingt ans après, en 2025, toujours à ce Salon, vous étiez encore les vedettes.

C’est le seul moment de l’année où nous faisons ce que nous voulons. Nous avons des clients formidables, qui viennent sans aucun doute nous chercher pour notre façon peu orthodoxe de travailler, mais nous devons tout de même nous adapter à leur ADN, à des contraintes, notamment dans l’hôtellerie, le retail. Nous apprenons ainsi beaucoup d’eux. Mais le Salon est l’endroit où nous exprimons réellement notre créativité. Et ce sont aussi ces expositions librement imaginées qui déclenchent l’envie de nouveaux clients : c’est un cercle vertueux. Le Salon est finalement à la fois notre vitrine et notre terrain de jeux.

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Comment avez-vous évolué durant ces deux décennies ?

Nous avons malheureusement vieilli ! Notre binôme fonctionne de façon peut-être plus fluide. L’un s’occupe plus de la partie commerciale, du lien avec nos clients (il s’agit de Britt Moran, NDLR) et l’autre de la partie plus créative (Emiliano Salci). Nous sommes plus matures en matière de structure, et cela se voit dans nos réalisations.

Comment définiriez-vous votre style aujourd’hui ?

Récemment, l’un de nos clients nous a dit qu’il nous considérait comme les ambassadeurs du classique contemporain. Et c’est assez juste, même si nous pensons que nous sommes toujours avant-gardistes. Certes, nous aimons le passé, mais pas d’un point de vue historique. Nous sommes plutôt guidés par l’idée de ce à quoi le passé aurait pu ressembler, de la façon dont nous aurions aimé vivre en 1930, en 1970… Nous nous inspirons de ces périodes, mais nous les interprétons. Il ne s’agit en aucun cas de recréer de l’ancien.

C’est une nostalgie créative. Nous regardons vers des styles spécifiques, qui sont intemporels, et nous les transposons dans une esthétique contemporaine

Emiliano Salci et Britt Moran, du Dimorestudio

Est-ce cette base classique qui apporte une note de nostalgie dans votre travail ?


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Nos proches soulignent régulièrement que nous sommes nostalgiques. Sans doute la nostalgie nous rassure-t-elle. Peut-être nous permet-elle de nous raccrocher à des meubles, à des objets auxquels nous nous identifions plus facilement. Ceci dit, c’est une nostalgie créative. Nous regardons vers des styles spécifiques, qui sont intemporels, et nous les transposons dans une esthétique contemporaine.

Dimorestudio a signé l’habillage du train La Dolce Vita Orient Express (ci-dessus, la voiture-bar).
Mr.Tripper / Mr.Tripper

Quels ont été les projets qui ont marqué votre carrière ?

La rénovation du Grand Hotel et de Milan, avec ses 95 chambres, a été un tournant. Dans la restauration, le Caffè Burlot, à Paris, réalisé à la demande de Thierry Costes, a également été majeur. Travailler avec l’un des plus grands entrepreneurs de la restauration a été une opportunité incroyable. En matière de retail, le salon VIP réalisé pour Fendi, à Rome, est une grande réussite. Les gens continuent à nous demander la référence de la peinture que nous avons utilisée pour les murs ! Ces trois exemples ont été de véritables étapes.

Dans tous ces projets comme dans vos installations, vous racontez des histoires…

Nous avons cette volonté. Et de plus en plus. Le storytelling est devenu central au fil du temps, car dans nos têtes, il y a toujours mille idées que nous devons exprimer ! Ce que nous avons fait pour Loro Piana au dernier Salon de Milan illustre cette démarche. La scénographie de cette maison, avec son scénario lumineux et sonore où chacun peut projeter sa propre fiction, était un vrai récit, et a été conçue comme une expérience. C’est ce vers quoi nous voulons aller. En 2026, nous célébrerons nos vingt ans de Salon du meuble de Milan, et nous réfléchissons à ce que nous avons envie de faire. Ce partenariat avec Loro Piana a vraiment mis la barre très haut ! Nous ne pouvons plus revenir en arrière. Donc, c’est un défi. Pour l’instant, nous ne sommes fixés que sur un point, nous allons collaborer avec la maison de design italienne Bonacina.

Sièges inspirés de Carlo Bugatti, édition Dimorestudio et Yves Salomon.
SP

Dimorestudio compte 40 personnes aujourd’hui, mais c’est avant tout un duo. Est-ce là votre force ?

Être deux, c’est se soutenir mutuellement. Nous avons des confrères et consœurs qui travaillent en solo et nous disent combien être seul est difficile. Cependant, nous avons deux personnalités très fortes, ce qui peut faire des étincelles ! La plupart du temps, pourtant, cela nourrit nos projets. L’un est plus classique (Britt Moran, NDLR) et l’autre plus contemporain (Emiliano Salci), et si, par exemple, nous allons à Paris, l’un va insister pour aller au Louvre et l’autre pour visiter le Palais de Tokyo. C’est sans doute cela aussi qui fait notre style.

Nous avons deux personnalités très fortes, ce qui peut faire des étincelles !

Britt Moran et Emiliano Salci, du Dimorestudio

Dimorestudio est un exemple pour de nombreux jeunes architectes d’intérieur et designers. Quels conseils leur donneriez-vous pour se réaliser ?

Il faut se laisser porter par sa passion, en étant différent, en empruntant des voies uniques. Cela implique d’accepter de ne pas gagner d’argent au début, sans cesser de défendre ses idées. Il faut également savoir s’entourer des bonnes personnes : le bon avocat, le bon comptable… Tous ces gens qui accompagnent une carrière, la catalysent, la protègent. Il faut savoir créer une famille dès le premier jour ! Ça a été notre cas. Il faut évidemment avoir en tête que ce sera difficile. Mais il faut, malgré les embûches, continuer à avancer.