“Quand je suis arrivée en Grande-Bretagne, j’ai pleuré dans la voiture. Mais j’ai tout de suite senti que le Royaume-Uni pouvait m’offrir une liberté incroyable. J’ai alors décidé de ne mettre en scène que des pièces françaises, et de m’y tenir. C’était mon geste politique et artistique.” 25 ans plus tard, Édouard Philippe remet à Marianne Badrichani les insignes de chevalier des Arts et des Lettres, dans une salle comble de l’Institut Français du Royaume-Uni.
Marianne Badrichani, passeuse du théâtre français à Londres
Née et formée en France, Marianne fait ses premières armes sur les scènes françaises, où elle monte ses premiers spectacles, jusqu’à ses 27 ans. Très tôt déjà, elle se passionne pour les auteurs français, sans pour autant savoir qu’elle en fera toute une carrière. Pièces classiques, contemporaines ; elle développe peu à peu une conviction : “Je voulais faire exister ces textes, là où ils sont peu connus”.
Installée depuis 25 ans à Londres, elle est aujourd’hui une véritable passeuse d’histoires françaises. Mais elle est aussi… productrice, metteuse en scène, adaptatrice, le tout dans un état d’esprit bien singulier : “Je suis venue conquérir cette île. J’ai même osé me présenter comme la Jeanne d’Arc du théâtre français,” s’amuse-t-elle.
Conquérir la grande île britannique, à coup de Molières et de Poiret
Ce défi, Marianne s’y est accrochée. De Sarraute à Rémi De Vos, de Jean Poiret à Jean-Claude Carrière, elle s’est imposée chaque année, ou presque, un texte venu de l’Hexagone. Plus surprenant encore, elle n’a pas seulement joué dans des théâtres londoniens. Non, Marianne avait à cœur d’explorer, au sens large du terme : “Nous avons joué dans un cimetière victorien pour Perrault, dans un hôtel pour Balzac et même dans une station de métro, lors d’une performance immersive.”
Et selon elle, une seule chose permet un tel élan créatif : “À l’étranger, nous percevons différemment les racines et la modernité de nos textes. Nous les confrontons au regard acéré des Anglais.” Ce regard, elle le décrit d’un sourire malicieux : “Les critiques ici sont impitoyables. Ils veulent savoir si chaque œuvre est pertinente, socialement utile. Personnellement, je crois que nous pouvons aussi célébrer l’humour, le style, la langue et souvent ce décalage provoque des chocs féconds.”
Traduire, adapter, transmettre : le travail de toute une vie
Pendant dix ans, Marianne anime le Cross Channel Théâtre, lisant et traduisant des centaines de pièces contemporaines. Une trentaine d’entre elles ont ensuite trouvé un public outre-Manche. “Il s’agit d’un travail de dentelle et de diplomatie”, affirme-t-elle. “Chaque mot compte. Mais quelle joie quand nous trouvons ensemble le mot juste !”
Aujourd’hui, elle dirige Bold Theatre et Gallic Gang, installée dans un building entre art et modernité, à Elephant & Castle avec un hangar de 1.000 m2, transformé en laboratoire de jeux. “Ces espaces temporaires sont une bénédiction. Ils échappent aux règles des grands théâtres et permettent d’expérimenter. Nous y testons de nouvelles formes, y accueillons de jeunes auteurs, y respirons autrement.”
Où retrouver le travail de Marianne ?
Pour la saison 2025-2026, Marianne poursuit ses créations et développe de nouveaux projets avec son collectif : “Nous essayons vraiment de réunir les gens autour de l’expérience théâtrale, de l’engagement et de l’évasion que nous offrons”, résume-t-elle.
Toutes les actualités, spectacles passés et à venir sont à retrouver sur son site : https://www.mariannebadrichani.com/
Un choix radical : promouvoir le théâtre français
Vous l’aurez compris, Marianne s’est bien accrochée à son challenge… Si bien, que l’État français a décidé de lui rendre, en la faisant Chevalière des Arts et des Lettres. Ainsi, depuis septembre 2025 elle fait partie d’un panel très fermé d’artistes qui ont réussi à faire un lien artistique entre deux nations. De son côté, Marianne insiste sur le caractère collectif de cette médaille. “J’ai remercié tous ceux qui ont permis cette récompense : traducteurs, producteurs, comédiens, amis voyageurs, élèves à qui je répète ‘Girls, speak louder!…’ et Sarah Davey Hull, ma première mentor anglaise, qui m’a appris à rester joueuse.”
À ses côtés lors de la cérémonie à l’Institut Français, lieu symbolique du lien que l’art joue des deux côtés de la Manche : “J’ai invité principalement ma famille et les gens avec qui j’ai travaillé, et cela revient à une cinquantaine de personnes,” confie-t-elle avec émotion. D’ailleurs, pour Marianne, cette distinction est loin d’être une fin en soi. Elle la prend plutôt comme un nouveau départ : “Je continuerai à défendre le théâtre, en français, en anglais. Je ne capitulerai pas ! Vive le théâtre et Vive la liberté !”
La cérémonie en images
Marianne Badrichani, décorée de l’insigne des mains d’Edouard Philippe.
Le 17 septembre 2025, c’est Édouard Philippe, ami d’études de Marianne, qui a remis les insignes de chevalier des Arts et des Lettres à l’artiste. Dans un discours chaleureux, il a salué “une vraie Marianne, égérie républicaine, qui n’a pas fini de se battre pour la liberté”, rappelant leurs passions étudiantes pour Cyrano et Shakespeare, et son courage de “traverser la Manche pour s’inventer une vie d’artiste”.