(New York) Pendant quelques jours en septembre, Larry Ellison a ravi à Elon Musk le titre d’homme le plus riche de la planète.
Publié à 20 h 55
Retombé depuis au deuxième rang de ce classement, le grand patron d’Oracle, qui vaut plus de 350 milliards US, pourrait bientôt partager avec son fils David un nouveau titre : roi des médias.
Âgé de 81 ans, Larry Ellison a bâti sa fortune en conquérant un secteur peu sexy du numérique, mais néanmoins crucial : l’informatique d’entreprise et des bases de données. Or, si tout se déroule comme il le souhaite – et ses liens privilégiés avec Donald Trump jouent en sa faveur –, il possédera bientôt avec son rejeton un empire médiatique comprenant CBS, CNN et TikTok, entre autres.
« Ce serait vraiment l’organisation médiatique la plus puissante jamais constituée, du moins au cours de ce siècle, voire peut-être dans toute l’histoire des États-Unis », affirme Michael Socolow, historien des médias à l’Université du Maine.
Jamais un empire médiatique n’aura vu le jour plus rapidement. De quoi rendre jaloux les Murdoch, dont le propre empire médiatique sera éclipsé, du jour au lendemain.
De quoi aussi soulever des questions sur l’indépendance des Ellison vis-à-vis de l’administration Trump.
Mais d’abord, les faits.
Avec l’aide indispensable de son père, David Ellison, 42 ans, est devenu, fin juin, le grand patron de CBS. Comment ? Grâce au rachat de Paramount Global pour 8 milliards US par Skydance Media, la société de production qu’il a créée en 2006 et à laquelle on doit Top Gun : Maverick et deux films de la série Mission : Impossible, entre autres.
PHOTO PATRICK T. FALLON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
David Ellison, PDG de Paramount Skydance
Deux décisions controversées de Paramount ont précédé cette fusion nécessitant l’autorisation de la Commission fédérale des communications (FCC), dirigée par Brendan Carr, allié de Donald Trump. Dans un premier temps, ce conglomérat a accepté de verser 16 millions US au président pour régler sa poursuite bidon contre 60 Minutes, l’émission d’information phare de CBS.
Dans un deuxième temps, Paramount, par l’entremise de CBS, a annoncé la fin prochaine de l’émission de fin de soirée animée par Stephen Colbert, grand critique de Donald Trump.
TikTok, joyau de l’empire
Skydance a également donné des gages à la FCC avant sa fusion avec Paramount. La société de David Ellison s’est notamment engagée par écrit à ce que sa programmation reflète « la diversité des points de vue de l’ensemble du spectre politique et idéologique » et à « adopter des mesures visant à éliminer les préjugés qui ont sapé la confiance dans les médias d’information nationaux », selon la lettre de la FCC annonçant sa décision d’autoriser la fusion.
Cet engagement s’est traduit, début septembre, par l’embauche de Kenneth Weinstein, ancien président d’un groupe de réflexion conservateur, à titre de médiateur de CBS News. Il s’est poursuivi la semaine dernière par la nomination de Bari Weiss, journaliste anti-woke devenue apologiste du trumpisme1, au poste de rédactrice en chef de CBS News.
Cette nomination s’est ajoutée au rachat par Paramount d’un média fondé par Bari Weiss – le Free Press – pour 150 millions US.
Cela dit, TikTok, une des applications les plus addictives et influentes au monde, est destinée à devenir le joyau de l’empire médiatique des Ellison. Fin septembre, Donald Trump a signé un décret ouvrant la voie à un accord visant à transférer la majorité des parts de la filiale américaine du réseau social chinois à quelques-uns de ses plus riches soutiens.
Larry Ellison est le plus important d’entre eux. Une fois l’accord finalisé, il sera en outre chargé de gérer, par le biais d’Oracle, l’algorithme de TikTok aux États-Unis, où le nombre d’utilisateurs de l’application a franchi le cap des 180 millions.
Ce n’est pas l’unique affaire où Larry Ellison est redevable envers Donald Trump. Ce dernier l’a également invité à participer à Stargate, son projet à 500 milliards US destiné à bâtir des centres de données géants de la future génération d’intelligence artificielle.
Doit-on craindre que ces relations étroites, voire incestueuses, mènent Oracle à manipuler l’algorithme de TikTok pour favoriser Donald Trump et le mouvement MAGA ?
« 100 % MAGA » ?
La question a été posée à Donald Trump le jour où il a signé son décret présidentiel sur TikTok. Le président y a répondu sur un ton badin.
Si je pouvais faire en sorte que ce soit 100 % MAGA, je le ferais, mais malheureusement, cela ne va pas fonctionner ainsi. Non, tout le monde sera traité équitablement.
Donald Trump, lors de la signature du décret présidentiel sur TikTok, en septembre
Mais tout le monde ne rigole pas. D’autant plus que l’appétit des Ellison n’est pas rassasié. Ils convoitent maintenant Warner Brothers Discovery. Selon Bloomberg, une première offre d’achat aurait été refusée par l’entreprise dont les propriétés incluent CNN et HBO, mais tout porte à croire que les Ellison reviendront à la charge.
« Le duo Ellison prenant le contrôle à la fois de CBS et de CNN, ainsi que d’un réseau social majeur comme TikTok, serait dangereux pour la démocratie », a récemment averti le groupe de surveillance des médias FAIR. « Et compte tenu de leur proximité avec le régime Trump, cela semble être le but recherché. »
David Ellison jure qu’il n’en est rien. Contrairement à son père, il n’appartient pas au mouvement MAGA. En fait, il a versé 1 million de dollars à un comité d’action politique favorable à Joe Biden en 2020.
Selon Michael Socolow, il est encore beaucoup trop tôt pour juger de la façon dont sera géré l’empire médiatique des Ellison.
« Ce qu’ils sont en train de créer, c’est la possibilité d’établir une ligne éditoriale à travers leurs médias qui serait extrêmement puissante », explique l’historien des médias à l’Université du Maine. « Mais nous ne savons pas s’ils vont agir comme les Murdoch, qui traitent séparément le Wall Street Journal et Fox News, par exemple, ou s’ils vont agir comme l’organisation Hearst, qui a maintenu une ligne éditoriale unique. »
L’histoire ne se répète pas, elle bégaie, a-t-on fait dire à un certain Marx. Dans les années 1920 et 1930, les journaux de Randolph Hearst ont publié des tribunes de Benito Mussolini et d’Adolph Hitler. Leur devise : « L’Amérique d’abord ».
1. Lisez la critique de la journaliste conservatrice/libertarienne Cathy Young concernant le travail de Bari Weiss à la tête du Free Press