Parfois moquées, souvent méprisées ou simplement ignorées, certaines villes d’Angleterre, réputées ennuyeuses, seraient-elles en passe de prendre leur revanche ? C’est la question que pose cette semaine le quotidien britannique The Telegraph, qui voit dans ces communes sans prétention, éloignées des capitales culturelles, une autre forme de richesse : celle du quotidien.

Dans un monde saturé d’expériences à consommer, de files d’attente et de filtres Instagram, et alors que le surtourisme fait des ravages, ces villes de l’ombre, note le quotidien, offrent une pause et permettent aux visiteurs de poser un autre regard sur le territoire.

L’ennui comme révélateur

La plupart des Français ne connaissent pas les noms de Stevenage, Runcorn ou Grantham. Ceux qui en ont entendu parler seraient pour beaucoup incapables de les situer sur une carte. Et pour cause : ils n’y trouveront ni monuments célèbres, ni restaurants étoilés, ni festivals branchés. Mais c’est peut-être précisément cela qui confère à ces villes une authenticité bienvenue aujourd’hui. Car leur prétendue banalité, note The Telegraph, dissimule un tissu historique et social bien plus dense qu’il n’y paraît.

À Stevenage, première « new town » (ville nouvelle) du Royaume-Uni née dans l’euphorie urbanistique de l’après-guerre, les places piétonnes datent des années 1950, les immeubles respirent l’utopie moderniste, et l’histoire locale – des Romains à l’industrie de la moto – se lit sur le bitume. Runcorn, avec ses ponts majestueux et son passé industriel, fut autrefois surnommée « la Montpellier du Nord » pour ses thermes. À Grantham, c’est la figure clivante de Margaret Thatcher qui plane sur la bourgade, et, avec elle, une réflexion sur les racines du capitalisme moderne.

Ces villes, longtemps réduites à des stéréotypes (le gris, l’ennui, l’absence de culture), dévoilent en réalité des visages multiples : bastions de l’histoire industrielle, elles sont les témoins d’une Angleterre rarement mise en valeur.

Contre-tourisme et fierté locale

Dans un contexte de saturation touristique, où les grandes destinations luttent contre la surfréquentation et ses ravages sur le tissu local, ces villes sans prétention se révèlent attractives précisément pour ce qu’elles ne sont pas. Pas de foule. Pas de hype. Les amateurs de patrimoine discret s’y régalent : à Alloa, en Écosse, la majesté de la Alloa Tower contraste avec les supermarchés en série.

À Swindon, le musée du Great Western Railway rappelle la manière dont le chemin de fer a façonné la modernité britannique. Et à Lampeter, petite ville universitaire du pays de Galles, les visiteurs peuvent découvrir l’authenticité du quotidien gallois, loin des clichés touristiques habituels.

Surbiton, enfin, apparaît comme un havre de verdure aux portes de Londres, entre pubs conviviaux et promenades le long de la Tamise. Chaque ville, à sa façon, démontre que l’ennui est peut-être une grille de lecture erronée – voire totalement snob – d’un territoire que l’on n’a pris ni le temps ni peine de comprendre. Georges Perec, qui s’intéressait aux lieux banals et aux espaces sans qualité – escaliers, quartiers anonymes –, aurait probablement succombé au charme de Runcorn ou Swindon.

D’autres « villes ennuyeuses » ailleurs dans le monde

Ce phénomène ne saurait se cantonner au Royaume-Uni. À l’échelle mondiale, de nombreuses cités souffrent d’une réputation – injuste – de « ville ennuyeuse ». En France, Châteauroux ou Vierzon ont ainsi longtemps été la cible de moqueries avant que des initiatives culturelles locales ne redorent leur image.

En Suisse, Olten est parfois qualifiée de « ville la plus fade du pays » — ce qui ne l’empêche pas d’offrir à ses habitants une excellente qualité de vie. En Allemagne, Gelsenkirchen, ex-cité minière de la Ruhr, porte encore les stigmates de son passé industriel mais se bat aujourd’hui pour une transition verte.

En Australie enfin, Canberra, souffre de son image de capitale administrative aux allures de vaste quartier de bureaux. Sa tranquillité, ses musées nationaux, et son urbanisme séduisent pourtant aujourd’hui ceux qui fuient les mégapoles. Même Tokyo regorge de coins « ennuyeux » — des quartiers résidentiels comme Nerima ou Setagaya — que les Japonais eux-mêmes considèrent comme des havres de paix dans leur capitale ultra-dense.