Par

Glenn Gillet

Publié le

13 oct. 2025 à 6h52

Radja Aboudagga, franco-palestinien de 58 ans, se décrit comme « un Gazaoui qui a tout perdu » : sa maison et son village de Khan Younès ont été rasés en 2014 et plus de 300 membres de sa famille ont été tués depuis les attaques du 7-Octobre en Israël. Edgar Laloum, franco-israélien de 68 ans, affirme avoir « trouvé la voie de la justice sociale au kibboutz de Beït Keishet », à proximité de Nazareth et avoir quitté Israël « quand il est devenu impossible de rencontrer les Palestiniens de Gaza », après la guerre de 2014.

De leur volonté commune de montrer que les deux peuples doivent cohabiter et de leur sidération partagée après les attaques du Hamas et la réponse de Tsahal, ils ont fait naître Sababa – Le goût de la paix : un « restaurant culturel » installé pour au moins six mois dans le 11e arrondissement de Paris, au sein du centre culturel Le Consulat Voltaire. Ce lieu de paix qui mêle nourriture, représentations artistiques et groupes de parole a été inauguré samedi 11 octobre 2025, une coïncidence « symbolique » avec l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur la veille, en vue de la libération des otages israéliens et de prisonniers palestiniens, au sujet duquel les deux hommes partagent leur « espoir » après deux ans d’une guerre qui a fait plus de 60 000 morts dans l’enclave gazaouie.

« Créer du lien » entre ceux « qui recherchent la paix »

Tous deux ont depuis longtemps « le rêve de créer un endroit permettant de créer du lien entre les membres des sociétés israélienne et palestinienne qui cherchent la paix », explique Radjaa Aboudagga. De cette volonté d’ouvrir un espace basé sur « le partage de la nourriture terrestre et de la nourriture de l’esprit », selon les mots d’Edgar Laloum, les deux hommes ont été mis en relation par l’association Nous Réconcilier, créée après le 7-Octobre, qui vise à favoriser les échanges entre membres des diasporas du Proche-Orient en France. De là est né ce restaurant, dont le nom « Sababa » est une expression utilisée aussi bien en Israël qu’en Palestine et qui peut être traduite pas « joie de vivre » ou encore « super ».

L'intérieur du Consultat Voltaire lors de l'inauguration de Sababa, samedi 11 octobre 2025 à Paris.
L’intérieur du Consultat Voltaire lors de l’inauguration de Sababa, samedi 11 octobre 2025 à Paris. (©GG / actu Paris)

On y sert midi et soir des plats issus de la gastronomie de la région (falafels, houmous, salades, pâtisseries…) tandis que des spectacles de danse et de chants ainsi que des moments de déclamations de poésie et d’échanges littéraires viennent ponctuer la journée, au sein de la grande nef industrielle du Consulat Voltaire, installé depuis 2020 dans l’ancien bâtiment de 4 000 m² jadis occupé par la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, avenue Parmentier. Toutes les créations artistiques présentées ici « doivent pouvoir transmettre la possibilité claire de mettre en place des passerelles entre les deux peuples », souligne Edgar Laloum, des chants traditionnels en arabo-andalou ou en judéo-espagnol jusqu’aux créations les plus modernes, en passant par des compositions musicales créées pour célébrer les accords d’Oslo en 1993, à un moment où la paix semblait à portée de main.

Les artistes se produisent d’ailleurs sous les drapeaux palestinien, français et israélien tressés ensemble pour symboliser la possibilité d’un chemin commun. Un choix loin de relever de l’évidence, dans la mesure où une commission d’enquête de l’ONU a récemment affirmé qu’Israël, en tant qu’État et par le biais de son armée, commet bien un génocide à Gaza. « Ici, ça fait longtemps qu’on reçoit beaucoup de soutiens de la cause palestinienne », explique David Henochsberg, le gérant du Consulat Voltaire, « et j’ai dû convaincre des gens que le drapeau israélien représente un peuple, pas un gouvernement et pas Netanyahou. Le peuple israélien dans sa grande majorité veut aussi la paix ».

Des parcours de vie impressionnants pour les deux fondateurs

Pour assurer la sécurité du lieu, la police « passe un peu plus souvent que d’habitude », explique le responsable, précisant aussi avoir que la préfecture de police lui a remis un numéro de téléphone direct à joindre en cas de problèmes. Mais à l’ouverture samedi, l’ambiance était largement dominée par la joie du partage et l’espoir d’un avenir meilleur en Palestine comme en Israël. « Avec le cessez-le-feu, on aura aussi un peu moins de culpabilité à danser et faire la fête ici, car les gens ne seront pas en train de mourir à Gaza », glisse Radjaa Aboudagga.

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Un climat qui résonne avec les parcours de vie d’Edgar Laloum et de Radjaa Aboudagga, tous deux natifs d’Algérie et engagés depuis leur jeunesse pour une paix durable dans la région. Le premier en tant notamment que vice-président de l’Amitié franco-musulmane de France et ancien éducateur ayant favorisé les rencontres entre des adolescents israéliens et palestiniens. Le second en tant membre actif du parti politique palestinien Fatah, ancien membre de la garde rapprochée des présidents de l’Autorité palestinienne, aussi bien pour Yasser Arafat que pour l’actuel président Mahmoud Abbas, et ancien journaliste correspondant à Gaza pour de nombreux médias français. Ses articles critiques du Hamas lui avaient d’ailleurs valu une assignation à résidence de la part du mouvement au pouvoir dans l’enclave palestinienne jusqu’à ce qu’il soit rapatrié par la France en 2021.

« Avec Sababa, on veut montrer que des mecs comme Radjaa et moi, qui seraient censés être ennemis selon certaines personnes, peuvent collaborer et se compléter »

Edgar Laloum

Dès l’ouverture samedi, on pouvait voir le député PS Jérôme Guedj, en rupture avec une partie de la gauche dont Jean-Luc Mélenchon qu’il accuse d’antisémitisme, déambuler à Sababa. Mais dans un contexte où la situation au Proche-Orient continue de diviser la vie politique française, Edgar Laloum refuse toute récupération : « Notre démarche ici est imprégnée de politique mais on n’est pas politicard. On ne demande pas aux politiques de venir mais de s’inspirer de ce qu’il se passe ici ».

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