C’est la sélection dont rêve tout photographe naturaliste. En attendant de savoir s’il fera partie des grands gagnants le 14 octobre, Emmanuel Tardy, 57 ans, a déjà le privilège d’avoir été sélectionné comme finaliste du Wildlife Photographer of the Year parmi les 60.636 photographies envoyées depuis les quatre coins du monde. C’est une photo de paresseux, accroché à un piquet de fil barbelé, au Costa Rica qui a retenu l’attention du jury de ce prix organisé par le Natural History Museum de Londres

Que peut-on voir sur la photo sélectionnée ?

C’est un paresseux qui est accroché à un poteau en ciment avec du fil de fer barbelé. Cette image représente le contraste entre le monde sauvage et le monde domestique créé par les hommes. Et on voit dans le prolongement de cette image, dans la profondeur de champ, un chemin qui mène vers la civilisation. Donc c’est un animal sauvage perdu au milieu de la civilisation et il n’a rien à faire là en fait.

Quelles sont les circonstances de la prise de vue ?

C’est une photo d’opportunité, je n’ai pas cherché à faire ce type d’image. J’étais en vacances au Costa Rica avec mon épouse et, sur la route, on est arrivé dans un embouteillage pas très loin de la Fortuna, là où on allait. On était coincé parmi d’autres véhicules et le bouche-à-oreille disait qu’un paresseux était en train de traverser la route. Et effectivement quand on est arrivé à sa hauteur, on a vu pas mal d’agitations, pas mal de monde qui était sorti de son véhicule pour pouvoir le photographier. L’animal était en stress et s’est figé sur ce poteau. Nous, on a préféré ne pas ajouter de stress. On est allé se garer un petit peu plus loin et on a attendu que tout le monde parte. De loin, je regardais ce qui se passait. Ce qui fait que j’ai eu le temps de programmer un peu ma photo mentalement et de la construire pour passer le moins de temps possible aux côtés du paresseux. Quand tout le monde s’est éloigné, je me suis mis vraiment à sa hauteur, à quatre pattes pour le rejoindre sans avoir une posture imposante à ses côtés. Je pense que je suis resté une minute pour faire trois ou quatre photos et après je suis reparti comme j’étais venu, à quatre pattes pour ne pas lui ajouter de stress.

Est-ce compliqué de photographier un animal comme le paresseux ?

C’est difficile parce que c’est un animal qui descend rarement de son arbre. On le voit généralement de loin et entouré d’une végétation assez dense. Il ne descend de son arbre que pour faire ses besoins, environ une fois par semaine. Donc, il faut être là au bon moment. Et quand ça arrive, c’est le rêve ! Pour cette photo, ce n’était pas le cas, il n’est pas là où j’aurais voulu le photographier. Ce n’est pas le style de photo que je m’attendais à faire.

Pourquoi cette photo ne vous convient-elle pas totalement ?

C’est une photo triste qui démontre la scission qui est en train de se créer entre l’homme et la nature. Je pense qu’on est en train de prendre le pas définitivement sur la nature et ça me touche particulièrement. Donc cette image bien sûr c’est un témoignage de ce qu’il ne faut pas faire ou des erreurs que nous sommes en train de commettre. Ce n’est pas le style de photo que j’ai envie de mettre en avant parce que j’essaie de privilégier des portraits d’animaux dans leur milieu naturel, très épurés. C’est plutôt comme ça que j’aime les valoriser.

Comment êtes-vous arrivé dans cette sélection du Wildlife Photographer of the Year ?

Un peu par hasard même si c’est un concours photo que je suis depuis des années. Tout photographe rêve un peu en secret de faire partie de la sélection des 100 photos chaque année. J’avais fait ce concours en 2015, il y a dix ans et j’avais passé les présélections mais sans aller plus loin, avec une image plus classique qui ressemble davantage à ce que je fais d’habitude. Mais depuis dix ans, je n’avais pas d’image qui me permettait d’aller plus loin selon moi. Et là, dès que je suis revenue à la voiture avec mon épouse après avoir pris la photo, je lui ai dit que je pensais avoir une image pour le Wild Life. Je me suis dit en tout cas celle-ci, je vais la proposer.

Dix photos finalistes du Wildlife photographer of the YearQuelle a été votre émotion quand vous avez appris que vous aviez été retenu ?

C’était bizarre parce que je parle très mal anglais. Quand j’ai reçu le mail en me disant que j’étais sélectionné, je l’ai relu trois fois pour bien comprendre. Je me suis dit que ce n’était pas possible, je l’ai passé au traducteur pour être sûr que j’avais bien compris et puis je l’ai fait lire à ma femme qui parle couramment anglais et qui m’a encore confirmé la nouvelle ! C’est une immense joie parce que c’est une vraie reconnaissance du travail que je peux faire au quotidien. Mais en fait je n’ai pas encore tout à fait réagi. Je pense que je vais réagir pleinement quand je vais voir mon image imprimée au Natural History Museum et je pense que là ça va être chargé d’émotion.

Quelle est la photo que vous n’avez pas encore faite mais que vous rêveriez de faire ?

La vraie photo que j’ai envie de faire, c’est celle du loup. C’est l’animal que je n’ai jamais rencontré et c’est la photo que je retarde. Il y a beaucoup de gens qui font des photos de loup mais pour l’instant je me le garde en réserve comme un rêve un peu inaccessible. Ça reste un animal qui est de proximité, mais qui est pour moi mythique et qui est mythique pour tout le monde, comme peut l’être aussi le requin blanc.

Le livre des 100 plus belles photos du Wildlife Photographer of the Year paraît le 15 octobre aux éditions Biotope. 34 euros.