Parti de Toulon en août 2023 pour être désarmé à Cherbourg, où ses installations nucléaires seront démantelées, l’ex-Casabianca pourrait revenir dans le port varois afin d’y être transformé en musée. Le projet n’est pas encore entériné mais il bénéficie d’un fort soutien des élus locaux. La Marine nationale va conduire une étude quant à sa faisabilité.

Un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) du type Rubis transformé en musée à Toulon. Cette idée, ancienne, refait régulièrement surface mais, jusqu’ici, ne s’est pas concrétisée. Elle est cependant de retour, sous l’impulsion des politiques locaux, dont Yannick Chenevard, député du Var et membre de la Commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale. A l’occasion d’un déplacement à Cherbourg, le parlementaire, posant pour la photo devant la coque désarmée de l’ex-Casabianca, a mis en avant la semaine dernière le projet visant à sauver de la déconstruction ce bâtiment, retiré du service en 2023. 

Atout culturel et touristique en même temps qu’un lieu de mémoire

Il s’agit d’en faire un lieu de mémoire ouvert au public, à l’instar du Redoutable, le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) français installé à la Cité de la Mer à Cherbourg, ainsi que des anciens sous-marins diesels Espadon, à Saint-Nazaire et Argonaute à la Cité des sciences de La Villette, à Paris. « Toulon, premier port militaire d’Europe et cœur battant de notre Marine nationale, mérite un tel symbole. Le Casabianca portera la mémoire des marins qui ont servi à son bord et rappellera l’héritage de son illustre prédécesseur qui, en 1942, s’échappa de Toulon le jour du sabordage puis participa à la libération de la Corse et de la Provence. Ce futur sous-marin musée sera non seulement un atout culturel et touristique, mais aussi un hommage vivant aux femmes et aux hommes qui consacrent, sous les mers, leur vie au service de la France », a déclaré Yannick Chenevard. 

L’élu, qui assure que « le ministre des Armées (Sebastien Lecornu, ndlr) avait accueilli avec enthousiasme ce projet de long terme, afin de faire rayonner la Marine, son histoire et Toulon », a été, dans sa communication, pour le moins affirmatif quant au fait que le Casabianca reviendra à Toulon. Les phrases sont conjuguées au présent, et non au conditionnel, même si le député reconnait que « de nombreuses étapes demeurent mais, en concertation avec l’État, les collectivités et institutions locales nous pouvons le faire ! ». 

 

 

« Des études approfondies doivent être menées »

Car ce beau projet n’est encore pas acté. « A la demande du ministère des Armées, la Marine nationale étudie la possibilité de valoriser ce patrimoine à Toulon. Des études approfondies doivent être menées. Si ce projet aboutit, ce sera dans tous les cas un projet de temps long, de l’ordre d’une dizaine d’années », indique-t-on à Mer et Marine à l’état-major de la marine. 

L’opération serait en effet complexe, longue et aura évidemment un coût. Il faut d’abord que la tranche nucléaire du SNA soit retirée de la coque pour être démantelée, sachant qu’il est nécessaire d’attendre une dizaine d’années pour entreprendre cette opération à partir de l’arrêt définitif du réacteur et le retrait de ses éléments combustibles. Cela, afin de laisser suffisamment baisser le niveau de radiation pour entreprendre l’extraction de la chaufferie, qui est évidemment confinée. Au-delà de cette étape, qui interviendra quoiqu’il arrive dans le cadre du démantèlement des installations nucléaires, le retrait de la tranche chaufferie impliquerait, si le Casabianca est récupéré, de lui substituer une section de coque inerte (comme cela a été fait pour Le Redoutable), à moins que le bateau rejoigne Toulon en deux morceaux et soit mis au sec avec, à la place du compartiment du réacteur, une maquette, par exemple. Il faudrait par ailleurs d’importants travaux à bord avant une ouverture au public, financer le retour du sous-marin à Toulon (probablement sur un navire semi-submersible) et, bien sûr, trouver l’endroit idoine dans le port varois, où la piste d’un musée sur le site du Mourillon avait été par exemple évoquée il y a quelques années. 

 

La coque de l’ex-Casabianca en attente à Cherbourg. 

 

Probablement pas avant 2035

Ce projet n’est donc pas une mince affaire. Cependant, le jeu en vaut sans doute la chandelle, les anciens sous-marins attirant un public important, comme les autres musées de ce type le montrent. Il est aussi vrai que Toulon, où l’essentiel des aspects mémoriels liés à la flotte se trouvent au musée de la Marine, n’a pas jusqu’ici bénéficié de la conservation d’un ancien bateau militaire. Une telle pièce permettrait de valoriser la longue histoire militaire du port et, notamment, son importance dans les activités sous-marines, pour lesquelles seul le vieux bathyscaphe FNRS III a été préservé dans la rade varoise (il est jusqu’ici exposé dans le jardin de la Tour Royale et va être déplacé dans le cadre de la restauration). Quoiqu’il en soit, le retour de l’ex-Casabianca ne pourrait raisonnablement intervenir avant 2035, au mieux.  

Héritier d’une prestigieuse histoire

Mis sur cale à Cherbourg en 1981 sous le nom de Bourgogne, le S 604 est renommé en cours de construction du nom de son illustre aïeul, le premier sous-marin Casabianca, mis en service en 1936 et qui s’illustre durant la seconde guerre mondiale. Commandé par Jean L’Herminier, il fait partie de quelques unités de la flotte qui parviennent à s’échapper de Toulon lors du sabordage de la flotte, le 27 novembre 1942, puis reprend le combat aux côtés des alliés. Il est employé pour des missions de renseignement et des opérations spéciales en Corse, où il débarque au fil de ses périlleuses missions des agents secrets et 35 tonnes de matériel au profit des maquisards. Puis il s’illustre le 23 septembre 1943 en débarquant 109 hommes du bataillon de choc à Ajaccio. Le Casabianca devient ainsi l’auteur du premier débarquement d’une force de libération sur le sol de France. L’Amirauté britannique lui attribue le pavillon à tête de mort hérité des pirates « Jolly Roger » enrichi de ses actions (la Corse pour la libération de l’ile, 7 épées pour les missions secrètes réussies, trait rouge pour navire de guerre coulé à la torpille, blanc pour navire de commerce coulé et trait rouge avec canons croisés pour bâtiment de guerre coulé au canon). Une distinction offerte uniquement aux sous-marins les plus méritants. Trois seulement en France l’ont obtenue durant la guerre : le Casabianca, le Rubis et le Curie. Cité à de nombreuses reprises à l’ordre de l’armée, le célèbre sous-marin est décoré de la Médaille de la Résistance en août 1946. Sa carrière prend définitivement fin en 1952. Il est ferraillé quelques années plus tard.

 

Le pavilon Jolly Roger. 

 

Les plus petits SNA du monde 

C’est cet héritage qui avait été transmis au SNA Casabianca, mis en service en avril 1987. Il s’agit du quatrième des six bâtiments du type Rubis, premiers sous-marins d’attaque français à propulsion nucléaire. Initialement, huit unités devaient être construites mais les deux dernières (Turquoise et Diamant) ont été abandonnées après la fin de la Guerre Froide. Les Rubis, dont la tête de série éponyme entre en flotte en 1983, constituent un tour de force technique en termes de compacité. Longs de 73.6 mètres et affichant un déplacement de 2670 tonnes en plongée, il s’agit en effet des plus petits SNA au monde, bien moins volumineux que leurs contemporains : 110 mètres et près de 13.000 tonnes pour les Akula soviétiques, 109.7 mètres et 6900 tonnes pour les Los Angeles américains, 85.4 mètres et 5200 tonnes pour les Trafalgar britanniques. 

Après plus de 36 ans de carrière, un million de nautiques parcourus, 5000 jours de mer et 100.000 heures de plongée, le Casabianca a quitté Toulon le 21 août 2023 pour rejoindre Cherbourg, où la dernière cérémonie des couleurs s’est déroulée à bord le 27 septembre suivant. A l’issue d’un passage en cale sèche en vue de la préparation à son désarmement, la coque a été remise à l’eau et placée en attente à l’un des quais de la base navale normande, où se trouvent également celles de ses deux aînés, les Rubis (1983-2022) et Saphir (1984-2019), ainsi que de l’Émeraude (1988), le troisième de la série, retiré du service l’an dernier.   

L’héritage transmis à la nouvelle génération de sous-marins français

L’histoire va néanmoins se perpétuer avec le programme de remplacement des Rubis, dont il ne reste plus aujourd’hui que deux unités en service, l’Améthyste (1992) et la Perle (1993). Le sixième et dernier SNA de nouvelle génération de la classe Suffren va, en effet, reprendre le nom de Casabianca. Actuellement en construction au chantier Naval Group de Cherbourg, il doit rejoindre la Marine nationale en 2030. Pour l’heure, trois bâtiments de ce type (Suffren, Duguay-Trouin, Tourville) ont été mis en service depuis 2022, le quatrième (De Grasse) venant de connaitre sa prise d’armement pour essais. Quant au cinquième, à l’instar du Casabianca, il reprendra le nom de Rubis, qui avait été lui-aussi porté par un sous-marin s’étant illustré pendant la guerre en rejoignant dès l’armistice de juin 1940 le général de Gaulle et les Forces navales françaises libres (FNFL). Réalisant de nombreuses missions durant le conflit, auquel il a survécu, le Rubis est fait Compagnon de l’ordre de la Libération. Il est désarmé en 1948. 

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